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Et un boulot de professionnel. Un tueur à gages engagé exprès pour me liquider !

— Vous n’êtes pas blessé ? lui demanda le policier qui l’avait rejoint après un rapide coup d’œil inintéressé au corps disloqué et aux affreux débris qui jonchaient le trottoir. Son visage épais était celui de n’importe quel flic, mais il était noir.

— Rien de cassé…, murmura Barron, l’esprit autre part, chez lui, devant son poste, Benedict Howards menaçant de le tuer s’il parlait à Franklin… Howards vert de peur, l’avion de Hennering explosant en plein vol, sa veuve écrasée par un camion loué…

Trois personnes seulement savaient que je venais ici assez longtemps à l’avance pour pouvoir tout organiser, perçut-il à travers son cerveau embrumé. Sara. Luke. Et Howards. Personne d’autre. Howards a assassiné Franklin comme il a assassiné Hennering. Et Howards a essayé de me tuer.

C’est la Fondation qui a acheté Tessie Franklin. L’inspiration semblait venue de nulle part, mais dans son sillage un train de pensées d’une logique évidente se fit jour. Franklin était mort pour une seule raison : Howards redoutait qu’il ne parle. Et la seule chose qui distinguait Franklin de vingt millions d’autres paumés comme lui, c’était qu’il avait vendu sa fille.

Si Bennie avait acheté la gosse, il ne lui restait plus qu’à tuer Franklin pour empêcher Barron de découvrir le pot aux roses ou, si c’était trop tard, supprimer un témoin gênant. Le tueur a peut-être réussi sa mission, après tout : me faire peur. Et m’empêcher de montrer Franklin à la télévision.

— Dites donc, fit le policier. Vous n’êtes pas Jack Barron ? Mais oui, je vous vois toutes les semaines à la télé !

— Mmm…, grogna Barron, perdu dans ses pensées, revoyant en imagination la première balle dirigée vers son front, puis les deux autres tentatives, une fois que Franklin avait eu son compte… non, ça ne fait aucun doute, cet emmanché de Howards voulait ma mort, Franklin ou pas Franklin, et je ne vois pas pourquoi puisque le seul témoin qui pouvait me servir à faire une émission avait disparu. À moins que…

À moins qu’il n’y ait d’autres personnes qui ont vendu leur gosse à la Fondation et qui se promènent dans la nature.

— Je suis bien Jack Barron, dit-il, sortant de sa méditation, et j’habite chez le gouverneur Greene. Pourriez-vous me reconduire le plus vite possible à la Résidence ? J’ai quelques vérifications à effectuer.

— Avez-vous des soupçons sur l’identité de votre agresseur, Mr. Barron ? demanda le flic.

Barron hésita. Non merci, pensa-t-il. Ça reste entre Bennie et moi, trop d’imbrications – trois meurtres, et mon nom sur un bout de papier, l’immortalité, l’émission, la politique nationale et tout ce qui s’ensuit… ça risque de faire trop d’éclaboussures pour de vulgaires flics locaux.

Et il y a autre chose, avoue-le, Jack, baby, quelque chose que seul le Sicilien dans Vince pourrait comprendre. La vendetta, Bennie, juste entre toi et moi et que le meilleur gagne. Tu as attaqué le premier, maintenant c’est mon tour, Howards, méfie-toi des ruelles obscures, parce que je serai là à t’attendre au tournant.

— Je n’en ai pas la moindre idée, monsieur l’agent, dit-il. Pour autant que je sache, je n’ai pas un seul ennemi au monde.

15

Ce que c’est que la technique moderne, pensa Jack Barron en engageant sa voiture de location sur la bretelle de raccordement à l’autoroute d’Evers. Tandis que la voiture prenait de la vitesse, il jeta un coup d’œil à l’enveloppe de papier jaune pliée sur le coussin à côté de lui.

