Pour la remercier, je lui apprends Potron-minette et un vieux truc qui n’a pratiquement plus cours à notre époque, on se demande pourquoi : la Balayeuse-municipale.
Ces politesses échangées, nous nous endormons sur son divan comme deux bons petits diables.
Je m’éveille au petit matin, avec les molt-bocks en coton hydrophile, et une gueule de bois en noyer massif ! Un jour fade entre par la fenêtre. Je bâille et, tout en ouvrant des yeux neufs sur le plafond crayeux, je me dis que ma partenaire de la veille doit être morte à cette heure ! Elle repose à mes côtés, immobile, sans vie. Mes crins se hérissent à cette pensée. Elle est morte pendant son sommeil et moi, épuisé, je n’ai pas eu la moindre conscience de son agonie !
Je crois que j’atteins le fin fond de l’horreur. Vous réalisez un peu le topo, bande de dévastés du grenier ? J’ai donné la mort (et l’amour, d’accord) à cette brave fille ; et puis j’ai ronflé à ses côtés, la laissant canner sans l’assister !
Ah ! c’est abominable !
Surtout qu’elle n’est pas ma seule victime ! La vieille noix à côté doit être scrafée itou… Et les gens que j’ai côtoyés dans les rues, hier ! Je suis un danger public ! Un fléau ! Si je suis encore un homme (et je crois l’avoir prouvé à Mme Choucroute-Garnie) il ne me reste plus qu’à me détruire moi-même pour épargner mes contemporains.
Je saute du lit. Je suis froid comme un nez de chien esquimau !
Oui, tout est fini pour moi. Je vais écrire une lettre au Vieux, un mot à Félicie et puis après… Après, j’espère qu’il y a le gaz de ville dans cet appartement !
Un bruit me fait sursauter. J’ose ce que je me refusais de faire : je file un coup de périscope dans le pageot. Et qu’est-ce que je vois ? La mère Hildegarde qui me sourit tendrement.
Je titube. Qu’est-ce que ça veut dire ? Elle est toujours en vie ? Je me précipite à son côté et je caresse son front. Pas la moindre trace de sueur, pas de fièvre. Elle respire normalement et elle paraît vachement heureuse d’être au monde et d’y voir clair.
Quoi ! Ne serais-je plus contagieux ? Enfin, j’aimerais savoir ! J’aimerais piger !
Je galope à la chambre de la vieille Zizi. Cette honorable dame dort encore. Le bruit qu’elle produit en ronflant n’est pas sans évoquer un turbot-réacteur (le poisson de l’avenir). Elle se porte bien… Vous allez me dire que lorsqu’on a chopé une bombe d’une tonne et un immeuble de six étages sur l’estom, on ne se laisse pas impressionner par des virus à la gomme, mais enfin, tout de même !
Je danse une gigue endiablée ! L’expression n’est pas de moi, mais il est plaisant d’user de clichés tout faits lorsque ceux-ci s’adaptent à une situation précise.
Je gambade dans l’appartement sous le regard angélique et fervent de ma belle de noye. Ce qu’il y a de merveilleux chez cette nana, c’est qu’elle ne cherche pas à comprendre. Je me livre aux pires excentricités avec elle, ça ne la fait pas sourciller d’un poil. C’est d’autant plus fabuleux que la plupart des bergères, vous ne l’ignorez pas, veulent toujours en savoir plus que vous n’en savez vous-même ! C’est un vice de plus chez elles !
Pas un poulet qui puisse leur faire la pige, sur le plan interrogatoire ! Les vers du nez ! c’est leur spécialité. Pour vous ponctionner les confidences elles ont des méthodes brevetées.
Cet élan calmé, je me penche sur l’aspect scientifique de la question. D’où vient que je ne sois plus contagieux ? Larieux l’est resté jusqu’à sa mort, lui ! Hier matin, j’ai collé la crève à ceux qui m’ont arrêté, et le soir du même jour, je ne coltinais plus la mort ?
