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La sueur coule de plus en plus fort sur ma pauvre gueule. J’ai beau respirer profondément, l’oxygène se fait rare dans ma caisse.

J’ai des vertiges.

— Ça ne vous fait donc rien de voir crever un homme, docteur ?

— Ce sont les risques de votre métier, monsieur. Vous n’avez pas la prétention de nous piller et nous apitoyer en même temps…

Son raisonnement est sans bavure. Il le tient d’un ton paisible, auquel son fort accent donne plus de force encore !

J’ai alors une autre idée pour essayer de vaincre son impassibilité.

Je fouille l’une de mes poches de clown qui recèlent un matériel effarant et j’en extirpe une grenade.

— Professeur, si vous ne me donnez pas cet antidote, je jette cette grenade au milieu des bâtiments.

Alors là, changement de programme. Il fait un naze d’un mètre quatre-vingts. Son regard étincelant s’éteint.

— Une grenade très efficace sur vos efforts, monsieur le professeur… Tenez, on fait un marché : la grenade en échange de deux vies. Et cette grenade représente un capital que vous êtes plus apte que moi à estimer !

Il hésite encore. Je louche sur mon oignon. Plus que dix-sept minutes ! Bien employées, elles peuvent apporter du nouveau dans ma situation.

— Alors ?

Il regarde la grenade. Ce fruit de métal est inquiétant à la lumière de la lampe.

— Je vous donne une minute de réflexion, fais-je… Passé ce délai, il sera trop tard : je mourrai et vous aussi au milieu de vos drogues à la noix !

Il se lève, fait quelques pas dans la pièce… Il s’approche d’une table et tire une chaise pour s’asseoir. Ses faits et gestes me captivent. Je sens qu’il mijote quelque chose… Quoi, bon Dieu ! Je comprends brusquement. Sous la table il y a une sonnette à pied pour appeler les domestiques.

Je souris.

— Bien joué, doc… Mais la farce est un peu lourdingue !

J’attends, tout en le menaçant de mon feu… Et le temps s’écoule… Encore quatorze minutes… Je perçois un glissement dans l’escalier. La porte s’ouvre et un type aux cheveux taillés en brosse fait une entrée discrète. Il porte une livrée de larbin. Décidément monsieur le marchand de virus ne se refuse rien !

L’arrivant écarquille les châsses en m’avisant. Il est tout surpris de voir un monsieur crotté dans son salon bien aspiré, surtout un monsieur qui brandit un feu.

Je saute à lui et avant qu’il soit revenu de sa stupeur, je lui colle la crosse de mon 9 mm dans la tempe. Ça craque vilain et il s’étale. Je fais volte-face. Le doc est à un tiroir déjà…

— Levez les mains, vite ! aboyé-je.

Il obtempère.

— Bon, maintenant le vaccin en vitesse, et pas d’histoires…

Il soupire :

— Vous êtes très obstiné, monsieur. Et très adroit.

— Merci pour vos fleurs, exécution…

— Venez !

Il se dirige vers l’extérieur. Avant que nous franchissions le seuil, je l’avertis :

— Ne recommencez pas à me feinter, vous voyez que je suis prêt à tout. Vous ne soupçonnez pas les prouesses dont un homme est capable lorsqu’il se sait condamné à mort !

CHAPITRE X

Dans lequel je peux méditer sur la relativité du temps !

Nous marchons d’un pas égal dans l’allée centrale ; celle qui conduit au pavillon où j’ai déposé ma première cartouche d’ex-plosif.

La lune projette sur le ciment nos deux ombres inégales. Je redoute de voir surgir un garde. Évidemment je suis décidé à l’assaisonner, le cas échéant, mais un espoir tellement insensé m’habite que je redoute une anicroche de la dernière seconde…

Je veux vivre ! Vivre ! Dominer le sort, vaincre ce néant qui s’infiltre en moi comme l’eau d’un fleuve en crue s’infiltre dans les maisons.

Nous atteignons la porte du second pavillon. L’homme aux cheveux blancs sort une clé de sa poche et ouvre. Il donne la lumière.

