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— Note bien, fait le Gros, manière de se rassurer, ça fortifie la plantation…

— De ce côté-là t’es paré, on n’a jamais vu un taureau chauve !

— En tout cas c’est la mode, à ce qu’on dit… Tout le monde se coiffe à la Jules Brumaire…

— À la Yul Brynner, Gros !

— Excuse du peu, je cause pas l’anglais !

Je le quitte devant le bureau. Je dépose ma valise au vestiaire et je grimpe chez le Vioque.

Le grand boss m’attend, les pattes au dos… Il paraît dans tous ses états et son front ivoirin est ridé comme un accordéon dans sa housse.

Il me reçoit avec une petite grimace pouvant passer pour un sourire à condition de la regarder dans un miroir déformant.

— C’est très chic de votre part, San-Antonio…

Je fais la courbette d’usage et j’attends.

— Asseyez-vous !

Je pose sur une chaise ce qui me sert à ça, je croise les jambes, les bras, les doigts et le regard du Vieux.

— Si j’ai fait appel à vous, San-Antonio, c’est qu’il se passe une chose ahurissante. L’affaire que je vais vous confier est unique dans les annales de nos services ! Et quand je dis unique, croyez-le, je pèse mes mots !

Je sais qu’il a le vocabulaire riche en superlatifs, pourtant, cette surenchère dans l’épithète affûte ma curiosité.

— Connaissez-vous Jean Larieux ?

Je ferme les carreaux et sous mes stores baissés je reconstitue la frime du gars. Je revois un grand garçon blond au visage aigu et au regard clair.

— Oui, chef… C’est un de vos agents d’Allemagne orientale ?

— Exact. Un type très bien…

— J’ai entendu parler de lui, il paraît en effet que c’est une épée !

— Il lui est arrivé une aventure extraordinaire… Une aventure épouvantable.

Bon, il remet la gomme. J’attends que ça se tasse un brin.

— Larieux avait eu vent qu’un laboratoire de la région de Breslau travaillait à la mise au point d’une arme biologique terrifiante. Lorsqu’il m’a eu communiqué le renseignement, en accord avec l’I.S., je lui ai donné l’ordre de se documenter coûte que coûte sur cette arme et le laboratoire qui la mettait au point…

« Il s’est attelé à cette tâche avec tout le zèle dont il est capable. Il est même parvenu, non seulement à repérer ledit laboratoire, mais de plus à y pénétrer… Ç’a été un travail de grande classe… Larieux a pu s’emparer d’une ampoule témoin fabriquée dans ce mystérieux bâtiment. Malheureusement, en sautant le mur l’ampoule en question qu’il avait logée dans sa chemise s’est brisée, lui causant une petite coupure sans gravité à la poitrine. Le liquide vert qu’elle contenait s’est répandu… Larieux n’a eu que la ressource de m’apporter sa chemise aux fins d’analyse…

Le Vieux s’arrête de jacter pour redonner de l’aisance à ses éponges. Il passe sa paluche sur son front moite.

— Alors ? insisté-je, crevant de curiosité.

— Alors, San-Antonio, c’est à partir de là que nous entrons dans le fantastique… Tous les gens qui ont touché à cette chemise, tous ceux qui approchent Larieux meurent !

Là, il la boucle. Il peut se permettre une minute de silence et même faire des mots croisés si ça lui chante. J’ai eu ma ration de stupeur.

Je reste sur ma chaise, à baver des ronds de concombre.

— Ils meurent ! répété-je, comme pour me pénétrer du sens absolu du terme.

— Oui. La chemise a été communiquée à un laboratoire biologique.

« Le médecin qui a commencé les travaux d’analyse, ses deux assistantes et l’homme de salle ayant déballé le paquet sont morts dans les huit heures qui ont suivi leur prise de contact avec la chemise souillée.

— C’est pas possible !

— Hélas si !