Je m’assieds devant le bol de café au lait servi par Hildegarde. Je repasse par la pensée (ce qui est aussi bien qu’avec un fer électrique Calor) les événements de la veille. Et tout à coup je me revois, lors de mon arrestation, me roulant par terre pour écraser les ampoules ! Parbleu, la voilà la vérité ! Ça n’est pas moi qui ai bousillé mes tortionnaires, mais le liquide qu’ils ont touché en me fouillant. Ils sont venus chercher leur mort dans mes poches, les couillons !
Ah ! c’est à se cogner le prose sur une bordure de trottoir pour essayer de le rétamer.
J’avale mon caoua à petites gorgées voluptueuses. Je suis pur, mes enfants ! Le mecton qui vient de naître est plus riche en germes que bibi !
La vie est belle !
Je n’ai plus peur des mouches !
CHAPITRE XV
Dans lequel pour « être », il faut que j’ai l’air d’« en être » !
Neuf heures moins le quart carillonnent au beffroi de ma montre-bracelet lorsque la môme Hildegarde s’en va.
Cette charmante hôtesse marne dans un magasin, si j’ai bien compris. Ce qu’elle vend, par contre, n’est pas très évident. Pour me l’expliquer elle a décrit des gestes vagues avec une fourchette, gestes desquels il est permis de déduire qu’elle brade soit des couverts, soit des démonte-pneus.
Bien sanglée dans son tailleur noir, la hure peinte en guerre, le mollet gainé de jolis bas de coton, le chef sommé d’un large béret agrémenté d’une perle, d’une plume et d’un petit bateau en matière plastique, elle me roule le dernier patin de la matinée en me recommandant sa bonne vieille maman.
Je la rassure et je surveille son départ. Embusqué derrière la fenêtre, je la regarde grimper dans un tramway. Gi ! Maintenant c’est à ma pomme de jouer. Et mon petit doigt me dit qu’il faut faire vite. La veuve Achloff va sûrement acheter un baveux ou parler à des aminches. D’ici très peu de temps elle saura qui elle a hébergé cette noye et ma position deviendra alors nettement critique.
Je dois donc m’évacuer, seulement, toujours le même problo : traqué par les bourdilles, sans fafs et sans pognon, c’est un tour de force difficile à réaliser…
Je fais le tour de l’appartement, en quête d’une inspiration. Et c’est dans la carrée de la mère Follette que je la déniche.
La robe de cette dame est posée sur un dossier de chaise. Ça me permet de voir qu’elle est longue et large, sa propriétaire étant grande et grosse ! Un jour, avec des potes, on s’était travestis. Moi je m’étais déguisé en Carmen et personne voulait croire que j’étais un vrai monsieur. Pourquoi ne tenterais-je pas un petit changement de sexe provisoire ?
Je vais ouvrir l’armoire de la déplafonnée et je n’ai que l’embarras du choix. J’opte pour un tailleur noir. Ici, beaucoup de femmes sont taillées à coup de hache. Le genre hommasse est très courant.
Je me déloque, je passe un corsage blanc (il pend un peu sur le devant, mais qu’importe), et j’enfile le tailleur. Ça craque aux épaules. Faudra pas que je fasse des mouvements trop larges, sans quoi je me fendrai comme un fruit mûr.
Ça me forcera à avoir du maintien.
Je trouve des bas gris, je les mets et les fais tenir avec des morceaux d’élastique hâtivement transformés en jarretières.
Je me sens grande folle dans cette tenue. J’ose pas me rencontrer dans une glace. J’ai un côté « Bonsouar peutite médéme » qui me vaudrait une entrée gratuite au Fiacre.
Je continue de farfouiller dans les tiroirs de la commode, puis dans ceux de l’armoire. Je dégauchis une boîte en coquillages contenant du flouze. Il y a deux mille marks, les éconocroques de la môme je présume. J’hésite, c’est vache de lui secouer son auber, mais quoi, pour moi c’est vital. Je tâcherai de lui revaloir ça un jour ! J’enfouille le fric. Je me farde copieusement : rouge aux lèvres, aux joues, noir aux châsses… Je me colle un vieux bibi sur le dôme. Puis je chope le livret de famille (ou assimilé) de la vieille. Ensuite je mets mes nippes dans une vieille valoche à soufflets et je déhote, fier comme Bar-Tabac !