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Avec un grognement bestial, il se jeta sur Howards, sentit l’extrémité de ses doigts effleurer la peau sèche et squameuse du cou de Howards… et les gardes le saisirent, chacun par un bras, et l’immobilisèrent en une double clé irrésistible.

— Assassin ? glapit Howards. Pourquoi me traitez-vous d’assassin ? D’accord, nous sommes vivants, et ils sont morts… Mais combien de temps croyez-vous qu’ils auraient vécu ? Même pas un siècle et ensuite, de toute manière, ils en seraient au même point – morts. Leurs deux vies ont été sacrifiées en échange de deux millions de vies. Vous ne comprenez pas ? La vie sort victorieuse à un million contre un. Ce n’est pas de l’assassinat, c’est le contraire, repousser le cercle noir qui s’estompe, le repousser, empêcher de se refermer le cercle noir de la mort qui s’estompe, reculer l’échéance d’un million d’années ! Assassin, vous plaisantez ! C’est si je ne l’avais pas fait que je serais un assassin… assassin de soi-même, livré au cercle noir qui s’estompe, Nègres éviscérés six pieds sous terre asticots dix millions d’années de vautours ricanants aux becs de plastique pénétrant dans le nez la gorge cercle noir qui s’estompe de mort et de meurtre…

Tandis que Howards hurlait, roulant des yeux de pure terreur, son visage haine à haine à quelques centimètres du sien, Barron sentit quelque chose se glacer en lui – la froide logique d’un circuit électrique isolé par des années-lumière de distance, l’horreur kinesthésique des choses cousues dans son corps se muant en images de mort point-de-phosphore sur l’écran de télé de son esprit. Il lutta pour trouver un terrain solide, le trouva dans le réflecteur interface formé entre sa connaissance et l’image-mosaïque-point-de-phosphore de la folie qui se lisait dans le regard de Howards.

Mollo, se dit-il. Tu es toujours Jack Barron le donneur de coups de pied au cul, et tu es vivant. Posément, il s’obligea à reprendre son sang-froid et à absorber la réalité interface. Il faut que je l’arrête, que je le tue, que je le finisse pour de bon. J’ai ce qu’il faut pour ça, les bandes, Bug Jack Barron, cent millions de téléspectateurs au sondage Brackett, la protection du G.O.P. ; je peux l’avoir comme je veux… Mais ces glandes à l’intérieur de ton corps comme des crapauds visqueux distillant le sang de bébés assassinés pour te maintenir en vie…

— Vous voyez, poursuivit Howards, revenu lui aussi à un niveau plus raisonnable de réalité, pourquoi finalement je vous ai amené où je voulais. Légalement, oui, c’est du meurtre, et il me faudra encore quelque temps avant de changer la loi. Il nous faudra quelque temps, Barron – parce que vous êtes concerné exactement autant que moi à présent. Le contrat que vous avez signé… Je parie que vous n’avez pas lu les petites lignes, celles où vous reconnaissez être légalement responsable de toutes les conséquences du traitement. Vous pensiez que c’était simplement pour nous couvrir au cas où vous seriez mort ? Le contrat a été rédigé par un groupe d’experts et il est en béton armé. Il constitue une reconnaissance légale de complicité d’assassinat devant n’importe quelle juridiction du pays. C’est pratiquement une confession, et si vous faites quoi que ce soit contre moi j’achèterai vingt témoins qui jureront que vous saviez tout du traitement quand vous avez signé. Nous sommes dans la même barque, Barron, et si vous tenez à la vie vous avez intérêt à m’obéir.

Une rage furieuse et désespérée envahit Barron : Chairs putréfiées limaces molles distillant goutte à goutte des fluides usurpés liquides innommables emplissant ses veines du sang de bébés disloqués mâchoires de crocodile d’un Howards démoniaque arrachant des lambeaux de chairs cancéreuses, s’en foutant du moment qu’il était immortel du moment qu’il était entouré de gardes armés cinquante milliards de dollars projet de loi d’Hibernation Président corrompu (corrompu avec quoi ?), Congrès corrompu impuni à jamais vampire immortel dominant à jamais la terre…

— Vous croyez me faire peur, Howards ? hurla-t-il. Vous croyez que c’est ça qui va vous sauver ? Avec… avec… (tordant son corps d’angoisse) ces choses en moi, vous êtes si sûr que ça que je tiens à la vie ? Je vous aurai, Howards, et il n’y a rien que vous puissiez faire pour m’en empêcher. Je vous aurai, même si je dois y laisser ma vie.