« Il y a encore plus grave : quatorze personnes ayant approché Larieux sont décédées dans les mêmes conditions et dans un laps de temps identique… Quatorze ! Plus les quatre du laboratoire, cela fait dix-huit victimes…

— Il est contagieux ?

— Et comment !

— Mais comment se porte-t-il ?

— Lui ? Fort bien, ce qui est incroyable… Il est simplement porteur de germes mortels sur la nature desquels nos savants les plus éminents se perdent en conjectures ! J’ai saisi de la chose des sommités américaines, anglaises, suédoises… Personne ne peut me fournir d’explications valables… Tout ce que l’on a pu déterminer, c’est que les victimes meurent lorsqu’elles approchent Larieux de moins de dix mètres. Leur décès a lieu par suffocation. Elles sont prises d’une forte sudation, elles grelottent, claquent des dents et entrent dans une courte période comateuse. Les premiers symptômes se manifestent environ deux heures après la pénétration en zone contagieuse…

Je me lève, glacé du haut en bas par cette terrifiante nouvelle.

— En effet, chef, c’est abominable… Ça dure depuis combien de temps ?

— Trois jours !

— Seulement ! Dix-huit victimes en trois jours !

— Il y en aurait eu davantage si le médecin qui a visité Larieux (et qui en est mort) ne l’avait fait mettre immédiatement en quarantaine ! Il se trouve enfermé dans une chambre isolée d’un hôpital parisien. On communique avec lui par téléphone et on lui passe la nourriture par la fenêtre… Larieux parle de se suicider…

— Je le comprends…

Le Vieux réfléchit.

— Quand je parle de dix-huit victimes, je ne compte pas celles qu’il a dû fatalement faire en rentrant d’Allemagne…

— Il faut intervenir, dis-je…

— Oui, il le faut…

Le Vieux s’assied sur le coin de son bureau. Il met sa main sur mon épaule.

— San-Antonio, je vais vous charger de la mission la plus périlleuse, la plus dramatique aussi de votre carrière !

Je me retiens de respirer.

— Oui ?

— Vous allez vous débrouiller, d’une façon ou d’une autre pour aller en Allemagne orientale avec Larieux !

(J’en ai les noix qui font bravo.)

— Av… av… avec Larieux !

— Par avion… Vous serez isolés pendant le voyage et parachutés dans la région du laboratoire. Lui seul peut vous y conduire et vous y faire pénétrer. Le jeu consistera à rester à plus de dix mètres de votre compagnon de route !

Je ne peux m’empêcher d’ironiser :

— Vous appelez ça un jeu, patron ?

Il balaie l’objection d’une envolée d’aile, comme une pipelette consciencieuse balaie un caca de chien sur le trottoir.

— Lorsque vous serez dans ce laboratoire, vous le ferez sauter, poursuit le Vieux. J’ai des cartouches d’explosif spéciales, peu encombrantes et d’une efficacité inégalée, du reste vous les connaissez[1].

Je le considère d’un œil incrédule. Franchement, les gars, j’ai les nougats sur la terre et il est rare que j’aille faire du rase-mottes dans les rêves fallacieux ; pourtant, ce qu’il vient de m’apprendre et ce qu’il me demande d’accomplir dépassent à mon avis les frontières du possible.

— Autre chose, poursuit le Vieux. Larieux ne… ne devra pas revenir de cette expédition… Vous me comprenez ?

C’est le bouquet. J’ai grande envie de lui cloquer ma démission, mais la pensée qu’il me prendra pour un déboutonné du calbar me retient.

— En effet, chef, vous ne m’avez encore jamais confié une mission aussi délicate.

— San-Antonio, je sais combien elle est périlleuse, mais il faut tout mettre en œuvre pour gagner la partie. Réussissez et vous serez un bienfaiteur de l’humanité. Je sais de source sûre que cette arme bactériologique en est au stade expérimental, il est temps d’écraser cette horreur dans l’œuf !

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Lire Les anges se font plumer.

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