Nous sommes dans une salle entièrement carrelée de faïence blanche. Entièrement nue aussi. Il la traverse et ouvre une seconde porte… Là est le principal labo. Je ne vous le décris pas car je suis effaré par les instruments qui s’y trouvent. Un vrai cauchemar d’anticipation !

Le professeur se dirige vers un coffre scellé dans le mur du fond et sur lequel on a peint une croix rouge sur un disque blanc. Cet emblème veut dire guérison ! Il est beau, noble ! Jamais je ne l’avais remarqué avant cet instant.

— Grouillez-vous ! grogné-je.

Le tic-tac de ma montre me vrille le poignet.

Vite ! Vite ! Plus que douze minutes !

La porte du coffre est à système. Mon mentor l’actionne. Je vois alors de petits casiers garnis d’ampoules… Il en prend une dans celui du bas et cueille une sorte de minuscule lancette dans un tiroir.

Je suis à ce point angoissé que je n’ai plus la force de parler. Je suis à sa merci, maintenant. Il peut très bien me faire une piqûre de n’importe quoi en prétendant que c’est la bonne came !

Heureusement, ces gens-là n’ont pas le sens du « carottage ».

— Prêt ? me demande-t-il.

Je serre les dents et mon âme élève une ardente prière vers le ciel : « Vous, là-haut, pas de blague… Compulsez vos registres, vous verrez que le gars San-Antonio y figure… Ne barrez pas ! »

— Soulevez votre manche !

J’obéis, sans lâcher ni ma grenade ni mon revolver.

Il fait sauter les extrémités de l’ampoule, maintient le liquide avec un doigt et me fait une entaille très large à l’avant-bras…

Il arrose la plaie avec le contenu de l’ampoule.

— Voilà, dit-il.

Je lui chope le bras et je retrousse sa propre manche. J’aperçois une cicatrice qui me rassure : il n’a pas bluffé.

— Parfait, maintenant il m’en faut une autre.

Il n’est pas chaud pour laisser sortir de l’établissement un échantillon de ses découvertes. Il fait une moue dubitative.

— Cela suffit, monsieur… Contentez-vous d’avoir la vie sauve ; on doit savoir modérer ses désirs, dans la vie !

Au lieu de lui répondre, je jette un nouveau regard à ma breloque. Plus que huit minutes, à moins que ma charge d’explosif soit mal réglée, ce dont je doute fortement. Dans huit minutes, le labo va éternuer fortement et ça sera le grand sauve-qui-peut chez messieurs les virus.

— Ça va, dis-je, je n’insiste pas. En somme, j’ai l’essentiel en ce qui me concerne.

— Déposez cette grenade sur cette table ! ordonne le Herr Machin !

— Mais comment donc !

Il darde sur moi ses petits yeux incroyablement bleus. Des yeux d’enfant sage !

Je dépose la poire de métal à l’endroit désigné. La volonté de cet homme est telle que c’est lui, l’homme désarmé, qui donne des ordres à l’autre !

Il paraît un peu soulagé. Je me retourne et lui souris.

J’amorce un mouvement destiné à lui faire croire que je décarre, mais je décris une soudaine volte-face et je lui file un terrible coup de tranchant à la glotte. Méthode japonaise, les gars. Plusieurs siècles d’expérience ! C’est mon petit mikado de Pâques.

Le digne et glacé docteur Baisemakrup émet un râle qui n’est pas sans évoquer l’écoulement d’un évier. Il titube, cherche à se cramponner, mais il dit good night à la compagnie et se grouille d’aller déposer une plinthe au parquet !

Visiblement, il en aura pour plus de huit broquilles à reprendre ses esprits, c’est dire qu’il ne les reprendra jamais. Pourtant, comme je suis un mec consciencieux, je lui balance un coup de tatane dans le bocal pour l’anesthésier complètement. Ensuite je saute sur le coffre mural et je pique une ampoule dans le casier où il a crevé la mienne. Une brève hésitation, et j’en chope d’autres qui ne sont pas pareilles. Je les mets dans une boîte en bois à glissière qui se trouve à proximité et dont le capitonnage intérieur me fait penser qu’elle est réservée à cet usage. Ainsi lesté, je bondis au-dehors, non sans avoir récupéré ma grenade…