Je sors de l’immeuble, très droite (bon, v’là que j’emploie le féminin pour parler de moi à cette heure ; pourvu que l’incident ne me branche pas sur une voie de garage). À peine ai-je fait dix pas que j’ai des fourmis dans le pétrousquin !
Figurez-vous que la petite Hildegarde radine, le masque ravagé comme celui de Mme Marie Bell quand elle joue Phèdre ! Elle est flanqué de trois hommes dont les fringues civiles ne cachent pas la profession. Je me dis que j’ai été bien inspiré en me déguisant. Bien inspiré surtout en mettant les bouts aussi vite. Elle n’a pas perdu de temps, la reine du Pipe-line ! Dès qu’elle a aperçu les gros titres des baveux elle s’est dégrouillée de foncer chez les Royco ! Oubliés, les belles pages d’amour, les exercices périlleux, les initiatives délicieuses ! La v’là qui se ramène avec les archers pour la cueillette du mec ! Elle a encore le goût de mes baisers aux lèvres, et elle m’envoie à la cabane aux mille lourdes ! Ça, c’est toute la femme. Elles ont la délation chevillée au radada ! Voyez l’histoire criminelle : c’est à cause des gerces que sont tombés tous les grands caïds de la pègre, les Dillinger et consorts ! Les voilà bien, les amies qui vous veulent du bien. Quand elles ont bien pris leur fade, elles vous balancent aux ordures ! Loin du slip, loin du cœur !
Bien que je m’estime méconnaissable, je me plante devant une vitrine pour laisser passer le cortège. Après quoi, je me hâte vers la gare.
C’est peut-être risqué, mais j’ai idée qu’en chiquant à la sourde-muette, je vais pouvoir me faire délivrer un bifton pour Leipzig !
Dans cette ville, j’ai un aminche qui gratte pour les services et qui saura me faire regagner Pantruche.
Ne pouvant demander ma route, je cherche la gare au pifomètre, et comme je tiens une période de veine, je la trouve du premier coup !
Mes dons de mime doivent être de première, car je me fais comprendre uniquement par gestes.
Le même soir, après un voyage sans incident, je pousse la porte du magasin de disques tenus par mon collègue, à Leipzig.
Cadot, c’est un grand type réfléchi qui n’a pas plus de cheveux qu’une bonbonnière en opaline.
Il s’avance vers moi, l’air grave et m’interroge en allemand.
Je l’interromps :
— Parlez-vous français ?
Surpris, il murmure :
— Oui, madame. Que désirez-vous ?
— Un costar et un coup de gnole, ma vieille tête de pinceau usagée !
Et de lever un coin de ma jupe sur mes jambes poilues pour lui faire voir que je ne suis pas celle qu’il pense !
ÉPILOGUE
La Méditerranée scintille jusqu’à l’infini. Les paillettes de quartz constellant la plage immense brillent d’un même feu. Il fait soleil et l’air embaume le mimosa.
J’avance le long des chaises longues alignées en rang d’oignons, à la recherche de Félicie. À l’hôtel, on m’a dit qu’elle était sur la plage. Je me sens follement heureux de vivre et de pouvoir renifler ce merveilleux soleil. Le cœur battant, je cherche M’man dans ce populo. C’est bourré de vieilles Anglish, de mirontons à revenus, et de pépées entretenues par leurs amants ou leurs maris.
Enfin j’avise un corsage mauve que je reconnais. Je fonce.
Oui, c’est bien Félicie, ma brave femme de mère. Elle pousse un cri, se dresse :
— Mon grand ! Te voilà !
Je serre sa vieille poitrine contre moi. Je renifle l’odeur tiède et triste de ses cheveux gris. Comme chaque fois que je la retrouve, quelque chose me serre le gosier.
— Oui, M’man, me voilà !
— Eh bien, tu n’as pas été long ! C’était une petite mission de rien du tout, je parie ?
— Une toute petite mission presque administrative, M’man…
Elle se dégage de moi et, confuse, murmure :
— Il faut que je te présente Mlle Paulette. Nous sommes devenues une paire d’amies à la pension. Peut-être parce que nous étions seules !
Elle me susurre à l’oreille :
— C’est une jeune fille très convenable.
Je me penche sur la chaise longue voisine de la sienne, m’attendant à trouver une mocheté quelconque. Mais j’ouvre grand le bec en découvrant une adorable petite jeune fille blonde, bronzée comme une réclame pour l’Ambre solaire.
— Je vous présente mon fils dont je vous ai parlé, dit Félicie.
Félicie a dû soigner la publicité de son chiar, car la gosse me décoche un regard brillant de convoitise.
Alors, très mondain, je me penche sur la jeune fille convenable. Me voilà paré, les mecs ; elle a des seins comme je les aime.