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VII IDA S’ENNUIE

La première visite de madame de Barancy à Étiolles causa à Jack beaucoup de joie et une grande inquiétude. Il était fier de sa mère reconquise, mais il la savait si folle, si bavarde, si inconsidérée de gestes et de propos! Il craignait le jugement de Cécile, cette lumière imprévue, ces divinations si rapides et si sévères qui se font dans les jeunes esprits, même sur les choses qu’ils ignorent. Les premiers instants de l’entrevue le tranquillisèrent un peu. À part le ton emphatique dont Ida appela Cécile «ma fille» en lui jetant ses bras autour du cou, tout se passa d’une façon satisfaisante; mais quand, sous l’influence d’un bon déjeuner, madame de Barancy eut perdu son air grave pour retrouver cet entrain facile de la fille qui rit afin qu’on puisse voir ses dents, quand elle commença à dévider ses histoires extravagantes, Jack sentit revenir toutes ses appréhensions. Justement la joie, l’émotion, la mettaient en veine d’aventures, et elle maintint ses auditeurs sous le coup d’une surprise permanente. On parlait des parents que M. Rivals avait dans les Pyrénées.

– Ah! oui, les Pyrénées! soupirait-elle, Gavarni, les gaves, la mer de glace!… J’ai fait ce voyage-là il y a quinze ans, avec un ami de ma famille, le duc de Cassarès, un Espagnol; tenez! précisément le frère du général… Quel grand fou, quand j’y pense… S’il ne m’a pas fait rompre le cou vingt fois. Figurez-vous que nous menions en Daumont à quatre chevaux, ventre à terre tout le temps, et du Champagne plein la voiture! Du reste, c’était un original fini, ce petit duc… J’avais fait sa connaissance à Biarritz d’une façon si amusante!

Cécile ayant dit ensuite qu’elle adorait la mer:

– Ah! ma bonne petite, si vous l’aviez vue comme je l’ai vue, près de Palma, une nuit de tempête… J’étais dans le salon du steamer avec le capitaine, un grossier personnage, qui voulait me forcer à boire du punch… Moi, je ne voulais pas… Alors ce misérable devient fou de colère, ouvre la fenêtre de l’arrière, me prend comme ceci par la nuque, c’était un homme très fort, et il me tenait penchée au-dessus de l’eau, dans la pluie, l’écume, les éclairs… C’était affreux.

Jack essayait bien de couper en deux ces dangereux récits, mais ils recommençaient toujours par quelque bout, semblables à ces reptiles dont chaque tronçon est plein de vie et frétille en dépit des mutilations. Cécile n’en entourait pas moins la mère de son ami d’un respect affectueux, un peu inquiète seulement de voir Jack si préoccupé ce matin-là. Que devint-il, le malheureux, lorsque, au moment de la leçon, il entendit la jeune fille dire à sa mère: «Si nous descendions au jardin?» Rien de plus naturel; mais l’idée qu’elles se trouveraient seules toutes deux le remplit d’une terreur indicible. Qu’allait-elle encore lui raconter, mon Dieu!… Pendant les explications du docteur, il les regardait marcher côte à côte dans l’allée du verger. Cécile, mince, élancée, sobre de gestes comme toutes les femmes vraiment élégantes, caressant de sa jupe rose les thyms en fleurs de la bordure; Ida, majestueuse, belle encore, mais exubérante de parure, d’attitudes. Coiffée d’une toque à plumes, reste de ses anciennes toilettes, elle sautillait, faisait la petite fille, puis tout à coup s’arrêtait pour exécuter un grand geste en rond que suivait son ombrelle ouverte. Elle parlait seule, c’était visible; et, tout en l’écoutant, Cécile levait de temps en temps son joli visage vers la fenêtre où lui apparaissaient, penchées l’une vers l’autre, la tête bouclée de l’écolier et la chevelure blanche du professeur. Pour la première fois, Jack trouva que la leçon était bien longue; et il ne fut content que lorsqu’il put arpenter les routes du bois, sa fiancée légèrement appuyée à son bras. Connaissez-vous cet élan merveilleux que la voile donne au bateau, qui le fait voler, fendre le courant et la brise? C’était cela que l’amoureux ressentait en ayant le bras de Cécile sous le sien; alors les difficultés de la vie, les obstacles de la carrière qu’il tentait, il était sûr de tout traverser en vainqueur, aidé par une influence réconfortante, qui planait au-dessus de lui dans ces régions mystérieuses où le destin souffle ses tempêtes. Mais, ce jour-là, la présence de sa mère troublait cette impression délicieuse. Ida ne comprenait rien à l’amour, le voyait ridiculement sentimental, ou, sinon, sous la forme d’une partie carrée. Elle avait, en montrant les amoureux au docteur, des petits rires scélérats, des «hum!… hum!…» ou bien elle s’appuyait à son bras, avec de longs soupirs d’orgue expressif: «Ah! docteur, c’est beau la jeunesse!» Mais le pis de tout, c’étaient des susceptibilités qui lui venaient subitement à l’endroit des convenances; elle rappelait les jeunes gens, trouvait qu’ils s’éloignaient trop: «Enfants, n’allez pas si loin… qu’on vous voie!» Et elle faisait des yeux singulièrement significatifs.

