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Je saute au bas du cadre et je leur cavale au panier. Il ne s’agit pas de leur laisser refermaga la lourde. Ils n’y songent pas d’ailleurs… C’est le sauve-qui-peut des grands jours, style Stalingrad !

Je débouche dans un couloir et l’air frais m’étourdit. Ça fait bang bang dans ma ruche comme si je franchissais le mur du son. En réalité, c’est celui de la mort que je viens de sauter.

Je me reprends. Le feu qui me tord les soufflets s’apaise un peu… J’ai mieux à faire que de jouer les fillettes émotives.

C’est marrant de jouer les terreurs. Quand j’étais minus, j’avais visionné une toile du cinoche de mon quartier, qui m’avait collé les flubes pendant des nuits et des nuits. Il était question d’un singe de cauchemar, démesurément grand, formidablement fort, devant lequel tout le monde mettait les adjas en quatrième vitesse !

C’est à mon tour maintenant de jouer le King Kong. Cours-moi-après-je-t’attrape ! Les femmes et les enfants d’abord, le capitaine devant ! Mon approche jette la panique…

Je fonce dans le couloir. Les fugitifs tournent à gauche, probable que c’est la direction de la sortie. Je continue à faire le forcing sur leurs chausses. Notez que s’ils se retournaient pour m’envoyer le potage, je tomberais raide, m’ajuster étant aussi fastoche que de buter une vache dans une chambre de bonne ! Mais ils ont trop les glaglas !

Au bout du couloir se trouve une salle ronde, comme on en voit dans les prisons. Les mecs qui y sont affranchis par les arrivants et la plupart foutent le camp, sauf deux, plus malins, qui ne veulent pas calancher sans avoir eu la médaille des braves et qui sautent à pieds joints sur leurs arquebuses.

Je me précipite sur le plus proche. À ta santé, fiston ! Il prend ma boîte crânienne dans sa boîte à ragoût. Rien de tel qu’un coup de boutoir dans le cimetière à poulet d’un zouave pour lui enseigner le self-contrôle.

Il part à dame, en lâchant sa poinçonneuse. Le second lève justement la sienne. Je me jette à plat ventre et c’est le premier collègue qui dérouille la camelote dans les tripes. Avec ça dans le baquet, il ne pourra pas aller faire ses pâques, car il n’est plus à jeun. Je me relève et tire dans la direction du mitrailleur d’élite. Il en chope une douzaine dans le pare-chocs. D’un œil c… il bigle le raisin qui lui coule du bide comme le vin coule d’un tonneau troué.

Je lui souhaite le bonsoir et je cavale en direction de la porte principale. Une espèce d’enflure l’a bouclée. Rien à faire pour se tailler par là… Je prends à droite. Tout au bout, il y a la lumière mourante du dehors… Je parviens dans la grande cour qu’on m’a fait traverser en arrivant. Là aussi c’est le branle-bas de combat. Des gars s’affairent en criant. Tous refluent vers les bâtiments. Je m’arrête pour gaffer la situation. L’enfant se présente mal. Dans l’angle de la cour se trouve un mirador. Et en haut dudit mirador, un zig braque sa mitrailleuse vers moi.

Mauvais pour la santé, la mitrailleuse. Ça vous coupe un type en deux aussi facilement que vous détachez l’une de l’autre deux feuilles de papier hygiénique.

Je n’ai pas le temps de sauter en arrière. Il se met à vaser de la prune d’automne dans la région. Les balles crépitent sur la façade et ricochent un peu partout. Planqué derrière la lourde, j’attends la fin de l’orage : une mitrailleuse doit être rechargée, c’est fatal. Lorsque le tireur d’élite aura vidé son magasin, il devra placer une nouvelle bande dans sa machine.

Cela me laissera une minute de répit. Une minute au cours de laquelle je pourrai essayer quelque chose.

Lorsque la salve cesse, je risque le tout pour le tout !

Car enfin, si le mitrailleur est un garçon précautionneux, il aura conservé une réserve de prunes pour parer à une ruse.

