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— Oh, mon ulcère ! gémit Gelardi. Je comprends la nécessité maintenant, mais la direction du réseau va en attraper la chiasse.

— Ne t’occupe pas d’eux. Il y a trois autres réseaux de télévision qui donneraient beaucoup pour avoir Bug Jack Barron, et ils le savent. Tant que Howards aura trop la frousse pour intervenir, la direction gueulera, mais ne fera rien. Idem pour nos sponsors. Avec le fric que fait l’émission ils s’achèteront de quoi soigner leurs ulcères. Le problème, c’est : quel genre d’appel allons-nous pouvoir utiliser contre Howards mercredi prochain ? Nous ferons un truc bidon si nous ne pouvons pas faire autrement, mais ça ne me dit pas grand-chose. Si Howards ou bien le réseau ou la F.C.C. s’apercevaient que nous avons truqué une émission…

— Si on faisait la scène du lit de mort ? suggéra aussitôt Gelardi.

Sacré vieux Vince, pensa Barron. Sortez-lui n’importe quelle histoire, et il ne marche pas, il court.

— Du lit de mort ?

— Ouais, on reçoit au moins une demi-douzaine d’appels par semaine, dans le genre larmoyant. La régie a ordre de ne pas les laisser franchir le premier écran. Un type est en train de crever, lentement mais sûrement, la plupart du temps du cancer, la plupart du temps aussi avec l’aide sociale ou une maigre pension d’État, et toute la famille s’assemble autour du vidphone avec le macchabée comme pièce principale du décor, et t’appelle pour que tu demandes à la Fondation d’accorder au vieillard un contrat d’Hibernation à l’œil. Du vrai mélo, quoi. Il y a même toutes les chances pour qu’on dégote un moribond en assez bon état pour faire une partie des frais de la conversation. Et on peut aussi ajouter quelque chose sur le préjugé racial, si tu veux.

Hum, pensa Barron, je vois ça d’ici. Dix minutes, un quart d’heure peut-être de pleurs atroces, et je fais passer Bennie (pas question qu’il ne réponde pas ce coup-ci) pendant tout le reste de l’émission. Quelques coups de lanière cinglante pour commencer, ensuite à lui de se dépatouiller, puis le fouet à nouveau, et je le laisse marquer un ou deux points, puis un nouveau coup de soulier dans les balloches, pour qu’il comprenne bien sa douleur. Lui montrer que je peux le laisser sur le tapis quand je veux, mais remettre à plus tard le coup de grâce, que la poule aux œufs d’or puisse pondre encore une fois – sans compter que ça fera une émission du tonnerre !

— Ça me plaît, ça me plaît, dit-il. Mais laissons le problème racial pour cette fois. Il s’y attend, et je préfère frapper là où il n’est pas préparé. Fais-toi passer directement tous les appels de lit de mort, et transmets-moi le plus saignant que tu pourras trouver.

— C’est toi le boss, Jack, mais personnellement cette histoire me fout la frousse. Une petite erreur de tir, et au lieu de caner, Howards va s’affoler et nous faire le coup de l’avion-suicide. C’est de la corde raide, avec pour balancier et ton job et le mien.

— C’est la règle du jeu, Vince. Tu me pousses sur la corde, et je fonce. Aie confiance dans le vieil oncle Jack.

— Je te fais confiance comme à mon propre frère, dit Gelardi.

— Je ne savais pas que tu avais un frère.

— Ouais. Il fait ses dix ans à Sing Sing pour faux et usage de faux. On se reverra dans la poêle à frire, Jack.

5

— Propre ? dit Benedict Howards, ignorant son collaborateur au visage vide de gratte-papier et admirant par la grande baie vitrée les murs blancs du Complexe central d’Hibernation de Long Island, monolithe à la gloire de l’immortalité qui s’élevait comme un démenti à l’incompétent Wintergreen, serviteur de la mort cercle noir qui s’estompe, complice irresponsable de Jack Barron. Personne n’est tout à fait propre, Wintergreen, répéta Howards, et certainement pas quelqu’un avec un passé aussi chargé que ce Jack Barron : Fondateur de la Coalition pour la Justice Sociale ; ex-agitateur de Berkeley ; ami d’enfance de toute la racaille prochinoise du pays… et vous osez venir me dire en face que Barron est propre ? Propre comme une fosse d’égout, oui.

Wintergreen tripota l’épais dossier de carton jaune qu’il tenait dans ses mains et qu’il ne cessait de retourner nerveusement sur ses genoux.

— C’est-à-dire que dans ce sens, oui, monsieur Howards, vous avez raison. (Oui, monsieur Howards. C’est tout ce que ce damné singe sait dire, pensa Howards.) Mais j’ai là un dossier complet sur Barron, et je ne vois rien que nous puissions utiliser contre lui. Absolument rien. J’engage ma réputation là-dessus, monsieur.

— Vous engagez bien plus que votre soi-disant réputation, répliqua Howards. C’est votre job qui est en jeu, et aussi votre place dans un Hibernateur. Je n’ai pas l’intention de continuer à payer un « directeur des recherches personnelles » pour qu’il me chie un tas de papiers sans valeur alors que c’est la tête d’un homme que je veux. Vous êtes payé pour trouver un levier à utiliser contre Jack Barron, et vous le trouverez.

— Mais je ne peux pas fabriquer quelque chose qui n’existe pas, gémit Wintergreen. Barron n’a jamais appartenu à aucune organisation subversive, comme certains de ses amis. On ne peut l’associer à rien de plus compromettant que quelques manifestations techniquement illégales, et par les temps qui courent ce genre de chose est propre à faire de lui un héros plutôt qu’un criminel. Il n’appartient plus à la C.J.S. : il l’a quittée un an après avoir eu son émission de télé. Il gagne beaucoup d’argent, dépense libéralement mais ne s’endette jamais. Il couche avec un grand nombre de femmes non mariées, ne se livre à aucun vice illégal, n’absorbe aucune drogue interdite par la loi. Il n’y a rien dans tout cela que nous puissions retourner contre lui, et c’est dans ce sens, le sens où vous l’entendez, monsieur, qu’on peut dire qu’il n’a absolument rien à se reprocher. (Wintergreen reprit son dossier, qu’il se mit à plier nerveusement sur les bords).

— Cessez de jouer avec ce dossier ! éclata Howards. (Foutu crétin. Ce pays est rempli de crétins qui ne sauraient pas retrouver leur cul sans s’aider d’une boussole.) Donc, nous ne pouvons pas faire chanter Barron, dit-il en savourant l’effet produit sur Wintergreen par la brutalité de l’expression « faire chanter ». Ce type-là, vivre immortel ? pensa-t-il. Ce besogneux terne et foireux, immortel ? L’immortalité est pour ceux qui ont des couilles, qui ont eu le courage de lutter, de s’élever des plaines stériles du Texas aux cercles du pouvoir cercles d’éternité, les autres sont juste bons à jeter aux poubelles cercle noir qui s’estompe, n’ont que ce qu’ils méritent – comme ce minable trouillard de Hennering.

— Il est possible qu’on ne puisse pas le faire chanter, reprit Howards, mais n’importe qui peut être acheté, une fois qu’on connaît son prix.

— Vous lui avez déjà proposé ce qu’il y a de plus élevé, un contrat d’Hibernation, et il n’a pas accepté.