Or, les êtres nuisibles, on les abat purement et simplement.
Sans cérémonie…
Seulement j’ai beau réfléchir, je ne trouve aucune solution valable pour mon cas. Que peut espérer un homme qui sème la mort autour de lui ? Préoccupé par mon évasion, je n’ai plus pensé lucidement à cette question. L’action m’avait masqué momentanément cette ignoble vérité.
Un coup de sifflet strident éclate au bout de la rue où je suis. Aussitôt les gens s’écartent et je vois radiner des motocyclistes casqués, portant des pistolets mitrailleurs sur la poitrine.
Ils sont quatre et roulent à petite allure en regardant attentivement les passants. Je pense que d’ici trente secondes ils seront là. Si je fuis ils me donneront la chasse. Si je reste piqué sur mes radis ils m’apercevront et me liquideront !
Je vois, à côté de moi, une petite femme vêtue de noir. Elle peut avoir une quarantaine d’années. Elle est rondelette et surbaissée. Je me jette sur elle, l’encercle de mes bras et pour étouffer ses cris, je lui roule un patin désespéré. Franchement elle n’y comprend rien, la donzelle. Ça la sidère, ce comportement. Elle se dit sûrement que j’ai une araignée dans le plafonnier, mais tout compte fait, un mimi-mouillé pareil est bon à encaisser et elle ne regimbe pas trop.
En l’embrassant je la tue. Seulement ce soir l’humanité me fait l’effet d’être une gigantesque nécropole, et ça ne m’émeut pas plus de buter cette souris noire que d’écraser une punaise avec ma pantoufle dans un hôtel de campagne.
Après tout, il n’est pas fréquent de choper la mort de cette façon agréable. Méthode chintock, les gars ! La volupté éclairant le monde avec une lanterne rouge de bobinard !
J’entends passer les motards. Les gars ne sont pas sollicités par la vue d’un couple qui s’étreint. Ils ont d’autres chats à fouetter (si j’ose ainsi m’exprimer).
Leur pétarade décroît. Je lâche la dame qui me file un regard béant de stupeur.
À franchement parler, je ne sais trop comment me comporter maintenant. J’en ai trop fait ou pas assez ! Si au moins nous pouvions converser. Mais, malgré ce patin fignolé princesse, nous n’avons pas la même langue.
Essayant de rendre ma frite plus expressive qu’un calendrier des postes, je lui décoche un sourire bouleversant. Puis je lui demande à tout hasard :
— Parlez-vous français ?
Elle secoue négativement la tête. Je dois alors avoir recours à des mimiques. Employant au maxi l’art du mime Marceau, je lui fais piger que je suis un petit Français paumé ici, que je l’ai confondue avec une fille que je connais et que je m’excuse pour mes façons fougueuses. Elle sourit enfin.
Je ne puis vous traduire toutes nos singeries, toujours est-il qu’une demi-plombe plus tard, je me retrouve chez la dame, laquelle est veuve de guerre.
Elle crèche dans une gentille maisonnette en compagnie de sa vieille moman, laquelle est complètement cisaillée. Elle passe ses derniers jours dans un fauteuil, en bavochant. Drôle de compagnie.
Vous avez entendu dire par des gens compétents que les Allemandes ont le valseur accueillant ; c’est vrai. Et ça l’est d’autant plus que vous êtes Français. Que nous le voulions ou pas, nous jouissons outre-Rhin d’un préjugé favorable question fignedé !
Les bergères de par là ont tendance à croire que nous détenons des formules ignorées des autres peuples pour faire mettre les doigts de pied en bouquet de violettes. Le plus formide, c’est que c’est vrai.
Arrivés at home, la veuve Fritzou m’invite à dîner. Inutile de vous dire que je ne fais pas de chichis. C’est accepté d’office ! On fait gober un café au lait à la vieille déplafonnée pour se débarrasser d’elle et je la roule jusqu’à sa chambre.
