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Les moteurs tournent rond. Le clair de lune est merveilleux… En bas, les petits bonshommes terriens en écrasent ou bien font des fantaisies à leurs nanas.

Je me mets à rêvasser. Mes pensées sont molles comme de la colle et tout aussi poisseuses. Le ronron de l’avion m’engourdit. Soudain, la voix de Larieux retentit, angoissée.

— San-Antonio !

— J’écoute !

— Je me sens mal !

Il ne manquait plus que ça. J’avais pensé à tout sauf à cette éventualité de Larieux tombant en digue-digue… S’il compte sur mézigue pour lui administrer un vulnéraire, il se cloque le médius dans l’œil jusqu’au slip.

— Qu’éprouvez-vous, vieux ?

— Des… heu… vertiges… J’ai la tête qui me tourne et je sens une nausée…

— Buvez un coup de gnole…

Je perçois le faible bruit de la bouteille qu’il débouche.

À toute allure, je tâche de me remémorer les symptômes ressentis par ceux qui ont claboté du mal qu’il sème. Sudation, a dit le Vieux. Étouffement ! Il n’a parlé ni de vertiges ni de nausées.

— Larieux.

Un gémissement me répond.

— Ça ne va pas ?

— Pas fort…

— Vous avez bu un peu d’alcool ?

— Oui.

— Je viens de réfléchir, c’est l’altitude qui vous fait ça… Et puis le fait que vous soyez dans un espace réduit… Ouvrez la petite lucarne d’aération qu’on a pratiquée dans la paroi de gauche…

Un instant se passe encore. Je n’ose lui demander de ses nouvelles, c’est lui qui m’en donne.

— Je me sens un peu mieux, San-Antonio, je crois que vous aviez raison : ça venait du manque d’air…

Je libère un profond soupir.

— Vous voyez ! Il ne faut pas vous démoraliser, mon petit vieux, plus qu’une heure et demie de patience et nous nous retrouverons à pied d’œuvre…

Je devine que le son de ma voix est le dernier lien qui l’attache à ce monde.

— Oui, fait-il, parlez-moi, San-Antonio… Sinon je crois que je vais ouvrir la trappe sans passer le parachute !

— Et, dites pas de conneries, Jean ! On ne fausse pas compagnie aux aminches de cette façon. Vous me rappelez la blague du zig qui s’apprête à sauter de l’avion pour la première fois. Il demande à son pote : « Et si mon parapluie ne s’ouvre pas ? » — « T’as le droit de réclamer ! », lui répond l’autre.

Je n’espère pas un rire de lui. D’abord parce que la blague n’est pas fameuse, ensuite parce qu’il faudrait des comiques vachement efficaces pour dérider un gnace portant la mort sur les endosses. Je me mets à lui dégoiser mille et une balourdises, pour meubler le silence.

À force de jacter, j’en ai la gorge qui me brûle et je dois avoir recours à ma panoplie du parfait petit pochard pour m’humecter la glotte.

Lorsque, épuisé, je la boucle, le cadran lumineux de ma tocante m’annonce que nous ne sommes plus qu’à un quart d’heure du but.

— Dites donc, fait brusquement Larieux, comment communiquerons-nous une fois à terre ?

— Vous tracassez pas, nous aurons chacun un talkie-walkie… Le vôtre se trouve sous votre parachute, n’oubliez pas de l’attacher à votre poitrine avant de sauter !

— Parfait…

L’avion poursuit à haute altitude sa route magistrale. M’est avis que nous devons troubler des radars… Pourtant le pilote, un chevronné de la dernière, connaît son job et paraît magnifiquement calme.

À une certain moment, il se tourne vers moi et me fait signe de passer le parachute. Je transmets l’ordre à Larieux.

— Préparez-vous… nous approchons…

Moi-même, je charge mon anarchement et je vérifie la fermeture des sangles. C’est la première fois que je vais bouffer de l’espace et ça m’intimide un peu. Je me suis fait expliquer la manœuvre du pébroque, cependant, bien que l’ayant parfaitement pigée, j’ai le trouillomètre dans le minima. Dites, les potes, vous ne voyez pas qu’un loustic me l’ait mis en portefeuille ? Pour le coup, on affiche Descente rapide, avec Numérote tes plumes en complément de programme !

