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— Parfait… fit Barron d’une voix traînante, en signalant à Vince de couper le son d’Howards. (Il fixa des yeux la caméra, la tête inclinée en avant, captant les ombres noires du décor kinesthopique reflétées sur la tablette de son fauteuil, et sourit d’un air faussement perplexe :) Eh bien, écoutez-moi, vous tous ; maintenant que nous avons les chiffres, nous allons faire un peu de calcul mental tous ensemble. Vous comptez avec moi, n’est-ce pas ? Je n’ai jamais été très fort en calcul – en calcul numérique, s’entend. Voyons… Multiplions le nombre de corps dans les Hibernateurs par cinquante mille dollars l’un… cela donne… euh… dix zéros, et… cela doit faire cinquante milliards de dollars, non ? Vous êtes d’accord, tous ? La Fondation dispose d’un avoir de cinquante milliards minimum. De quoi acheter pas mal de cigarettes ! À peu près la moitié du budget de la défense des États-Unis, à vrai dire. Bon. Maintenant, un petit exercice de multiplication… cinq mille dollars par corps par année par un million de corps dans les Hibernateurs… en chiffres ronds, cela donne un total de… cinq milliards de dollars. Et maintenant, voyons… Si j’avais cinquante milliards pour m’amuser avec, je pourrais les placer pour qu’ils me rapportent… oh, dix pour cent, mettons. Vous êtes d’accord ? Vous sentez-vous capables d’essayer ? Bon. Ce qui donne… tiens juste cinq milliards. Drôle de coïncidence, n’est-ce pas ? Exactement ce que dépense la Fondation. Dix pour cent de son capital total. L’arithmétique vous réserve de ces surprises, quelquefois ! Vous ne trouvez pas, chers téléspectateurs ?

Imaginant la fin de la séquence, Barron demanda à Gelardi de faire passer dans deux minutes le prochain commercial et de restituer le son à Howards.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? aboya Howards. Vous vous prenez pour un inspecteur du fisc ?

— Patience, monsieur Howards, patience, articula Barron d’une voix volontairement irritante par sa lenteur. Jack Barron, grand sorcier, voit tout, sait tout, dit tout. Essayons maintenant une simple soustraction. Cinq milliards d’intérêts sur le capital moins cinq milliards de frais. Il reste un beau zéro bien rond, n’est-ce pas ? Voilà exactement le coût de l’entretien de ce million de corps que vous avez dans vos Hibernateurs. Zéro. Rien du tout. Un miracle d’équilibre budgétaire. Et c’est ce qui vous permet de jouir du statut des sociétés à but non lucratif, exonérées d’impôts par conséquent. Les recettes équilibrent les dépenses. Quant à ces cinquante mille dollars qu’allonge chacun de vos clients au moment de son hibernation – eh bien, ça ne peut pas être considéré comme un revenu, n’est-ce pas ? Techniquement, cet argent ne vous appartient même pas, et les agents du fisc n’ont pas droit de regard sur lui. Dites donc, vous ne pourriez pas me prêter votre chef comptable pour quelques jours ?

— Qu’êtes-vous donc en train de raconter ? demanda Howards en feignant l’incompréhension de façon très peu convaincante.

— Je raconte comment vous êtes à la tête de l’insignifiante somme de cinquante milliards de dollars, lui répondit Barron tandis que le téléguide annonçait : « 60 secondes ». Cinquante milliards net à votre disposition en plus des frais de fonctionnement des Hibernateurs. Qui croyez-vous tromper, Howards ? Il y a là assez de fric pour mettre en Hibernation chaque femme, chaque enfant et chaque homme qui meurt chaque année aux États-Unis, et même au Canada du reste. Cinquante milliards de dollars et vous prétendez que vous n’avez pas les moyens d’accueillir Harold Lopat et des millions comme lui qui meurent sans espoir. Que faites-vous de cet argent, Howards ? Il faut que vous ayez les poches drôlement percées, ou alors…

— Mais les recherches ! s’étrangla Howards, furibond. Les recherches nous prennent…

Gelardi, prévenant le geste de Barron actionnant sa pédale, avait déjà coupé le son tandis que le téléguide affichait : « 30 secondes ».