Vous prenez les dossiers scolaires et les déclarations de naissance pour les quinze dernières années, vous mettez tout ça sur cartes perforées et vous attendez qu’un bon vieil ordinateur vous régurgite les coordonnées de tous les mouflets qui devraient être à l’école et qui n’y sont pas. Vous avez une petite pile de fiches que vous replacez dans l’ordinateur pour qu’il les confronte avec les déclarations de décès, les transferts de dossiers scolaires pendant ces quinze années, et vous voilà avec environ deux mille cartes d’enfants ne fréquentant pas les écoles mais vivants, et résidant dans l’État depuis un mois au moins. Il ne vous reste plus qu’à recouper tout ça avec les hôpitaux et les asiles de dingues, à tenir compte des cas de destitution de l’autorité parentale et à éliminer ce qui n’est pas dans un rayon de quatre-vingts kilomètres autour d’Evers, et vous voilà avec quatre petites cartes, quatre petites visites, quatre cas cruciaux et irréductibles pour le putain d’État tout entier. Pas plus difficile que ça.

Quatre cartes, quatre enfants noirs âgés de sept à dix ans avec des parents de condition sociale très modeste. Quatre gosses qui ont disparu.

Quatre visites, à quatre baraques en bois déglinguées. Quatre bagnoles flambant neuves dans un décor de bidonville nègre, allant de la Buick à l’incroyable Rolls. Quatre histoires à dormir debout : encore un coup le bobard de la « Fondation culturelle », un autre gosse supposé rendre visite à des parents quelque part, un « mêlez-vous de vos oignons » et cet impayable conard qui est persuadé que son rejeton est à l’heure qu’il est l’héritier adoptif d’un imaginaire royaume africain. Et quatre serviettes pleines de coupures anonymes laissées par quatre Caucasiens huppés différents.

Aucun doute, se dit Barron en prenant la file de gauche, celui qui est derrière tout ça a du fric à ne pas savoir quoi en faire. Des billets de banque plein les poches et une technique impeccable. Des clients soigneusement sélectionnés pour faire le moins de raffut possible, sûrs d’emporter la vente à tous les coups. Ça signifie quelqu’un qui a accès à un ordinateur privé assez costaud, quelqu’un qui peut se payer un expert connaissant le système de classement des Archives d’État du Mississippi – ou même acheter quelqu’un d’assez haut placé à l’intérieur. À cinquante mille dollars par gosse, plus le coût de l’ordinateur, plus les cinq intermédiaires, sans oublier les bakchichs un peu partout pour avoir accès aux archives d’État… plus d’un million de dollars, rien que pour s’emparer de cinq mioches. Qui donc était capable de faire ça à part ce cinglé d’enculé de Howards ?

Mais pourquoi avait-il tué Hennering ? Ce dernier avait-il découvert quelque chose en rapport avec ces enfants ? Un million de dollars et des meurtres compromettants, rien que pour s’emparer froidement de cinq gosses… on ne peut pas dire que Bennie soit frustré dans son instinct paternel ! Une seule chose a pu le faire agir d’une manière aussi insensée : il fallait que sa peau, sa précieuse vie immortelle soit en jeu. Mais justement, est-ce qu’il ne la risquait pas en recourant à… ?

— Merde, grogna tout haut Barron. Bien sûr que c’est la seule explication. Bennie ne se risquerait à encourir la peine capitale que pour couvrir des meurtres antérieurs, et la seule chose capable au départ de le faire recourir au meurtre, c’est sa fichue immortalité. Je mettrais ma main au feu qu’il a utilisé ces gosses comme cobayes pour mettre au point son traitement d’immortalité. C’est cela qui le met dans tous les états chaque fois qu’on effleure le sujet devant lui. Et il n’y a que ça qui justifie trois meurtres pour étouffer l’affaire !

Aussi loin qu’il se souvenait, Barron n’avait jamais éprouvé un accès de colère viscérale et non préméditée aussi fort que celui qui le traversait en ce moment. Assassiner des gosses pour s’offrir le luxe douteux d’une immortalité pourrie ! Assassiner Hennering et sa femme, puis Franklin, pour étouffer le tout ! Acheter un membre du Congrès, bientôt un Président sans doute, pour jouir de l’impunité ; se hisser à l’aide d’un monceau de cadavres sur le dos du pays tout entier, pour réaliser un rêve paranoïaque pendant des millions d’années ! Et pour couronner le tout, m’acheter, moi, Jack Barron, pour faire avaler la pilule à cent millions de gogos recensés au sondage Brackett afin qu’un laboratoire à la Frankenstein rende immortels une poignée d’heureux élus, dont je suis !