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— Une place dans un Hibernateur… en échange de quoi ? Je ne possède pas cette sorte d’argent. De plus c’est bien trop injuste : ceux qui ont la chance de posséder quelque chose que vous voulez continuent indéfiniment, tandis que les autres meurent et partent pour toujours. C’est ce qu’il y a de si horrible dans votre Fondation. Des gens meurent par millions et vous et quelques milliers de salauds qui ont de l’argent vous vous payez l’éternité ! Avec un programme d’Hibernation publique nous…

— Qui fait de la philosophie maintenant ? persifla Benedict Howards. D’accord avec vous, personne ne devrait mourir. Mais du moment que je ne puis mettre tout le monde au frigo, je choisis ceux qui ont quelque chose à m’offrir en échange. Hibernation publique de mes fesses ! Mon système au moins a le mérite d’exister. Tant pis si je suis un monstre parce que je ne peux pas favoriser tout le monde. Ou bien vous traitez avec moi ou bien vous serez mangée par les asticots. Choisissez. Partez si vous voulez, et plus jamais vous n’entendrez parler de moi. Vous mourrez vertueusement, mais vous n’en serez pas moins morte.

Uniquement consciente de ses lèvres, ses dents, sa chair mortelle, sa langue gonflée de sang tandis qu’elle formulait les mots, Sara répondit :

— Très bien, je ne suis pas encore partie, vous voyez. Je ne veux pas mourir, d’accord, mais ça ne veut pas dire que je capitule sans conditions. Il y a encore un certain nombre de choses que je ne ferais pour rien au monde, pas même pour avoir la vie éternelle.

Dans son esprit défilèrent des images d’horreur de sorts pires que la mort : mutiler de ses dents les parties génitales de Jack dévorer tout vif un chiot croupir dans la pourriture des milliers d’années assassiner sa propre mère baiser avec Howards… quête désespérée d’un prix trop élevé à payer au diabolique monstre au regard de belette… impuissante au milieu de la réalité qui la blessait, consciente de l’insoutenable vérité – que la mort est irrévocable. Quel crime allait être assez terrible pour qu’elle ne l’endosse pas ? Faites que ce soit, pria-t-elle muettement, quelque chose de trop horrible pour que j’accepte !

— Rassurez-vous, dit Benedict Howards. Je ne vais vous demander de tuer personne, et vos attraits ne m’intéressent pas. Si vous voulez être immortelle, vous n’avez qu’une seule chose à faire : vous foutre au pieu en compagnie de Jack Barron !

Cela l’atteignit là où elle n’était pas préparée dans la vulnérable chair féminine de son esprit. Pas question de crime atroce, rien que la bouche de Jack à nouveau contre la mienne, son corps aux angles durs emplissant le mien me déchirant langues nouées dans nos endroits intimes nos liquides mêlés… Jack ! Oh, Jack !

Mais elle vit le regard froid, calculateur de Benedict Howards et les choses s’ordonnèrent différemment. Combien cet être nauséabond en sait-il ? se demanda-t-elle en se disant qu’Howards devait tout savoir, tout ce qui pouvait s’insérer dans les rets du pouvoir qu’il avait tendus. Jack est une importante créature de pouvoir maintenant, quantité mesurable de pouvoir-réalité, mesurée par Howards, désirée par Howards, redoutée aussi par Howards peut-être, et je suis le prix demandé par Jack en échange : Sara Westerfeld livrée dans son lit, le grand amour comme à Berkeley, mais seulement aux conditions fixées par Jack. Retourner avec lui, vivre pour l’éternité avec le fantôme des temps passés d’un Jack Barron si déchu qu’il envoie un reptile Howards faire le maquereau pour son compte…

— Ainsi, Jack est tombé si bas ? fit-elle avec cynisme. Et qu’est-il censé faire pour vous quand vous lui livrerez mon corps ?

Benedict Howards se mit à rire.

