Выбрать главу

Il marqua un temps d’arrêt. À nouveau Howards hurlait muettement sur son petit morceau d’écran comme un insecte impuissant empalé au bout d’une épingle : Tortille-toi, ordure ! Continue ! S’il te restait deux sous de cervelle tu raccrocherais mais tu ne peux pas, hein ? C’est trop tard pour toi maintenant.

— Vous me suivez ? reprit Barron. Si un tel traitement existait, et s’il reposait sur le meurtre de jeunes enfants, cela expliquerait pas mal de choses amusantes, n’est-ce pas ? Par exemple pourquoi Mr Howards est si pressé de voir passer son projet de loi au Congrès et de se constituer une petite commission sur mesure pour que la Fondation ne soit responsable que devant le Président… Spécialement si le Président que nous élirons n’est responsable que devant lui. Qu’est-ce que vous en pensez, monsieur Howards ? Vous n’approuvez pas mon petit raisonnement ?

Gelardi inversa les images, et le visage égaré de Howards domina l’écran une fois de plus.

— Espèce de…, commença-t-il à crier.

Puis Barron discerna presque le rideau tiré sur son regard d’halluciné, un rideau de silence, sa seule retraite possible.

— O.K., fit Barron en reprenant les trois quarts de l’écran. Il semble que Mr Howards n’apprécie pas tellement… les situations hypothétiques. Prenons donc des faits bien réels. Parlons des candidats présidentiels (Fais gaffe aux lois sur la diffamation !). Je me contente de répéter ce que tout le monde a pu lire dans les journaux, mais de l’avis de pas mal de gens feu le sénateur Hennering était bien placé pour décrocher l’investiture démocrate. Et les choses étant ce qu’elles sont, cela signifie qu’il était bien placé pour les Présidentielles. Ce avant d’avoir eu son… malencontreux accident. Mais dites-nous, monsieur Howards : étiez-vous un homme à Hennering, ou Hennering était-il un homme à la Fondation ?

Cette fois-ci, Howards se rebiffa lorsque le son lui fut restitué et que les images furent interverties : « C’est de la diffamation, Barron, et vous le savez ! » Mais avant qu’il ait pu placer un autre mot, Vince le relégua dans le coin silencieux.

— Diffamation ? Envers qui ? demanda Barron. Voilà qui serait intéressant à savoir : Hennering ou vous ? De toute façon, je ne diffame personne, je pose simplement une question. Et force m’est de constater que primo Hennering était rapporteur du projet de loi d’Hibernation devant le Sénat, et que secundo le ballon présidentiel de Hennering avait derrière lui une quantité de fric impressionnante. J’ai ces lois sur la diffamation suspendues au-dessus de ma tête, aussi je vous laisse finir tout seuls. Et comme deux et deux font… Vous saisissez, tout le monde ? Bon, parce que voici quelques nouvelles hypothèses très intéressantes.

« Supposons qu’une Fondation que je ne peux pas nommer à cause des lois sur la diffamation ait acheté un candidat présidentiel que je ne peux pas nommer non plus qui soutient un certain projet de loi – que je ne nomme pas – destiné à couvrir un traitement à la dzim boum boum équivalent à une série d’assassinats en règle ; et supposons toujours que notre innommable sénateur de l’Illinois ne sait rien de ce traitement. Tout le monde m’a bien suivi jusqu’à présent ? Si ce n’est pas merveilleux de vivre dans un pays libre où on peut… faire des hypothèses autant qu’on veut pourvu de ne citer aucun nom. Même quand tout le monde sait quoi mettre à la place des espaces blancs… (Il marqua un instant de pause et contempla le visage de Howards réduit à un masque terreux, indifférent à ce qui se passait, convaincu que c’était fini pour lui.) Allons un peu plus loin. Imaginons que notre sénateur découvre en quoi consiste le… traitement. Imaginons que ça ne lui plaise pas du tout, et qu’il appelle le président de cette fondation dont je ne peux pas dire le nom pour lui dire où il peut se mettre son fameux traitement. Imaginons que notre sénateur lui dise qu’il va s’opposer au projet de loi qu’il avait jusqu’ici parrainé et dévoiler tout ce qu’il sait sur notre hypothétique fondation à la tribune du Sénat. Cela signifie que le président de la fondation en question sera jugé pour meurtre, à moins que… à moins que quelque chose ne vienne empêcher notre sénateur de parler. Pouvez-vous nous dire, monsieur Howards – à titre hypothétique, naturellement – ce que vous feriez si vous étiez le président de cette fondation hypothétique et qu’un sénateur menaçait de vous envoyer à la chaise électrique ?

— … vous poursuivrai ! cria la voix de Howards lorsque Vince lui restitua le son. Je vous traînerai devant les tribunaux, Barron ! Je vous ferai monter sur la chaise électrique ! Vous serez…

Gelardi le réexpédia prestement dans son coin inférieur gauche, et Barron ressentit tout le poids de l’instant en suspens. Maintenant ou jamais, pensa-t-il. Je n’ai plus qu’à donner le signal ; il est prêt pour la boucherie. Ça signifiera ma mort, peut-être, avec ce contrat qui équivaut à une confession signée, par Sara et moi… Sara ! SaraSaraSara… Plus de Sara… Il sentit en lui les limaces molles distillant goutte à goutte les fluides usurpés de bébés disloqués, et dans un éclair pur de rage destructrice il sut que ce serait d’abord avoir la peau de Bennie et ensuite essayer de sauver la sienne.

— Essayons maintenant de regagner ce qu’on appelle par manière de plaisanterie la réalité, reprit Barron. Fait numéro un, le sénateur Theodore Hennering a trouvé la mort dans une explosion d’avion en plein vol qui ne laisse aucune preuve qu’il ait pu s’agir d’un meurtre, hypothétique ou pas. Fait numéro deux, quelques semaines plus tard la veuve de Hennering passe sous les roues d’un camion de location dont le chauffeur prend la fuite. Qu’est-ce que vous dites de ça, monsieur Howards ?

Vince lui donna les trois quarts de l’écran juste assez longtemps pour qu’on l’entendît murmurer : « Je ne sais pas, moi… une coïncidence… », puis lui reprit le son et remit Barron à la place d’honneur.

Et voilà le plus périlleux, se dit Barron. Si je réussis maintenant, au moins je n’aurai pas de procès en diffamation.

— Voici maintenant un fait dont personne n’a eu connaissance à part moi : Peu de temps avant son assassinat, Madge Hennering m’a appelé pour me dire que Howards avait menacé son mari, juste avant sa mort, de le tuer car il avait découvert quelque chose de si terrible au sujet des activités de la Fondation qu’il avait décidé de changer de camp. Et là, ce n’est pas non plus de la diffamation de ma part, mentit Barron, car je peux prouver ce que j’avance. La conversation tout entière a été enregistrée au magnétophone.

— C’est un mensonge ! hurla Howards dans le bref laps de temps imparti par Vince. Un mensonge du cercle noir qui s’estompe ! Un foutu mensonge !

— Attention à ce que vous dites, Bennie, fit Barron en plaçant un sourire ironique sur les lèvres de son double électronique. Vous me traitez de menteur et ça c’est de la diffamation, j’ai la bande pour le prouver.

Il marqua un temps d’arrêt, sachant ce que le prochain maillon de la chaîne allait devoir être. Il faut que je l’accuse carrément de meurtre, et ça c’est de la diffamation de quelque côté qu’on le prenne, à moins qu’il ne m’apporte la preuve que je n’ai pas encore – et que je n’aurai que si je risque le tout pour le tout. Mais d’accord, allons-y gaiement !