Выбрать главу

Un instant de flottement passe, au cours duquel l’escogriffe inscrit des notes sur un carnet à reliure spirale.

— Vous êtes commissaire spécial dans les services secrets français, déclare-t-il sans me regarder. Je suppose que ce sont vos chefs qui ont vous ont envoyé en mission ici ?

— Non !

— Qui alors ?

— La crémière du coin !

Il ne sourcille pas ; mais une lueur décourageante brille dans ses vasistas. Je me félicite d’être momentanément à l’abri de cette paroi de verre. Il est probable que sans cet isolement, j’aurais droit à une infusion de rame de châtaignier.

— Nous voulons savoir par quel canal vos supérieurs ont appris l’existence de ce laboratoire de recherches !

— Vous appelez ça un laboratoire de recherches ! C’est plutôt un laboratoire de trouvailles !

Le gars oppose ses deux mains doigts contre doigts et, d’une pression souple, fait craquer ses jointures.

— Nous savons que les Français brillent par l’esprit, monsieur le commissaire. Mais je n’ai pas le temps de savourer le vôtre.

— Je n’en ai jamais douté !

Il se mord les labiales et une rougeur empourpre sa tête d’haineux.

— Mon collègue qui vous a questionné ce matin — et qui en est mort — déplorait votre refus de répondre aux questions trop précises.

« Il se promettait d’employer des arguments efficaces pour vous convaincre…

Il passe une langue rose indigestion sur ses lèvres minces.

— Je puis les appliquer, malgré le danger que constitue votre approche.

— Allez-y, j’ai déjà une collection très importante, j’aimerais l’enrichir si possible !

— Soit !

Il se tourne vers l’un de ses gardes du corps et lui chuchote quelque chose dans les feuilles. L’autre acquiesce et disparaît.

Je me demande avec curiosité ce qu’il peut maquiller. L’escogriffe semble tellement sûr de lui que c’en est troublant.

Maintenant je ne me raconte plus de berlues. À quoi bon se passer le tempérament au rose pastel quand il est noir comme une truffe ? Je le sais, que je suis bonnard pour la croisière en Terre sainte ! J’en ai tellement classe de cette équipée que j’en arrive à souhaiter que ça se passe rapidos. Puisque le sort en est jeté, allons-y ! Le plus tôt sera le meilleur.

L’escogriffe retrousse ses lèvres, ce qui vaut mieux que de retrousser les jupes d’une dame, et tapote ses ratiches de rongeur avec le capuchon de son stylo.

Moi j’attends toujours, patient comme Baptiste (à noter cependant, pour respecter ma franchise proverbiale, que je n’ai jamais connu ce monsieur).

Je sais qu’il va se passer quelque chose ; mais j’ignore quoi. Vous vous doutez bien que des pieds nickelés de ce format ne sont pas à court de combines maison pour faire jacter un zig qui s’est carré de l’Albuplast sur la menteuse ! Ce qui corse la difficulté, c’est qu’il leur est impossible de m’approcher. Alors là, à moins de me torturer par téléphone en me racontant des histoires tristes, je ne vois pas bien comment ils vont s’y prendre.

L’autre tête-moche continue de jouer Cavalleria rusticana sur ses incisives. J’ai rarement vu une face humaine aussi antipathique. Je me demande à quoi songeait madame sa daronne lorsqu’elle l’a conçu ; parce que vraiment, il est inconcevable.

Tout à coup, je perçois au-dessus de ma hure un très léger bruit. Je lève la tronche et je découvre un très léger trou pratiqué dans le plaftard. C’est à cet orifice que naît le bruit sifflant. D’accord, j’ai pigé. Ces tantes me traitent au gaz hilarant cette fois ! Question gaz, ils en connaissent un brin. La ration qu’ils me distribuent, c’est pas le modèle camping !

Ça arrive à toute vibure et il ne faudra pas longtemps pour substituer cette vacherie à l’oxygène de la pièce.

