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— Vous êtes blessé ? lui crié-je…

Sa voix étouffée me répond.

— Non, mais je suis coincé dans mes cordages, pas moyen de me dégager…

Je grimpe à un arbre proche pour examiner la situation du plus près qu’il m’est permis. Je fais la grimace. L’enfant se présente mal ! Comme je vous l’ai dit, la toile du parachute couronne l’arbre. Pas moyen de l’extirper de là. Larieux pend, quelques mètres plus bas, ligoté par ses câbles après une branche.

— Essayez de tirer sur vos cordes !

— Je ne fais que ça depuis un quart d’heure, mais sans résultat. En tombant j’ai voulu m’accrocher aux branchages, je me suis retourné les bras dans le dos et maintenant je me trouve tout à fait coincé ; l’une des cordes a dû faire un tour mort autour de ma poitrine ; plus je tire dessus, plus ça me paralyse !

Je déballe une série de grossièretés que ma bonne éducation, jointe à celle de mon éditeur, m’empêche de reproduire ici. Vous avouerez que, comme manque de bol on ne fait pas mieux ! S’il s’agissait d’un être normal, il me faudrait cinq minutes pour le dégager ! Seulement, pour dégager Larieux, il est obligatoire que j’aille jusqu’à lui. Si je vais à lui, je le sors du pétrin, mais je me tape aussi ses virus, et ces bestioles-là, croyez-moi, c’est pas avec de l’onguent gris qu’on les traite !

Je redescends de mon perchoir et je me cramponne à la toiture à deux mains. Qu’est-ce que je pourrais bien essayer pour tirer Larieux de l’impasse ? J’ai beau invoquer Saint Louis, qui s’y connaissait pourtant en chêne, ma pile électronique refuse énergiquement de fonctionner. La situation est tellement critique que j’en ai des aigreurs dans le parc à huîtres ! Sapristi, je ne peux pourtant pas me faire la paire en laissant le gars Larieux dans ses ficelles ?

Il rouscaille comme une marchande de poissons ! La voix des chênes c’est bien lui ! Et c’est moi le gland par contre ! Je suis là, dans ce coin paumé d’Allemagne orientale, à me malaxer la matière grise en attendant l’idée géniale ! Vrai, j’ai honte de moi ! Je me fais l’effet de la poule qui a couvé des canards et qui les regarde se tailler sur la mare…

Quand je pense qu’à ces heures, sans les brillants exploits de l’autre tordu là-haut qui joue les cocons sous la lune, je serais dans une bath pension of family de la Côte ! Félicie roupillerait pendant que, dans une chambre voisine, je me ferais donner des leçons particulières par une dame convenable !

J’entends craquer les branches sous les ruades de Larieux.

— Ça vient ? je demande mollement, d’un ton qui a peine à réprimer son irritation.

— Hélas non ! Que faut-il faire, San-Antonio…

— N’insistez pas… Attendez !

— Attendre quoi ?

— Le jour !

— Qu’est-ce que ça changera ?

— On y verra clair !

Il n’insiste pas. Pour lui remettre un peu de courage dans les tripes, j’ajoute :

— Il ne tardera du reste pas beaucoup, il sera bientôt quatre heures. Vous n’avez pas froid ?

— Au contraire, j’ai tellement gigoté que je suis en nage.

— Eh bien, continuez de remuer, mon vieux, il ne s’agit pas de choper la grippe.

Il émet un petit rire fêlé.

— Vous savez, au point où j’en suis…

Il me vient une question que je ne lui ai pas encore posée :

— Vous êtes marié ?

— Non ! C’est toujours ça, n’est-ce pas, je ne laisserai ni veuve ni orphelin…

— Vos parents vivent toujours ?

— Ma mère, oui…

Je sens une curieuse douceur m’envahir. Une bonne impression de chaud dans la poitrine.

— Comme moi, murmuré-je… Comme moi !

CHAPITRE V

Dans lequel il est prouvé qu’à côté de moi,

Buffalo Bill sucrait les fraises !

Dans un bois, le jour met beaucoup plus de temps à radiner. Les heures s’écoulent avec une lenteur déprimante.