Je fais un pas dehors. J’avise l’autre truffe qui fait fissa pour placer sa nouvelle bande. Ce gars-là doit avoir un cerveau à peine plus gros qu’un bouton de bottine. Je me lance dans la cour et hardi-petit, je ne m’occupe ni de l’heure ni du temps qu’il fait. Un seul objectif : la grande lourde qui bâille comme un spectateur de Claudel. La distance décroît entre le mec bibi et le large vantail. Tout en galopant comme un perdu, je me dis que si les autres ont l’idée de dégainer leurs rapières depuis les bâtiments, ils pourront me tirer comme un lapinot des champs. En attendant, je cours comme un garenne. Plus que dix mètres… Plus que huit… Ma respiration se bloque, mais mes cannes s’agitent encore.

Le tac-tac de la mitrailleuse reprend alors que j’atteins le portail. Seulement le préposé a dû faire ce qu’en langage cinématographique on nomme un filage, c’est-à-dire qu’il a dû faire décrire un arc de cercle à sa mécanique. Dans sa précipitation il l’a trop piquée et les balles arrivent à un mètre de mes talons. Lorsqu’il a rectifié l’angle, il a le bonjour d’Alfred, plus celui de San-Antonio. Je suis hors de la prison-caserne…

Devant moi s’étend une route plantée d’arbres. J’aperçois une bicyclette rangée au bord du trottoir. Elle appartient sans doute à un soldat. Je saute dessus et je pédale sec. Mon démarrage surprendrait Van Steenbergen soi-même. En moins de temps qu’il n’en faut à une péripatétitienne pour se débloquer, j’ai pris deux cents mètres. Je me retourne. Personne n’apparaît… Je fonce à droite. Puis à gauche, au fur et à mesure que des chemins s’offrent à moi. Je suis ivre de liberté, ivre de joie…

Il me faut que j’atteigne la ville. Là, j’essaierai de me planquer, parce que si je tente ma chance dans la campagne environnante, leurs sacrés chiens auront vite fait de me repérer !

Et j’appuie sur les manivelles ! Et je force, cramponné au guidon. Le vélo est trop petit pour ma taille, mais qu’importe.

Je me sauverais sur une trottinette s’il le fallait !

Pourvu que ça roule, que ça me déplace, que ça m’emmène !

Le pédalier grince un peu. C’est pour mes oreilles meurtries la plus suave des musiques.

Je fonce, la bouche ouverte comme une gargouille moyenâgeuse… La poitrine haletante. Bobet dans le Galibier, croyez-moi, c’est de la gnognote en comparaison. Même chez Madame Arthur on n’est pas plus fortiche sur la pédale !

CHAPITRE XIV

Dans lequel vous verrez que je n’ai plus peur des mouches

Au fur et à mesure que j’entre dans la ville, la nuit se précise. Les hautes maisons commencent à la recevoir, et leurs premières lumières l’accentuent au lieu de la refouler.

Je me trouve dans une cité populeuse et je ne suis plus seul maintenant à rouler à vélo. Personne ne prête attention à moi, ce qui me rassure.

Tous ces gens sont de braves gens qui n’ont qu’une hâte : rentrer chez eux pour bouffer leurs saucisses au chou, rendre hommage à leur dame et se payer une ronflette.

Je vadrouille un moment encore comme ça. Et puis je m’arrête pour reprendre haleine et statuer sur la conduite à tenir.

Ma situation n’est pas brillante. Évidemment des battues gigantesques vont être entreprises, et pour passer à travers, il me faudra la précieuse collaboration de mon ange gardien. En voilà un qui fait des heures supplémentaires sans se faire carmer le tarif double, vous pouvez me croire.

Je laisse la bécane dans un coin d’ombre et je fouille mes poches avec frénésie dans l’espoir d’y dénicher un peu de fricotin. Ces vaches-là m’ont griffé tout l’artiche que je possédais, et je me sens aussi perdu, sans flouze, dans ce patelin qu’un suppositoire dans le rectum d’un fakir.

J’ai beau explorer mes profondes, je ne trouve rien. Je ne possède plus que ma montre, et elle est en acier !

Voilà qui rend ma position on ne peut plus précaire.

Je suis tiraillé par la faim, ravagé par la fatigue. Je m’attends à tout bout de champ à voir surgir des soldats en armes qui me liquideront sans sommation ; car maintenant je suis un être nuisible.