Le grand vilain pas beau m’interpelle.

— Vous avez compris, monsieur San-Antonio ?

— Magnifiquement. Vous me prenez pour un ballon rouge ?

Je hume l’odeur fade qui emplit mon local. Ça sent l’amande amère, lorsque je respire, une douleur aiguë me scie la poitrine.

Ce mal va croissant et ça devient carrément intolérable. Il me semble que j’ai du vitriol dans les poumons.

— Si vous parliez, lance mon vis-à-vis, nous pourrions évacuer immédiatement le gaz par un système de ventilation très ingénieux.

— C’est votre cerveau qu’il faudrait ventiler, m’écrié-je. Il doit y avoir du monde sur la ligne, ou alors des fils qui se touchent parce que ça ne m’a pas l’air de carburer normalement !

Il hausse les épaules. A-t-il seulement pigé ce que je lui dégoise ?

Je me tords sur ma table. Je crois que jamais je n’ai autant souffert. Tout l’intérieur de mon corgnolon est à vif. Je ne suis plus qu’une torche vivante. J’essaie de ne pas respirer, mais j’en ai tellement pris l’habitude depuis que je suis au monde que ça m’est impossible.

En chancelant je vais à la lourde.

— Inutile ! m’avertit la voix métallique du tortionnaire. Tout à fait inutile, elle est bloquée par une barre de fer descendant du plafond.

Il dit vrai. J’ai beau tabasser la lourde, elle ne bronche pas d’un millimètre.

— Alors ? insiste la voix.

Je voudrais lui cracher mon mépris dans les trompes d’Eustache, lui dire qu’il a le bonjour, que ni la mort ni la douleur ne me feront parler… mais j’ai trop mal pour exprimer mes pensées.

Parler ! Il en a de bonnes. Lui dire quoi ? J’ignore tout du réseau créé ici par feu Larieux !

— Si vous vous obstinez, continue le gars, d’ici cinq minutes vous serez mort, monsieur le commissaire.

Maintenant je suis affalé sur la table supportant le micro. Le regard trouble, je considère à travers la vitre, la vilaine bouille du monsieur. Son sourire important me fait presque aussi mal que la saloperie qu’il m’envoie !

J’ai un sursaut de colère. Je réalise brusquement qu’une feuille de verre nous sépare. Simplement une plaque de quelques centimètres. Et je réalise autre chose itou : mon tabouret est en fer.

Je fais mine de m’écrouler. Cela me soustrait aux regards de mes vis-à-vis, car le large hublot est enchâssé dans un cadre de cinquante centimètres.

J’empoigne le tabouret par un pied et je bande mes muscles. Ma volonté est si forte que j’oublie ma souffrance pour quelques secondes. Ma force me revient, intacte.

Je me redresse et, de toutes mes forces, j’envoie le siège dans la vaste plaque de verre. J’ai visé le centre, point que j’estime plus vulnérable. L’escabeau retombe sans avoir brisé la vitre. L’autre, en face, éclate de rire.

— Vous croyiez avoir affaire à une glace de salon, monsieur San-Antonio.

Saisi d’une fureur éléphantesque, je reprends mon escabeau et je me précipite contre la vitre. Celle-ci est conçue pour résister à l’assaut d’un homme, mais pas à celui d’un bulldozer. Or, je ressemble présentement davantage à un homme qu’à un bulldozer.

Mon second coup de boutoir provoque un claquement semblable à celui d’une détonation. Le panneau vitré fait des petits. C’est de la glace Sécurit et il se répand instantanément sur le carreau. Changement de programme chez les vis-à-vis qui sont décontenancés par ma réussite. Ils sont affolés à la fois par le gaz qui radine de leur côté et par ma présence physique…

Ils refluent vers la lourde. L’homme à la mitraillette essaie de me filer une seringuée de prune, mais dans sa précipitation il envoie la fumée au plafond…