Deux ou trois fois, Jack surprit une grimace du bon docteur. Évidemment elle l’agaçait. Malgré tout, la forêt était si belle, Cécile si complètement affectueuse, les mots qu’ils échangeaient se mêlaient si bien au bourdonnement des abeilles, aux murmures tourbillonnants des moucherons au haut des chênes, aux gazouillis des nids et des ruisseaux dans les feuilles, que peu à peu le pauvre garçon finit par oublier son terrible camarade. Mais avec Ida on n’était pas longtemps tranquille; il fallait toujours s’attendre à un éclat. Les promeneurs s’arrêtèrent un moment chez le garde. En voyant son ancienne dame, la mère Archambauld se confondit en prévenances, en compliments de toutes sortes, sans demander aucune nouvelle de monsieur, dont, avec son bon sens paysan, elle avait bien compris qu’il ne fallait pas parler. Mais la vue de cette bonne créature, si longtemps mêlée à la vie commune, fut désastreuse pour l’ancienne madame d’Argenton. Sans vouloir toucher au goûter que la mère Archambauld préparait en grande hâte dans la salle, elle se leva tout à coup, sortit précipitamment et prit toute seule le chemin des Aulnettes, marchant à grands pas comme si quelqu’un l’appelait. Elle voulait revoir «Parva domus

La tourelle de la maison était plus que jamais entourée de vigne folle et de lierre qui la fermaient, la cloîtraient de la base au faîte. Hirsch devait être absent, car toutes les persiennes étaient fermées, et le silence planait sur le jardin où le perron verdissait sans la moindre trace d’un passage. Ida s’arrêta un moment, écouta tout ce que lui disaient ces pierres muettes, mais si éloquentes; puis elle coupa une branche de clématite qui jetait en dehors du mur des myriades de petites étoiles blanches, et la respira longuement, les yeux fermés assise sur les marches du seuil.

– Qu’est-ce que tu as? lui demanda Jack qui, très inquiet, la cherchait depuis un moment.

Elle répondit, la figure inondée de larmes:

– Ce n’est rien… Un peu d’émotion… J’ai tant de choses enterrées là.

Le fait est qu’avec sa mélancolie silencieuse, son inscription latine au-dessus de la porte, la petite maison ressemblait à un tombeau. Elle essuya ses yeux, mais ce fut fini de sa gaieté jusqu’au soir. En vain Cécile, à qui l’on avait dit que madame d’Argenton était séparée de son mari, essaya-t-elle d’effacer par des tendresses cette impression pénible; en vain Jack chercha-t-il à l’intéresser à tous ses beaux projets d’avenir pour la distraire des années écoulées.