— Les recherches ! répéta ironiquement Barron dont l’indignation vertueuse tournée vers cent millions de paires d’yeux recensés au sondage Brackett occupait maintenant tout l’écran. Les recherches, oui, mais… lesquelles ? Celles qui consistent à trouver des voix au Congrès pour avaliser votre petit trafic ? Celles qui consistent à avoir dans votre manche des sénateurs, gouverneurs et… qui sait, votre propre candidat à la Présidence, peut-être ? Je ne voudrais pas dire du mal des morts – les vrais, ceux qui ne risquent plus de parler – mais vous étiez très lié avec un certain sénateur récemment décédé qui se trouvait au centre d’une campagne extrêmement bien financée pour l’investiture présidentielle à la Convention démocrate. Est-ce exact ? Vous inscrivez cela au chapitre des « recherches » également ? Cinquante milliards de budget de recherches, et des types comme Harold Lopat meurent autour de vous tous les jours. Des recherches. Oui, nous reparlerons de vos recherches scientifiques – ou faut-il dire politiques ? juste après ce petit mot de notre relativement bien pauvre sponsor.

Tandis que passait le dernier commercial, Barron éprouva un étrange vertige à la pensée qu’il venait d’établir un faisceau d’énergies qui dans les prochaines minutes allaient être capables d’écraser comme un insecte la Fondation de cinquante milliards de dollars si Benedict Howards n’avait pas la sagesse de crier pouce avant. Cinquante milliards ! Je n’avais jamais eu l’idée de faire le calcul avant, songea Barron. Qu’est-ce qu’il peut bien fabriquer avec tout ce pognon ? Merde, il pourrait acheter cash le Congrès, le Président et la Cour suprême, s’il en avait besoin. Voilà qui s’appelle peser sur le plateau ! Bennie Howards est plus gros que le foutu pays tout entier !

Ouais, peut-être, mais pour l’instant, en direct et couleurs vivantes, il n’est qu’un ballon de basket sous la main de Jack Barron. Et moi, là-dedans, je suis quoi ? Luke et Morris n’étaient peut-être pas aussi cinglés qu’ils en avaient l’air…

Il brancha son vidphone n°2 et Howards, pris au piège dans l’écran minuscule, le fixa de ses yeux maintenant glacés de reptile.

— Très bien, Barron, dit-il d’une voix monocorde. Vous avez prouvé ce que vous vouliez. À votre jeu je ne suis pas de taille. Vous m’avez fait plus de mal que je ne le croyais possible. Mais je vous préviens, vous allez me sortir du pétrin où vous m’avez fourré, ou je vous démolis pour de bon. Et soyez assuré que j’en ai les moyens. Je peux vous démontrer ce qu’on arrive à faire avec cinquante milliards derrière soi. Vous perdrez beaucoup plus que votre émission. Je peux faire éplucher vos déclarations de revenus des dix dernières années, vous poursuivre en diffamation et acheter le juge, et je ne sais quoi d’autre. Pensez à tout ce que vous avez à perdre – et surtout à gagner.

Ces derniers mots firent l’effet d’un seau d’eau glacée lancé à la figure de Barron. Je pourrais abaisser le couperet, se dit-il, mais alors adieu Bug Jack Barron, adieu le contrat gratuit, et Dieu sait ce que le salaud est capable de me faire encore. Ce serait un vrai suicide. Et un vieux refrain de Dylan lui revint en mémoire :

I wish i could give Brother Bill his big thrill ; I would tie him in chains at the top of the hill, Then send out for some pillars and Cecil B. De Mille[6]

Ouais, se dit-il, je peux le détruire et il peut me détruire, mais à quoi bon faire crouler avec nous les colonnes du temple ? La véritable partie qui se joue est une partie de poker.

Et le téléguide lui indiqua qu’il avait soixante secondes avant d’abattre ses cartes.

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6

Ah, j’aimerais pouvoir lui régler son compte au vieux Bill ; L’enchaîner tout en haut de la blanche colline. Puis envoyer quérir des colonnes et Cecil B. De Mille…