— Vous avez compris tout de travers, dit-il. Barron n’est au courant de rien et ne le sera jamais. Pas par moi… et pas par vous non plus, je suppose ? Je ne veux pas vous vendre à Jack Barron. C’est vous qui allez le convaincre de me vendre quelque chose. Je veux qu’il me signe un contrat d’Hibernation gratis exactement semblable à celui que je vous offre. C’est le seul marché que je vous propose. Le jour où vous faites signer à Barron un contrat avec la Fondation, je signe le vôtre en même temps. C’est tout ce que vous avez à faire. Après ça, vous et moi nous sommes quittes. Vous pouvez laisser tomber Barron ou rester avec lui, ou même lui dire toute la vérité, ça ne me fera ni chaud ni froid. Qu’est-ce que vous en dites ? N’est-ce pas l’affaire du siècle ? De l’éternité, même… ?

— Mais je n’aime pas Jack, affirma-t-elle. Je le méprise presque autant que je vous méprise.

— Votre vie amoureuse ne m’intéresse pas, bien que je sois à peu près certain que vous vous racontez des histoires. Mais soyons réalistes. Vous n’êtes pas vous-même une petite sainte. Vous vous faites grimper par la moitié de la création. Un de plus, un de moins, si vraiment il ne signifie rien pour vous… c’est au plus l’affaire de quinze jours. Ajoutez-le à votre liste jusqu’à ce qu’il signe le contrat, et vous aurez l’immortalité à bon compte. Vous savez aussi bien que moi que vous pouvez le faire signer. Il vous aime toujours, hein ? Et qui sait, vous pourriez prendre goût vous-même à la chose, n’est-ce pas, miss Westerfeld ?

— Vous êtes un être immonde et répugnant ! éclata Sara. Je vous déteste ! Je vous déteste !

Fuir, se dit-elle. Partir sans regarder derrière moi. Laisser l’éternité, fuir l’horrible réalité-pouvoir, laisser Jack laisser Howards laisser ces deux reptiles s’entre-déchirer, l’un mérite l’autre.

Mais Jack… il est en danger. Marchant à l’aveuglette à travers une forêt hérissée de lames d’acier. À l’aveuglette ? Mais oui ! Pauvre Jack aveugle ! Horrible Howards, monstre de cauchemar ! Et comme un tableau kinesthopique la vision se précisa en elle. Jack le baisse-froc ; Jack aveugle évoluant dans un rêve de succès bidon. Benedict Howards, dieu de la mort sans visage, tendant ses rets sinistres autour de lui. Avec moi comme dernier appât. Notre amour, l’amour de Jack utilisé pour nourrir les rets du pouvoir.

Benedict Howards pouvait-il être idiot à ce point ? Idiot, oui ! Aveugle à l’amour, fermé au pouvoir de l’amour – inéluctable faille dans les plans du reptile Howards. Car Jack le chevalier courroucé à l’armure d’amour, Jack de Berkeley de Jack-et-Sara allait devenir l’ange d’apocalypse qui détruirait Howards et détruirait la Fondation, force des amants seuls contre la nuit contre l’homme-reptile dieu de la mort sans visage qui ne pouvait rien faire contre Jack Barron qui allait resurgir…

Je lui donnerai Jack Barron ! pensa-t-elle, mais je lui donnerai mon Jack Barron à moi. Sois courageuse. Oui, oui, accepte le marché, retourne avec Jack, donne-lui ton amour, fais-lui signer le contrat…

— Ces contrats, dit-elle, tendue, ce seront les contrats habituels, publics, irréversibles ? Chaque partie sera en possession de copies légales ?

Howards eut un sourire condescendant.

— Je ne vous demande pas de me faire confiance, dit-il. Chacun de vous aura un contrat normal en trois exemplaires.

— Vous êtes un monstre de cruauté et de fourberie. Vous saviez que vous gagneriez et vous avez gagné. J’accepte.

Oui, pensa-t-elle, jusqu’à la signature des contrats je joue le jeu, Jack et moi à nouveau, réunis cette fois-ci pour l’éternité. L’éternité… Jack et Sara des beaux jours de Berkeley… Je saurai lui ouvrir les yeux, lui dire comment l’homme-reptile s’est servi de moi, comment il se sert de lui, de tout le monde, comment il a fait de moi sa putain…