Tandis que la veuve Poinetch borde Moman, je vais dans sa salle à manger me servir un grand godet de chnaps. Je suis ici en terrain conquis. La radio joue en sourdine. Il fait doux. On est bien. Si j’avais un cierge à portée de la main, comment que je le ferais brûler à mon saint patron ! Dites, ça ne tient pas du miracle, mon aventure ? Quinze secondes de plus et je me faisais démolir… Et voici que tout s’arrange merveilleusement.
Ayant dégusté mon verre, je m’approche du poste de radio et je tourne le bouton. Si jamais la bonne dame écoutait les informations, elle changerait peut-être d’attitude envers moi.
Pour plus de précaution, j’arrache trois ou quatre fils dans la carcasse du poste afin de m’assurer de sa discrétion absolue.
Puis je me carre dans un douillet fauteuil et j’attends le retour de mon hôtesse.
Celui-ci ne tarde pas. La charmante personne en a classe de la daronne siphonnée et elle aimerait se consacrer un peu à moi.
Elle a eu le temps de troquer son méchant tailleur noir contre une robe mal coupée qui la fait ressembler à une poupée de foire. D’autant plus que, pour se rendre plus sexy, elle s’est collé sur la frime trois livres et demie de fards divers. Pour lui ôter ça, maintenant, faudrait un couteau à mastic. Si je l’embrasse, je suis certain de ressembler à Œil-de-Larynx, le célèbre chef indien de la tribu des Ma Lapri.
Elle s’excuse pour la vieille moman et m’explique que la digne dame a été percutée par un bombardement au cours de la gentille dernière. Elle a chopé une bombe sur la théière une nuit qu’elle dormait au troisième étage d’un immeuble. Quand elle s’est réveillée, la vioque se trouvait au rez-de-chaussée et le reste de la cabane lui servait de couvre-pieds…
Lorsqu’elle m’a affranchi, à grands renforts de gestes et d’onomatopées, elle se met à faire la dînette. Ma conquête me semble autant douée pour la cuistance que moi pour la détection des gisements de gruyère ! Je me dis que son bonhomme a eu meilleur compte de rester sur le champ de bataille. Mieux vaut finir d’un éclat d’obus que d’un éclatement du foie.
Vous dire le nom du plat unique qu’elle me sert serait un tour de force. Je crois bien qu’il n’a jamais été baptisé. Il se compose de viande hachée, de choux à l’eau, de crème battue et de lard plus gras que les Peters Sisters. J’ai tellement faim que j’en mange.
Le repas (il n’y a pas d’autres termes pour qualifier l’exercice auquel je viens de me livrer) terminé, la môme m’entreprend pour savoir ce que je maquille dans son pays. Je noie le poiscaille en lui montant un barlu équipé par les Messageries maritimes, comme quoi je gratte dans l’aviation et patati et patata… Mes explications vaseuses finissent par lui faire croire qu’elle n’est pas sur la bonne longueur d’onde, et elle décroche.
Le meilleur moyen de faire taire une dame, c’est, croyez-moi, de l’embrasser. Elles sont en général polies et n’ignorent pas qu’on ne parle pas la bouche pleine.
Ce n’est pas que cette petite boulotte rondouillarde m’inspire ; oh non ! Mais sa gentillesse à mon endroit, et même à mon envers, me donne envie de lui revaloir ça à ma façon. Oubliant qu’elle pèse trente kilos de trop et qu’elle est pourvue d’un strabisme divergent, je fais comme si c’était Marilyn Monroe mâtinée de Martine Carol. Un sofa déplumé, mais accueillant, nous reçoit dans ses bras. J’entonne la Valse des patineurs tandis que je lui joue un air de balalaïka à la jarretelle. La petite veuve (elle se prénomme Hildegarde) se croit du coup au palais des Délices. Pour me prouver que je ne suis pas tombé sur une ignorante, elle me découvre des voluptés orientales inconnues à ce jour : le Pipe-line-enchanté, Fez-en-joie et, surtout, un numéro vraiment avantageux : la Fumée-ne-me-dérange-pas.