— Je crois que je n’ai pas tellement le choix, dit-il.
Comme des cerises qui s’alignent dans un cliquetis de machine à sous, il vit l’arc-réflexe pavlovien de vénération amoureuse se fermer derrière la vitre de ses paupières. Elle descendit lentement sa bouche le long de son torse, léchant, mordant, laissant une coulée de fluides exquis tandis que ses mains dégrafaient puis libéraient le pantalon avec une dextérité proprement masculine. Elle tomba à genoux, chevelure flottante, mains ondulantes sur lui, bouche mouvante contre lui et autour de lui dans une progression à la fois sinueuse et fluide, et sa langue mobile, ses lèvres vibrantes et chaudes l’aspirèrent…
Elle s’arrêta en pleine action, leva sur lui un regard égaré comme si dans la chair de son ventre elle voyait le marbre de quelque héroïque statue ; puis miséricordieusement ses paupières se fermèrent, ses ongles s’enfoncèrent dans les rondeurs de son cul et elle le poussa dans sa bouche comme un gros morceau de melon sucré. Elle gémit une seule fois, doucement, adoptant son tempo, plus vite, plus vite, plus vite en un rythme asymptote, pétrissant, griffant, suçant, plus vite, plus vite, plus vite…
Plus vite, plus-vite plus-vite plus-vite plus-vite – et il se plia en avant, en suspens tandis qu’en lui des ondes de plaisir culminaient, culminaient-culminaient-culminaient culminaientculminaientculminaient par séries pulsées saccadées explosives qui se confondirent se dopplérisèrent s’emmêlèrent crête-à-crête en un éclair infini hors du temps… exhalant un puissant soupir, il explosa en elle en une synapse inversée de tension libérée, saisit la tête de Sara entre ses deux mains et lentement la releva à sa hauteur et déposa un doux baiser sur les lèvres moites gonflées d’amour.
La brise venue du fleuve, tiède et sereine, l’emplit d’un calme profond. Dire que tout ça c’est de la frime, tout ce putain de tourbillon quand on est en son centre ça n’a plus de réalité. Et n’importe qui peut se trouver au centre pour peu qu’il se donne la peine de s’asseoir et de regarder. Qu’est-ce qu’un autre a de plus que vous ? Prenez le plus grand ponte de la création et pelez-le jusqu’à ce qu’il soit aussi nu qu’un ver. Tout ce que vous aurez en face de vous c’est un type qui au fond de lui-même ne croit même pas à ce qu’il est. Seul contre seul vous valez bien n’importe quel autre conard, vous êtes assez grand pour regarder les autres de l’endroit où tous ces politiciens de mes deux croient pouvoir dicter au pays ce qu’il a à faire. Vous le savez mais eux pas, voilà tout. C’est ça le show-business – la seule façon de s’offrir des sensations fortes sans se faire épingler par la drogue, et sans avoir besoin de piétiner quiconque au passage. La politique ! De la merde ! Tout ce dont vous avez besoin pour faire partie du jeu, c’est un peu de muscle et beaucoup de culot.
Et un estomac vachement blindé.
Non, non, trop beau pour être vrai, se dit Benedict Howards, trop facile victoire sur les forces du cercle noir qui s’estompe Jack Barron serviteur de la mort pénétrant dans son nez et sa gorge par des tuyaux de plastique.
Comme une marionnette spasmodique, Howards fit pivoter son fauteuil et un décor hollywoodien de montagnes situées au nord-est du Bâtiment administratif du Complexe d’Hibernation des montagnes Rocheuses se déploya devant lui dans une splendeur soigneusement préservée de toute construction. Mais ce n’était pas un décor, c’étaient quatre mille hectares de Rocheuses infranchissables et inhabitées. Et la semaine prochaine, une fois signés les titres de propriété, les quelques routes venant de l’extérieur seront coupées et je serai en sécurité au milieu d’un domaine privé accessible seulement par avion et avec mon consentement – en sécurité pendant le million d’années à venir.
Vingt millions de dollars. Cet abruti de Yarborough me prend pour un fou d’acheter quatre mille hectares de désolation pour vingt millions de dollars. Pauvre mortel ! Amortis sur un million d’années, ça représente vingt dollars par an. Une assurance sur la vie pas chère quand on a tout son temps devant soi.
Tout paraît sous un autre jour quand on a un million d’années devant soi. Cinquante millions pour faire passer le projet de loi au Congrès, cent millions pour acheter un Président tous les quatre ans et, si on ne peut pas l’acheter, dix millions pour louer les services d’un professionnel pour tuer n’importe qui… Teddy Hennering, et, pourquoi pas, Teddy le Prétendant aussi, si le besoin s’en fait sentir.
On peut faire pratiquement n’importe quoi avec un capital qui travaille et des amortissements espacés sur un million d’années. Même économiser l’argent des soi-disant experts fiscaux ; c’est plus simple d’acheter une loi quand on a ce qu’il faut pour la faire tenir un million d’années.
Alors, Jack Barron, tu pourras te brosser, j’ignore quel sale coup tu prépares en venant ici subir ton traitement quand je te supplie de le faire depuis des semaines quand tu sais presque sûrement que c’est moi qui ai payé ce bougre d’abruti qui t’a raté ; mais je m’en fiche tu peux penser ce que tu voudras l’important c’est que tu sois venu. Toi et ta femme dans la gueule du loup et pas question de ressortir d’ici sans ma permission. Que vous n’aurez qu’une fois que vous aurez subi le traitement, que vous serez trop engagés pour pouvoir reculer, que le million d’années à venir sera sur la balance et pas seulement vos pauvres soixante-dix années d’espérance de vie. Alors, Barron, tu connaîtras le cercle de mort qui s’estompe, charogne grouillante livrée six pieds sous terre aux asticots becs de vautours ricanant pendant dix mille ans tubes de plastique enchevêtrés pénétrant dans ton nez et ta gorge ta vie drainée goutte à goutte dans des bocaux de plastique images de Négrillons éviscérés roulant des yeux sanglants chairs cancéreuses testicules fripés cercle de putréfaction qui s’estompe s’estompe s’estompe…
— Mr Barron est ici, fit la voix de plastique de la secrétaire à l’interphone.
Howards fit pivoter son fauteuil en clignant une fois des yeux et revint à la réalité. Il faut que je me surveille, pensa-t-il. Encore deux jours et ce sera fini. L’affaire Barron réglée je serai en sécurité, plus de visages qui s’estompent de Négrillons éviscérés roulant des yeux de peur…
La porte s’ouvrit, livrant passage à Jack Barron.
Quelque chose de dur et de noir émanait de son regard, comme un cercle tourbillonnant de danger qui s’estompe. Il traversa la pièce sans quitter Howards des yeux, prit un siège près du bureau sur lequel il posa ses pieds et alluma une de ses saloperies d’Acapulco Golds de camé en disant :
— Inutile de faire une attaque d’apoplexie, Bennie, cette fois-ci c’est fini on vide l’abcès strictement entre vous et moi. Je sais tout, Bennie, absolument tout ; je vous tiens par la peau du cou et j’ai les meilleures raisons du monde de ne pas vous lâcher, et vous savez lesquelles.