Je file un coup de périscope sous moi. Nous survolons une région boisée, mais au loin, une plaine aux doux vallonnements s’amorce.

Le pilote lève la main.

Je lance à Larieux :

— Zieutez bien votre montre ! Vous sauterez dans deux minutes exactement. Maintenant posez votre casque… Et à tout de suite en bas !

— Bonne chance ! dit-il.

C’est fini. Nous voilà coupés momentanément l’un de l’autre. Je m’approche de la trappe spécialement conçue pour moi et je l’ouvre. Un tourbillon d’air glacé s’engouffre en miaulant dans la carlingue. J’ai les carreaux rivés à la trotteuse de ma montre…

Plus que trente secondes avant le plongeon de Larieux. Il a été décidé que je sauterais tout de suite après…

Je bigle un petit coup le carré d’infini ouvert sous mes pas. Je pense à ma vieille Félicie qui doit pioncer dans sa pension Mimosa…

Plus que dix secondes. Je compte posément :

— Neuf, huit, sept, six, cinq, quatre…

Une forme blanche chute soudain de l’avion, comme une fiente. C’est Larieux qui a ouvert la trappe plus vite que prévu. Une sorte de gigantesque drapeau blanc claque au-dessus de lui, puis le drapeau se gonfle, s’épanouit… Ça s’est bien passé pour sa pomme.

Je joins les pieds, je ferme les châsses, je crispe mes doigts sur le levier de déclenchement de mon parapluie, et : good night ! me voilà parti dans les grands espaces…

Vous ne pouvez pas savoir ce que c’est fameux… J’ai l’impression de marcher dans l’univers sidéral, d’enjamber des planètes… Il me semble que le sol n’existe plus et que pour toujours je vais me baguenauder dans cet infini moelleux.

CHAPITRE IV

Dans lequel, en retrouvant la vie, je pars

à la recherche de la mort

Le pilote m’avait expliqué :

— Vous compterez lentement jusqu’à six. Puis vous actionnerez l’ouverture de votre parachute.

Or voilà que, tout à mes délices d’homme-oiseau, je perds toutes notions comptables. Brusquement je réalise que ça n’est pas le tout et que si je ne libère pas ma toile, je risque de me faire une entorse avant longtemps. Je tire donc la boucle qui doit m’assurer les joies du vol plané… Seulement il ne se produit strictement rien et je continue de dégringoler avec la légèreté d’un caillou. Du coup j’ai les portes à glissière qui se ferment ! En un éclair, j’imagine l’arrivée au rez-de-chaussée ! Vous parlez d’une bosse, mes enfants ! C’est pas le chemin de la terre, c’est celui du ciel que j’emprunte en ce moment ! D’ici pas longtemps je connais un zigoto qui va carillonner chez saint Pierre pour se faire ouvrir !

« Toc-toc ! qui qu’est laga ? » demandera le barbu.

Et mézigue de gazouiller avec accompagnement de harpe :

« C’est le petit San-Antonio d’amour ! Il vient toucher sa paire d’ailes et son luth ! »

Le clair de lune illumine la terre… Celle-ci vient à ma rencontre dans un tourbillon qui me semble lent et majestueux.

Plus bas, sur la droite, un gros champignon blanc dérive lentement ; c’est cette boîte à microbes de Larieux qui se laisse balancer par son pébroque à ficelles. Non, mordez un brin l’ironie des choses ! V’là un gnard contagieux comme y en a encore jamais eu ! Sa vie ne tient qu’à un fil — et pas à celui de son parachute. Il a comme qui dirait un pied dans la tombe et l’autre dans un pot de vaseline… Je suis chargé de lui filer la grande potion calmante, et voilà que c’est son appareil à lui qui fonctionne, alors que le mien fait la grève des bras croisés !