— Agir !
Il a relevé la tête. Curieux, ce dialogue qui s’échange à distance.
— Comment pourrais-je agir ?
— En faisant exactement ce que je vais vous dire, Larieux ! Nous allons filer en Allemagne, vous et moi !
— Mais…
— Laissez-moi jacter, bonté divine ! Vous êtes pire que Jean Nohain ! Voilà comment je vois le programme : une bagnole arrivera dans la cour. On écartera le public et vous sortirez de votre chambre pour y prendre place. Vous irez alors jusqu’à un terrain d’aviation qui vous sera désigné. Vous n’aurez qu’à me suivre à distance… Vous stopperez au milieu du terrain et vous flanquerez le feu à l’auto : on mettra des bidons d’essence à cet effet… Ensuite vous irez à un avion déterminé dans lequel je vais faire aménager une cabine pourvue d’un revêtement de plomb. Nous communiquerons par phonie car je serai également dans l’avion. Le pilote nous conduira dans la région de Breslau et nous larguera en rase campagne, de nuit… Vous avez déjà sauté en parachute ?
— Oui…
— Pas moi, vous me donnerez des tuyaux !
Son ton se modifie. J’y sens percer un vague espoir. Car l’espoir, voyez-vous, bande de clodos, est chevillé au cœur de l’homme le plus déprimé. Mon baratin resserre les écrous de son pessimisme.
— Et après, San-Antonio ?
— Après, Larieux, nous irons dans ce laboratoire à la noix et nous nous débrouillerons pour trouver l’antidote de leur saloperie !
— S’il existe !
— Il existe fatalement, car les chimistes qui travaillent là-bas seraient tous groggy depuis longtemps !
— Mais c’est une véritable forteresse… J’ai réussi par miracle !
— Je suis un spécialiste des miracles, moi aussi ! En tout cas, stoppez vos objections, mon petit, et comprenez une bonne fois qu’il n’y a rien d’autre à faire !
— C’est juste.
— Si nous échouons, il nous restera la ressource de faire sauter la baraque, non ? Ce serait déjà ça !
Il répète d’une voix terrible.
— Oui, San-Antonio, ce serait déjà ça, et ça mérite le dérangement !
— Alors vous êtes d’accord ?
— Agissez comme bon vous semblera, je vous obéirai !
— Merci, petit. Ne vous cassez plus le bol. J’ai dans l’idée que nous réussirons…
— Puissiez-vous dire vrai !
Avant de raccrocher, je lui demande :
— Voulez-vous de quoi lire ?
Il émet un ricanement amer.
— Non, je ne trouverai jamais d’histoire plus corsée que la mienne. Quand partons-nous ?
— Je vais essayer de goupiller ça pour l’autre nuit… Il faut le temps d’aménager l’avion…
— J’attends !
— O.K., refermez votre fenêtre.
Il raccroche, et tandis que j’en fais autant, il repousse la croisée.
Votre petit San-Antonio joli sent brusquement un grand coup de pompe dans ses flubes. Je m’allonge sur le lit au drap rugueux et je pense au drame de ce garçon d’en face. Il est pratiquement mort. Son agonie est lucide. Il assiste à son lent retrait du monde. Ce qui me chiffonne, c’est de lui avoir fait miroiter la guérison. Si jamais nous parvenons à pénétrer dans ce fameux laboratoire, j’aurai autre chose à glander que de lui chercher la potion calmante.
Au bout de quelques minutes de relaxation, je vais retrouver mon chauffeur. Il m’attend en lisant la vie secrète de Martine Carol dans un baveux de cinoche.
— Ministère de l’Air, lui dis-je.
Il jette Martine sur la banquette arrière et se colle au volant.
Tandis qu’il roule, je pense à Félicie dans son wagon, entre le curé et l’eczémateuse. Dans quelques plombes elle reniflera l’œillet de la Côte, la veinarde.
Puis ma pensée revient à Jean Larieux.
— Vous êtes venu voir un malade à vous, m’sieur le commissaire ? s’informe le chauffeur.