Je me suis assis au pied d’un arbre, sur des branchages morts, et je m’efforce de conserver le moral des troupes en lançant des gaudrioles à Larieux.

— Vous êtes comme les chauves-souris, je lui dis, sauf que vous ne vous pendez pas par les pinceaux… Mince d’angelot largué du ciel. Si un pégreleux s’annonçait, il vous prendrait pour un Martien en quête de soucoupe !

Il répond mollement. D’après lui, les cordes lui compriment le cimetière à poulets et ça le gêne pour faire du tennis de table ! Moi, je sens une sourde inquiétude me triturer la viande. Pour tout vous dire, les potes, j’ai peur de me faire faire une clé japonaise par les virus du copain. On a beau me dire qu’il ne distribue ses microbes que dans un rayon de dix mètres, après tout ça n’est pas certain ; on n’a pas eu le temps, ni la possibilité de le mettre en observation suffisamment longtemps pour pouvoir l’affirmer de façon irréfutable. Qui sait si, à force de rester à proximité, je ne vais pas avoir droit à un arrivage ? Et puis, son mal peut être véhiculé de différentes manières : tenez, les mouches par exemple se le coltineraient que ça ne m’étonnerait pas… Voilà que j’ai peur des mouches, moi le dur de dur ! L’homme qui n’a jamais eu peur de rien, pas même des mouches ! C’est à se taper !

— Vous êtes là ? s’inquiète Larieux.

— Et un peu là, je gouaille…

Il soupire.

— San-Antonio…

— Oui ?

— Dans le fond, cette expédition est idiote. Il aurait mieux valu me laisser disparaître… Une balle dans la tempe, au bord d’un trou. On n’avait plus qu’à remettre la terre par-dessus !

— Vous avez fini de dégoiser des turpitudes pareilles ?

— Si vous pouviez savoir ce qu’on éprouve quand on se dit qu’on n’est plus un homme mais une arme ! Je comprends maintenant que sa propre mort n’est rien en comparaison de celle qu’on donne aux autres !

— Écoutez, Larieux, faites pas de philosophie là-haut, ça me donne le vertige. Vous n’êtes plus un homme, en effet, mais un gland ! Quand vous serez descendu de votre chêne on s’attellera à un boulot plus sérieux !

— En descendrai-je seulement ?

— Ben voyons ! Comme dirait un de mes amis vénitiens, c’est une lagune qu’on va combler !

Un nouveau silence. Un nouveau temps… mort ! L’obscurité du sous-bois commence à faire place à une lumière grise, qui coule entre les branchages et met un temps infini à parvenir jusqu’à moi.

— Voilà le jour, annonce Larieux.

— Pour vous peut-être, mais pas pour moi !

— Dites, San-Antonio, ça vous ennuierait que nous nous tutoyions ?

— Au contraire, tu penses…

Il ajoute, d’une voix rauque.

— Moi, ça me fait du bien…

Je me lève, engourdi par l’humidité et l’inaction. Je fais ma petite culture physique et j’allume une cigarette. L’astre du jour (comme on dit dans les textes de qualité) dispense ses chauds rayons sur les frondaisons. Je pense qu’il fait assez clair pour se mettre au turbin.

Je ressens une faim de cannibale. Nous avons emporté un tas de choses sauf de la becquetance et j’ai mon durillon de comptoir qui m’adresse une solennelle protestation. Lorsque mon petit camarade sera descendu, il faudra que je me mette en quête d’une charcuterie, les Allemands sont champions dans ce domaine. Les canons, le cochon et les virus filtrants n’ont pas de secret pour eux.

Vous leur donnez vos vieux candélabres, et ils en font une mitrailleuse lourde ; vous envoyez votre ami Isaac en vacances chez eux, et ils en font du savon à barbe ! Des cracks, quoi ! À côté d’eux, nous avons bonne mine, nous autres, avec notre cuisine, nos parfums et notre esprit ! En cas de guerre, c’est pas avec un jeu de mots qu’on gagne la bataille. D’autant plus que, si nos soldats marchent au pas, ils ne savent pas marcher au pas ensemble ! Enfin, le Bon Dieu est avec nous, tout le monde sait ça !