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Il chercha devant la porte contiguë à la sienne une clef sous le paillasson, ouvrit en homme au courant des habitudes de la maison, alla droit au poêle où mijotait depuis midi la soupe du soir, alluma la chandelle; puis, quand il eut attaché l’enfant sur la haute chaise devant la table, qu’il lui eut mis dans les mains deux couvercles de casseroles pour se divertir:

– Maintenant, dit-il, allons-nous-en vite. Madame Weber va rentrer, et je suis curieux de voir ce qu’elle va dire quand elle verra les chaussures neuves du petit… Ça va être bien drôle… C’est qu’elle ne peut pas se douter d’où ça lui vient, il n’y a pas moyen qu’elle s’en doute. Il y a tant de monde dans la maison et tout le monde l’aime tant!… Ah! nous allons nous amuser.

Il en riait d’avance en ouvrant la porte de sa chambre, une longue pièce mansardée, divisée en deux par une sorte d’alcôve vitrée. Des casquettes et des chapeaux empilés disaient la profession du locataire, et la nudité des murs racontait sa pauvreté.

– Ah ça! Bélisaire, demanda Jack, vous ne logez donc plus avec vos parents?

– Non, dit le camelot un peu gêné et se grattant la tête selon son habitude en pareil cas. Vous savez! dans les familles nombreuses on ne s’accorde pas toujours… Madame Weber a trouvé qu’il n’était pas juste que je travaille pour tous sans jamais rien gagner pour moi. Elle m’a conseillé de vivre à mon à part… En effet, depuis ce temps-là je gagne le double, je puis soutenir mes parents et mettre quelque argent de côté. C’est à madame Weber que je dois ça. C’est une femme de tête, allez!

Tout en parlant, Bélisaire préparait sa lampe, rangeait sa marchandise, s’occupait du dîner, une superbe salade de pommes de terre assaisonnée de harengs saurs, dans laquelle il piochait depuis trois jours, ce qui était arrivé à faire une marinade d’une fière saveur. Il tira d’une armoire en bois blanc deux assiettes à images, un couvert en étain, un autre en bois, du pain, du vin, une botte de radis, et disposa le tout sur un buffet boiteux, fabriqué comme l’armoire par un menuisier du faubourg. Ce qui n’empêchait pas le camelot d’être aussi fier de son mobilier que de sa chambre, et de dire LE BUFFET, L’ARMOIRE, d’une façon absolue, comme s’il eût possédé des meubles-types.

– À présent, nous pouvons nous mettre à table, dit-il en montrant son couvert d’un air triomphant; un vrai couvert auquel un journal étendu servait de nappe, mettant ses faits divers sous l’assiette de Jack et son bulletin politique entre le pain et les radis. «Ah! dam, ça ne vaut pas le fameux jambon que vous m’avez offert là-bas, à la campagne… Dieu de Dieu, quel jambon!… Jamais je n’ai rien mangé de pareil.»

Sans flatterie, les pommes de terre étaient excellentes aussi, et Jack leur rendit justice. Bélisaire, ravi de voir l’appétit de son hôte, lui tenait tête vaillamment, tout en remplissant ses devoirs de maître de maison, se levant à chaque instant pour surveiller l’eau bouillant sur les cendres, ou pour moudre le café entre ses genoux cagneux.

– Dites donc, Bélisaire! fit Jack, savez-vous que vous êtes monté de tout! C’est un vrai ménage que vous avez.

– Oh! il y a beaucoup de choses là dedans qui ne sont pas à moi… C’est madame Weber qui me les prête, en attendant…

– En attendant quoi, Bélisaire?

