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Je me hâte de trancher la corde. Il choit dans l’herbe humide. Je m’agenouille et d’une main affolée je cherche son cœur. C’est le grand silence là-dedans ! Finish, classé, tordu, conclu !

Ma colère me revient. Je palpe ma poche truffée d’ampoules.

Je lui apportais la guérison, le salut… S’il avait pu tenir le coup une heure de plus il était sauvé ! Y a eu un malentendu avec le hasard ! Son destin et le mien avaient oublié d’accorder leurs montres !

Je sens des larmes sur ma frite. Tout ça est trop stupide ; trop monstrueusement idiot !

— Larieux ! T’en as trop bavé, mon pauvre vieux… C’est pas juste ! Comment va-t-on te revaloir ça, maintenant, dis ?

Le corps inerte est encore tiède. Le visage rigole dans l’ombre. Maintenant il sait, le pauvre mec ! Oui, il sait tout ! Et ça le fait poirer, la situation !

Je demeure un instant immobile, ne sachant trop que fiche. Puis je me dis que je ne peux rien faire d’autre que laisser le cadavre de mon pote là où il est. On le découvrira, naturellement, avant le jour. Si je suis malin, je peux m’arranger pour faire croire que c’est lui, l’auteur de l’attentat ! Il suffit d’enlever ses béquilles et les morceaux de bois qui colmataient sa guibole en sucre !

Les autres penseront qu’il s’est cassé la jambe en fuyant et que pour échapper aux recherches il s’est étranglé !

Oui, bonnot pour ma pomme ! Pendant ce temps, le San-Antonio bien-aimé pourra se prendre par la main et s’emmener promener du côté de l’Ouest !

Je ramasse donc les boiseries qui assistaient le malheureux et je m’éloigne en les tenant sous le bras comme un fagot de bois. Puis je réfléchis et me dis que le talkie-walkie prouvera aux enquêteurs que Larieux n’agissait pas seul, et je reviens chercher le talkie… Chargé de tout ce matériel, je fonce en direction de la maison forestière. Seulement, y a sous mon chapiteau quelque chose qui ne carbure pas bien. M’est avis que j’ai une panne d’allumage, peut-être s’agit-il d’une bougie qui donne mal ?

Je me dis que le cadavre de Larieux sera fatalement identifié. On saura que c’est un agent français et les autres entreprendront des représailles ! Non ! J’ai mal calculé mon élan. Il ne faut pas qu’on retrouve son cadavre !

Une fois de plus, je retourne près du mort. Maintenant c’est lui que je dois coltiner. Je le cramponne par la taille et je fais un arraché-jeté qui ferait pâlir de jalousie un haltérophile.

Je titube sous le faix !

Où vais-je bien planquer la carcasse de mon compagnon ? Pas à tortiller : y a que le marécage qui puisse fournir une sépulture sûre !

Alors en route !

* * *

Il me faut une bonne heure pour parvenir aux ajoncs fétides. Je claque des dents à force de fatigue dominée… Je choisis un endroit où les plantes aquatiques sont denses et je vais planquer le mort par en dessous. Ensuite je le maintiens plaqué à la vase au moyen de ses béquilles plantées dans le fond fangeux. Qu’il reste seulement quelques jours à l’abri des regards indiscrets, et je défie quiconque de parvenir à l’identifier. D’autant plus qu’avant de l’« inhumer » je lui ai chouravé ses faux papiers pour corser le mystère.

Je jette le talkie le plus loin possible et je me recueille un instant devant cette immense tombe bourbeuse, sur laquelle les roseaux remplacent les chrysanthèmes.

CHAPITRE XII

Dans lequel, malgré les dimensions de mes épaules,

je n’en mène pas large !

Du côté du poste routier, les allées et venues se font de plus en plus nombreuses. Ça tourne vite à l’effervescence. Le moment est venu de mettre les chaloupes à la mer, et de ne pas s’occuper des femmes et des enfants, croyez-le bien !

J’irais bien me planquer chez le tondu du bois, mais ce ne serait pas raisonnable. Ils ont dû découvrir la carcasse du fils et la môme Frida (dans les romans les gretchen s’appellent toutes commak) doit se dire que si je suis le champion toutes catégories du zizi-panpan, je cherre un peu dans les bégonias avec mes beaux-frères putatifs.

Non, le mieux c’est de tenter ma chance autre part.

Je rebrousse chemin et contourne la colline à la tour par l’autre côté.

Ce n’est plus un homme, c’est un fantôme qui marche ! Vous me demanderiez combien font deux et deux, je ne me donnerais même pas la peine de chercher une réponse approximative. Je suis écroulé de l’intérieur. Mon épuisement est tel que je suis devenu pratiquement insensible. Je me fous de tout ! Je marche parce que c’est une décision lointaine que j’ai prise avec force et à laquelle mes muscles continuent d’obéir.

Je ne pense plus à Larieux. Ou si j’y pense, c’est avec une souveraine indifférence. Après tout il est bien là où il est. Il n’avait qu’à aller vendre du nougat à Montélimar au lieu de faire un métier pareil !

Des bribes de rancœur traversent par moment mon cœur fatigué. Curieux, comme l’individu est mauvais. Il a toujours un peu de bile dans un coin de la bouche, et un peu de fiel dans l’autre. L’homme a besoin du mal. C’est pour lui une sorte d’organe essentiel. Peut-être qu’après tout c’est mieux ainsi. Peut-être que le mal n’est pas un mal ? Si nous étions parfaits, nous ne supporterions pas la précarité de notre condition ! Tandis qu’en étant pourris de mesquineries, les mocheries de l’existence sont moins apparentes. Nous sommes à leur mesure, en somme. Et puis, dites, entre nous et un kilo de haricots secs, ce qu’on pourrait se faire tartir si on était tous des saints ! Vous nous voyez jouer au jeu de grâce avec nos auréoles ? À votre sainteté, les gars !

Beaucoup d’appelés et peu d’élus, comme les troufions ! Voilà ce qui nous convient. Ça développe l’esprit de compétition ! Comme ça chacun veut édifier le voisin. À moi le rameau d’olivier. Si ça n’apporte pas la paix, ça donnera toujours quelques gouttes d’huile !

Les aurores commencent à vadrouiller au fond de l’horizon. J’avise un bouquet de noisetiers. Je sais qu’il me sera impossible d’aller plus loin. Sans chercher à lutter davantage, je m’y réfugie, et je m’abats dans les broussailles.

À peine à l’horizontale, je me mets à dormir.

* * *

Un bruit de branchages brisés me réveille. Avant toute chose, je reçois un rayon de soleil dans les vasistas. Puis j’aperçois des silhouettes qui grouillent dans la lumière.

Des voix allemandes me crient quelque chose. Toujours les deux mêmes syllabes :

— Chtète auf !

Oui, phonétiquement c’est à peu près ça. Je me dresse. C’est ce qu’on me demandait sans doute car les gars la bouclent.

De drôles de portraits, ces bons messieurs ! Ils sont une demi-douzaine, armés de mitraillettes. L’un d’eux tient un chien en laisse. C’est ce quadrupède à la manque qui m’a reniflé et les a conduits jusqu’à ma planque. Je suis fait aux pattes !

Vraiment c’est glandouillard de se laisser fabriquer ainsi. Décidément, le vent a changé de direction, ce matin il n’est pas en ma faveur.

Je songe aux ampoules que je trimbale et je me dis qu’il faut absolument les détruire. Comment m’y prendre ? Je lève les bras pour leur montrer que je n’ai pas l’intention de me rebiffer.