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Le commerce s’étendra très vite. Y aura la bourse au foutre comme aux timbres rares. Ces dames claqueront des sommes bien inouïes pour se payer du super, la toute grande marque. « Ecoutez, ma chouère, je me suis fait emmatriculer un Alain Delon de la période Visconti dont je vous donnerai des nouvelles dans neuf mois ! » « Eh bien moi, figurez-vous, je me suis payé une folie : un Chaban-Delmas de l’époque Veuf. Quant à Dorothy, elle a ramené des Etats-Unis un Cassius Clay d’avant come-back qu’elle a gagné dans un jeu télévisé.

« Tu te marres comme une tranche de melon, mais t’as tort. Ce que je te prédis se produira. Moi, je serai retourné à Mars quand on en sera là, seulement técolle, t’assisteras. Et tes petites éprouvettes de réprouvé, à toi, tu pourras toujours les refiler aux guenons du zoo, à celles qu’ont une vilaine citrouille à la place du figne ! Tu dois bien piger qu’avec mes années-lumière d’avance, je vois ton avenir comme s’il était affiché sur le tableau des départs d’Orly ! J’ai pas de mérite.

Je t’en reviens à papa Badinguais et à l’anneau de sa turne, c’est-à-dire celui de Duplessis. Un beau caillou, cette améthyste. Si tu aimes le violet, regarde. Chouette, non ? Ça, c’est du quartz. De Hongrie !

Moi, je suis de plus en plus perplexe quant à l’état mental de Duplessis. Cet homme, je le saisis mal. Illuminé et timoré, à la fois. Combinard, mais poltron. A moitié mac, mais fonctionnaire… Un cas, t’admettras ? Sa bonne femme fait le tapin. Lui, il crucifie les petits rentiers souffreteux, déguisé en cardinal. Et puis quelque chose s’opère dans son existence.

De grave.

Il se met à la recherche de l’officier de police Bérurier, son pays, en compagnie duquel il a tiré jadis les 119 coups. « Gaffe, on va tuer le pape » annonce (apostolique)-t-il fiévreusement, en se refusant à en dire davantage. Trois jours plus tard, quelqu’un lui file le train dans la rue, tandis qu’il se rend à son job. Effrayé, il entre chez une de ses anciennes pratiques pour lui confier le seul objet de valeur qu’il ait sur lui : son caillou violet. Un peu plus tard, une épaule criminelle l’envoie sous les roues du métropolitain…

Ça laisse songeur, une telle odyssée, comme dirait Homère.

— Dites, monsieur Badinguais…

Je mobilise, sans très bien savoir au préalable la question que je vais poser, mais je me fais confiance. Souvent, dans la vie, suffit de se mettre en face de la situation et de lui porter le premier gnon. Après ça va tout seul.

— Monsieur le commissaire ?

Je me racle. Enfin, ça vient. L’idée imprécise comme un regard de myope s’accomplit. Le myope vient de chausser ses lunettes.

— Je suppose que vous avez dû vous mettre à la fenêtre pour le regarder partir, le sachant suivi ? Votre tempérament policier vous y a fatalement poussé, n’est-ce pas. ?

— Exactement, jubile l’ancien client de Duplessis…

— Vous avez pu apercevoir ces fameux tourmenteurs qui terrifiaient si fort le cher cardinal ?

La tête troisième (et dernier) empire de mon interlocuteur penaude comme si on venait de la faire cuire au bain marri.

— Non, monsieur le commissaire. Chose curieuse, ce que j’ai aperçu ne correspondait pas du tout à ce que je prévoyais.

— Sept à dire ? fais-je sans qu’il s’en rende compte.

— Une jeune fille attendait M. Duplessis sur le trottoir. Il l’a rejointe et ils se sont éloignés.

— Personne ne les a suivis ?

— Rigoureusement personne, monsieur le commissaire. Je peux en jurer car à cette heure ma rue était déserte. Il n’y avait qu’un balayeur et les éboueurs.

— A quoi ressemblait la jeune fille en question ?

— C’était une fille très brune, presque mulâtresse.

Bérurier entre en lice. Treize autoritaire :

— Pratiquement négresse, somme toute ?

— Pas tant, monsieur, pas tant ! assure le vioque, et d’ailleurs elle avait des cheveux blonds.

J’adresse une pensée émue à Georges Fourest.

De fait, Béru exclame :

— Une négresse blonde ?

— Comme je vous le dis.

Il rigole, l’Enflammé.

— M’étonne pas de Tonin. Quand on allait au claque de la mère Sauveur, chaque fois il s’inquiétait si elle aurait pas engrangé une noirpiote. Et pourtant il se faisait une Alsacienne blonde comme les blés. Il aimait les estrémistes, mon pote.

— Rien d’autre à préciser à propos de cette personne, monsieur Badinguais ?

— Elle portait un imperméable clair et tenait un étui à instrument sous le bras. A la forme dudit, je suppose qu’il devait s’agir d’une flûte ou d’une clarinette.

— Bravo ! exulté-je. Et merci. Ah, monsieur Badinguais, quel limier exceptionnel vous eussiez fait !

Il éclate en sanglots.

C’est dur de constater qu’on a marché à côté de sa vocation pendant quatre-vingts ans sans parvenir à mettre le pied dedans.

Bon, écoute, dès lors que nous voilà munis d’un tuyau de cette importance, on moule le Fouché du pauvre, le Vidocq de la solitude, le Watson des faubourgs pour foncer au bistrot le plus proche.

L’importance du troquet dans la vie d’un (ver de) Terrien, c’est un truc qui a toujours épaté le Martien que je suis. Le café-tabac est aussi nécessaire à son rythme d’existence qu’une station-service l’est à sa voiture. Non seulement il s’y abreuve, ce qui est au fond la question marginale, mais aussi il y : téléphone, défèque, consulte le Bottin, joue aux dés ou aux cartes, fixe ses rendez-vous galants (voire aussi d’affaires), trompe le temps (ce salaud qui fait la vie si lente et si courte), mange, et surtout, oui, vachement surtout : il y réfléchit.

C’est pour souscrire à la première et à la dernière rubrique de cette liste (pas tellement exhaustive) que nous pénétrons en ce discret débit de boissons de la rue Eugène-Moineau.

Un loufiat, fondé en même temps que l’établissement, trempe des verres sales dans une eau qui l’est bien davantage en écoutant les doléances d’un camionneur congédié. Je lui sollicite un jeton de bigophone. Il me dit que c’est pas la peine et me branche la ligne. Béru commande deux j’ sais-pas-quoi doubles.