– En attendant que nous soyons mariés, dit le camelot bravement, mais avec deux plaques de rouge sur les joues. Puis, voyant que Jack ne se moquait pas de lui, il continua: «Ce mariage est une affaire convenue entre nous depuis un bout de temps; et c’est un grand bonheur, bien inespéré pour moi, que madame Weber ait consenti à se remarier. Elle avait été si malheureuse avec son premier, un brigand qui buvait, qui la battait quand il avait bu… Si ce n’est pas un péché de lever la main sur une si belle femme!… Vous la verrez tout à l’heure, quand elle rentrera… Et si courageuse et si bonne!… Ah! je vous réponds que je ne la battrai pas, moi, et que si elle veut me battre, je la laisserai bien faire.

– Et quand comptez-vous vous établir? demanda Jack.

– Ah voilà! je voudrais bien que ce fût tout de suite. Mais madame Weber, qui est la raison même, trouve qu’au prix où sont les denrées, nous ne sommes pas assez riches pour nous mettre tous seuls en ménage, et elle voudrait que nous ayons un camarade.

– Un camarade?

– Dam! oui… On fait souvent cela dans le faubourg, quand on est pauvre. On cherche un camarade, garçon ou veuf, qui partage le fricot, la dépense. On le loge, on le blanchit, tout cela à frais communs. Vous pensez quelle économie pour tout le monde! Quand il y a pour deux, il y en a pour trois… Le difficile, c’est de trouver un bon camarade, quelqu’un de sérieux, d’actif, qui ne mette pas le désordre dans la maison.

– Eh bien! et moi, Bélisaire? me trouveriez-vous assez sérieux? Est-ce que je ne ferais pas votre affaire?

– Vraiment, Jack, vous consentiriez? Il y a une heure que j’y pense, mais je n’osais pas vous en parler.

– Et pourquoi?

– Dam? écoutez donc… C’est si misérable chez nous… Nous allons faire un si petit ménage… peut-être que notre ordinaire sera bien simple pour un mécanicien qui va gagner des six et des sept francs par jour.

– Non, non, Bélisaire. L’ordinaire ne sera jamais trop simple pour moi. Il faut que je fasse de grandes économies, que je sois bien raisonnable; car je songe aussi à me marier.

– Vraiment?… Mais alors vous ne pouvez pas faire l’affaire… dit le camelot consterné.

Jack se mit à rire et lui expliqua que son mariage à lui ne pourrait avoir lieu que dans quatre ans, et encore à la condition qu’il travaillerait bien jusque-là.

– Alors, c’est dit. C’est vous qui serez le camarade et un solide, et un vrai… Quelle chance tout de même de s’être rencontrés!… Quand je pense que si je n’avais pas eu l’idée d’acheter de la chaussure au petit… Chut!… Attention!… Voilà madame Weber qui rentre. Nous allons rire.

Un terrible pas d’homme, vigoureux et pressé, ébranlait l’escalier et la rampe. L’enfant l’entendit sans doute, car il poussa un beuglement de jeune veau, en tapant ses couvercles de casseroles sur la table.

– Voilà, voilà, m’ami!… Pleure pas mon mignon, criait la porteuse de pain consolant son enfant du fond du couloir.

– Écoutez… dit tout bas Bélisaire. On entendit une porte s’ouvrir, puis une exclamation suivie d’un éclat de rire jeune et sonore. La figure de Bélisaire, pendant ce temps-là, se plissait, se ridait de contentement.

Cette gaîté bruyante, que la minceur des cloisons répandait par tout l’étage, se rapprocha des deux amis et fit enfin son entrée dans la mansarde sous la figure d’une grande et vigoureuse femme du peuple de trente à trente-cinq ans, serrée dans un de ces longs sarreaux bleus à bavette avec lesquels les porteuses de pain se préservent de la farine. Celui de madame Weber faisait valoir une taille robuste et bien prise.

– Ah! farceur! dit-elle en rentrant, son enfant sur le bras… C’est vous qui avez fait ce coup-là… Mais voyez donc comme il est bien chaussé, mon garçon!

Et elle riait, elle riait, avec une petite larme dans le coin de l’œil.

– Elle est malicieuse, hein?… disait Bélisaire, riant à se tordre, lui aussi… Comment a-t-elle pu deviner que c’était moi?