— Pas seulement votre vie, dit Benedict Howards. Vous n’appréciez pas l’immortalité, d’accord, c’est votre droit d’être cinglé. Vous vous sentez souillé, vous voulez mourir, personnellement je m’en fous. Mais si la découverte a été si terrible pour vous, qu’est-ce que ce sera pour votre femme ?

— Sara…

— Vous avez la mémoire courte, Barron. Votre femme a signé le même contrat que vous ; elle peut être inculpée de complicité d’assassinat. Qu’il y ait un procès, et nous sommes tous les trois dans le bain. Et c’est vous qui l’avez poussée à signer, pas vrai ? Si vous ne jouez pas le jeu c’est vous qui serez responsable de sa mort. Ne venez pas me parler de meurtre, Barron. Vous aussi vous êtes un meurtrier, de quelque côté que vous vous tourniez.

— Vous… vous lui avez tout dit ?

— Ai-je l’air d’un crétin ? Vous êtes un fou, Barron. On ne peut pas prédire ce que vous êtes capable de faire, même si votre propre vie est dans la balance. Mais miss Westerfeld – ou Mrs Jack Barron, comme vous préférez – nous savons très bien comment elle risque de réagir, n’est-ce pas ? Je ne lui ai rien dit, bien sûr. C’est ma meilleure garantie. Tant que vous filerez doux elle ne saura rien. Voilà comment je vous tiens. Oui ou non, Barron ? Allez-y, dites-le, je veux l’entendre de votre propre bouche.

Merde, pensa Barron ; c’est vrai qu’il me tient comme ça. Il le sait, et il sait que je le sais… je suis pris au piège ! Je ne peux pas le dire à Sara, elle… pire que de me quitter, elle en deviendrait complètement dingue. Il faut que… il faut… merde, je ne peux rien faire !

— D’accord, Howards, pour l’instant vous gagnez.

— Pour l’instant ! Elle est bonne, elle est vraiment bien bonne, Barron. Pour l’instant. Un instant qui durera un million d’années ! Et vous voulez savoir, mon vieux ? Tôt ou tard vous viendrez me remercier, vous comprendrez comment je vois les choses. Vous ne pouvez pas vous empêcher de vouloir rester en vie, n’est-ce pas ? Immortel… d’ici à cinquante ans peut-être vous comprendrez que l’immortalité mérite que l’on fasse n’importe quoi pour l’avoir, n’importe quoi… Nègres éviscérés, chairs putréfiées… vous me direz merci, Barron. Vous êtes immortel, vous êtes plus qu’un homme, votre vie vaut un million des leurs. Laissez faire le temps. Vous apprendrez à m’aimer, c’est moi qui vous le garantis.

Dans le regard dément de Howards, Barron capta la peur, une peur mortelle d’une espèce qu’il n’avait jamais ressentie jusqu’alors. Peur que Howards eût raison, peur que dans cinquante ou cent ou mille ans ces choses qui étaient en lui le rendissent pire qu’une horrible carcasse pourrie, peur qu’un jour il ne regardât ces yeux de monstre paranoïaque que pour… se voir lui-même.

18

Pas moyen de sortir de ce foutu piège, se dit Barron en arpentant la terrasse du penthouse sous le ciel couvert de New York. L’humidité glacée de l’accalmie entre deux averses pénétrait sa sportjac malgré le col relevé. Le soleil couchant badigeonnait de pourpre sale l’écran de nuages opaques et les bruits étouffés de la rue à l’heure d’affluence semblaient avoir leur agressivité décuplée par la boue noire et poisseuse (composée de crachin et de bonne vieille merde new-yorkaise) qui dégringolait sur la chaussée, les trottoirs, les voitures et les gens affairés comme des insectes vingt-trois étages plus bas dans le crépuscule arrivant au galop.