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Nous sommes ses petits chouchous, au Barbu. Seulement Il commence à se faire vieux ! Vous ne voyez pas qu’un de ces quatre matins Il fasse le sourdingue quand on appellera au secours ?

Sale affure, les mecs ! Vaut mieux pas trop y penser ! Vaut mieux se dire que ça continuera toujours ! Quand une habitude est prise, c’est pour longtemps ! Les miracles n’ont lieu qu’une fois, disait l’autre ! Tu parles ! Où est-ce qu’on serait, alors ! En France, le miracle c’est presque une industrie nationale. On n’exporte pas parce qu’on en a trop besoin pour notre consommation personnelle, mais c’est une branche en pleine activité.

Y a des gens qui se font des berlues en s’imaginant que Lourdes est la capitale de cette industrie ! Erreur profonde… Il ne s’agit que d’une sous-agence réservée aux cas isolés… Le miracle nationalisé se fabrique exclusivement au Palais-Bourbon.

Je me déleste de mon appareil émetteur, de mes grenades et autres cartouches d’explosif. Je grimpe à un arbre de façon à me trouver au niveau de Larieux, tout en respectant l’écartement de sécurité.

— Que vas-tu faire ? s’inquiète Larieux.

— Couper tes ficelles, hé, saucisson !

— Comment ?

— Avec mon pétard… J’ai dans ma salle à manger une bath médaille en caramel mou sur laquelle il y a écrit « Premier prix de tir au pistolet »… Alors tu vois !

J’assure mon feu dans ma main, je m’installe à califourchon sur une haute branche et je repère les cordes tendues. Il y en a un vrai faisceau. Sûr et certain qu’il va me falloir deux chargeurs complets pour cisailler cet écheveau.

— Tu y es ?

— Oui.

— Ne t’affole pas. Simplement, lorsque tu te sentiras dégagé, cramponne-toi aux branches, vu ?

— Vas-y !

Je replie mon coude gauche à la hauteur de ma figure, j’appuie le canon du composteur sur ma manche et je vise soigneusement la première corde. Pour presser la gâchette, on ne doit jamais avoir un mouvement de l’index, souvenez-vous-en ! Il faut que votre doigt se dilate sur la gâchette et que le coup parte sans que vous le décidiez vraiment.

Le pétard me saute dans la main. Je bigle et j’aperçois la corde sectionnée. Je recommence une fois, deux fois… À chaque coup de feu un lien est tranché… Je vous le dis, comparé à moi, Buffalo Bill n’est qu’un pauvre manche ! Je touche la quatrième sans la couper toutefois et je dois remettre ça ! Il ne reste plus que deux ficelles… En deux coups de seringue c’est râpé !

Larieux pousse un cri. Il n’a pas eu le temps de ramener ses bras devant lui, sans doute parce qu’ils étaient engourdis par ces heures d’immobilité. Il ne peut enrayer sa chute et le voilà qui dégringole à travers les branches, comme un sac de sable.

J’entends un grand plouf, puis plus rien…

En quatrième vitesse je déhote de mon perchoir… J’ai un tracsir monumental qu’il se soit tué.

En touchant terre je crie :

— Larieux !

Il gémit.

— Oui, je suis là…

Je regarde à distance et je le vois assis sur le sol avec la jambe gauche à l’équerre. La position de sa guitare me fait comprendre qu’il a la cuisse brisée. C’est plutôt moche !

Il souffre comme un damné. Il est vert et il serre les chailles pour ne pas hurler de douleur. Si je m’écoutais, je chialerais de rage. Rendez-vous compte, les gars, que je ne peux rien pour lui…

— J’ai la jambe brisée, hoquette-t-il… Ah ! ce que j’ai mal, San-Antonio… Qu’ai-je fait au Ciel pour mériter tant de malheurs !

Je sors mon flacon de scotch et je le lui lance adroitement.

— Commence par vider ça… On va aviser…

Il m’obéit et l’alcool paraît lui redonner un peu de couleur.

Moi je tire mon ya de ma fouille et je me mets à couper deux grandes branches fourchues. Je les élague, les taille… Et je finis par obtenir deux béquilles très rudimentaires.

— Attention, je te les lance !

Il se pare le visage avec les bras et je parviens à jeter les béquilles à côté de lui.

— Je pense que tu pourras marcher avec ça, en serrant fort les dents, non ?

— Je ne peux pas me mettre debout, San-Antonio…

— Attends, je vais t’aider…

Je déroule le filin de Nylon que j’ai eu la précaution d’emporter. Il mesure une vingtaine de mètres. J’attache à l’une des extrémités un bout de bois auquel il pourra se cramponner et je le lui lance aussi adroitement que les béquilles.

— Bon, maintenant plante tes béquilles en terre pour pouvoir les saisir facilement une fois debout !

Il obéit en grimaçant… Ses dents s’entrechoquent à une cadence accélérée. Je les entends à vingt mètres…

— Tu vas saisir le manche de bois, je tire, tu dois parvenir à te mettre droit !

Je mets tant de conviction dans mes paroles que ça le subjugue. En gémissant, il se dresse. Sa pauvre flûte pendouille à son côté comme un fourreau d’épée.

— Mets-toi les béquilles sous les aisselles, gars… Et tâche d’avancer…

Il fait de louables efforts pour m’obéir. Il lance son pied valide en avant, puis essaie de ramener ses bouts de bois, mais il perd l’équilibre et il s’étalerait sans la présence opportune d’un arbre auquel il parvient à s’acagnarder…

— Je ne peux pas, San-Antonio… Je ne peux pas ! Ah ! c’en est trop ! Tire-moi une balle dans la tête et fous le camp !

Des larmes ruissellent sur sa pauvre gueule ravagée. J’en ai la poitrine serrée et les mots se coincent dans ma gorge.

— Tu ne peux pas parce que tu souffres… Je vais te refiler des cachets pour te doper. J’ai pensé à tout, tu vois…

Je lui lance la boîte carrée dont je me suis muni et qui contient un doping terrible.

— Prends-en deux et remise les autres…

Il est docile, le pauvre Larieux… Il fait ce que je lui dis et attend contre son arbre moussu. La forêt est tout à fait éveillée maintenant. Les zizes font un ramdam de tous les diables… Des pastilles de soleil éclaboussent le sol couvert de mousse.

— San-Antonio, balbutie mon camarade, jamais on ne pourra réduire cette fracture ! Jamais, tu m’entends !

— Mais si, quand on t’aura guéri…

— Guérir ! Tu en as de bonnes. Qui te dit qu’ils ont un remède contre leur charognerie !

— La logique !

— C’est pas avec de la logique que je m’en sortirai…

La situation est désespérée… Nous voici condamnés à l’immobilisme. Oui, c’est ultramoche… Moi qui parlais de miracles, tout à l’heure, je ne moufte plus ! Songez que nous sommes bloqués dans ce bois d’Allemagne orientale, sans secours et sans la possibilité de pouvoir en demander.

— Ça va mieux ?

— Oui, d’un seul coup, je n’ai plus mal !

— Alors marche ! Il le faut, Larieux ! Tu le sais ! Marche !

— C’est ce qu’on a dit à Lazare !

— Et il a marché, mec ! Tu ne vas pas te laisser damer le pion par un gars qu’était même pas Français !

Il essaie un piètre sourire… Puis il plante courageusement ses béquilles dans le sol et se met à sautiller. Il parcourt un mètre, puis deux…

— Tu vois que tu peux !

— Oui, ça ira…

— Bon… Je vais te lancer la carte de la région avec notre position cochée au crayon rouge… Repère la route du laboratoire et donne-moi les indications !