J’ai un léger hochement de tronche.
— Un malade à moi, oui…
— Qu’est-ce qu’il a ?
— Un truc dans le genre des oreillons, en plus grave…
— C’est ennuyeux chez les adultes, souligne mon chauffeur. Ça peut avoir des conséquences, paraît-il, sur le plan sexuel !
CHAPITRE III
Dans lequel je fais un voyage comme je n’en souhaite un
à personne ; pas même à mon percepteur !
Il fait une belle noche avec un clair de lune à tout casser. Là-haut, le Bon Dieu a fait astiquer les loupiotes, changer les ampoules et braquer les projos sur la planète Terre. Oui, c’est la nuit de gala. Je donnerais n’importe quoi et le reste pour me baguenauder sur la Riviera avec une marchande de bonheur au lieu de piétiner la cour de cet hosto en attendant l’heure H.
Je songe, en biglant le ciel velouté, à tous les trucs également veloutés que je pourrais faire à la donzelle de mes rêves. Comme j’ai les rêves tournants, je la vois tantôt brune comme toute l’Espagne, tantôt d’un blond à faire râler la fée Marjolaine.
Néanmoins, brunes ou blondes, toutes possèdent certains points communs : elles sont carrossées par Ferrari et quand elles se laissent embrasser, les thermomètres sautent à qui mieux mieux comme les bouchons de champagne dans un banquet d’anciens combattants.
Ma breloque annonce dix plombes. Je zieute le petit pavillon occupé par Larieux. Seule une fenêtre est éclairée : la sienne. Et derrière ce rectangle de clarté laiteuse, j’aperçois son ombre dansante qui grossit ou s’amenuise. Il doit être vachement nerveux, le frère ! Encore plus que moi, je le parierais !
Je lui ai bien filé les consignes et, à en juger à sa voix, il est bien décidé à les suivre.
Tout le bâtiment est encerclé par des bignolons qui battent la savate au clair de lune en pensant à leurs bergères qui les attendent dans la tiédeur de la couche commune !
Encore un quart d’heure à tuer, si je puis me permettre cette métaphore hardie. Je vais jusqu’à ma chambre et je décroche le tube. La standardiste est au courant et, sans que j’aie besoin de claper, elle me branche sur la turne de mon pauvre collègue. L’ombre s’éloigne de la fenêtre, de l’autre côté de la cour. La voix de Larieux est nette. Il a récupéré toute son énergie.
— Larieux ?
— Oui.
— J’ai oublié de vous faire régler votre montre sur la mienne. J’ai dix heures quatre !
— O.K. !
— Comment vous sentez-vous ?
— Pas mal.
— Obéissez-moi aveuglément et tout ira bien ! J’ai un porte-voix pour vous crier des instructions en cas de changement de programme.
— Entendu.
— Autre chose, si pour une raison ou pour une autre nous sommes obligés de stopper en allant à l’aéroport, je vous préviendrai en vous faisant un signal avec une lampe de poche, vu ? Ne nous serrez pas de trop près.
— Soyez sans crainte.
— Dans votre voiture, conservez les vitres fermées…
— D’accord…
— À tout de suite. Vous partez à dix…
— Je sais.
Je raccroche. Maintenant les dés sont jetés. Comme je parviens dans la cour, les motards que j’ai demandés à la Routière radinent. Il y en a quatre. Je leur fais signe de me suivre jusqu’à la vieille traction mise à la disposition de Larieux.
— Deux d’entre vous passeront devant ma voiture pour dégager le peu de circulation qui pourrait subsister… Cette auto-ci, ayant un seul homme à son bord, nous suivra… Les deux autres motards fermeront le cortège. Mais avis à ces derniers de ne pas s’approcher de ce véhicule… Ne cherchez pas à comprendre, sachez seulement que ce serait dangereux pour eux. Si par hasard le conducteur de cette traction essayait de nous fausser compagnie — il faut tout prévoir —, prenez-le en charge et abattez-le. Surtout ne l’approchez pas, même mort, compris ?