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J’incrédule, mon drôle. Elle doit se gourer, cette petite enfoirée.

Tu mords quelque chose à ce cinoche, toi ?

« Il faut que je fasse attention à mon papa. » On dirait un message codé. Style bibici sous l’Occupe : « La fermière est dans l’ascenseur, trois fois » ou « Le deuxième accroc coûte un Triolet ».

— C’est tout ce qu’il a dit ?

— L’ajoutate de non obliare vous dire.

Elle a recouvré sa sérénité crétinale. La force des liquéfiés du bulbe, c’est l’optimisme.

Je lui flatte la joue d’une main distraite et me décide à rentrer.

Ce dégourdoche d’Antoine commence à vadrouiller dans un youpala. Il file de ces chtars au mobilier qui frisent la déprédation. Une vraie petite brute. Tu verrais ses cuissots, au bougre : un champion cycliste, parole !

— Un de tes collègues du B.I.T.E. vient de téléphoner, mon grand, annonce Félicie. Il m’a chargé de te dire que ta musicienne travaillait dans l’orchestre féminin du Budapest, sur les grands boulevards.

Bueno. Il n’a pas traîné, le copain… On dirait que ça évolue un peu, hein ?

— Tu veux du foie de veau, à dîner, Antoine ?

— Non, m’man, sans façon. Après la bouffe monumentale de la mère Berthe, ce soir, pour moi, ce sera une pomme et une tisane…

— J’avoue qu’elle cuisine un peu gras, admet ma vieille.

Je rigole :

— Chez les Béru, le département « beurre » grève davantage leur budget que celui de l’Education Nationale pour la France. Elle boit le beurre fondu à la louche, la Gravosse.

J’attrape Antonio Il dans son bolide-tout-terrain et le lance au plafond. Il rigole aux éclats. T’as déjà entendu un rire de bébé, toi, l’horrible ?

— Fais très attention, mon grand, ça risque de lui provoquer un ébranlement nerveux…

— Penses-tu, vise-moi ce gros lard, s’il est placide.

Le mouflet me file des torgnoles sur les joues. Il adore virguler des beignes. Ça le fait marrer.

— Tu sais qu’il dit « papa » couramment, annonce triomphalement ma brave femme de mère. Toinet, dis « papa » ! Dis « papa » à papa, Toinet !

Et le Toinet de gazouiller :

— Ppppape, ppppape…

Que ma bonne Féloche en chiale d’attendrissement. Mais bibi réagit prompto.

Je suis court-circuité soudain. Un grand coup de 2000 volts dans les épinières moelleux, mon gland.

Je repose le chiareux dans sa Mercedes décapotable à propulsion directe.

— Quelque chose qui ne va pas, mon grand ? s’alarme Félicie.

— Non, au contraire… Je viens de comprendre quelque chose…

Et c’est vrai, ma noix vomique : j’ai pigé grâce à Antoine-bis le message transmis par Régina.

Le correspondant anonyme n’a pas recommandé que je « fasse attention à mon papa », mais « que je fasse attention au pape ».

Tu entraves, dis, macaque ?

Au PAPE !

Bon, alors je renfile ma veste. Et j’abandonne la maisonnée au bas de ce deuxième chapitre, comme les filles mères de jadis abandonnaient le fruit du péché sous le porche d’une église.

Si t’aimes la musique, suis-moi !

CHAPITRE « C »[10]

Quoi de plus sinistre en ce monde (voire même dans l’autre, mais le plus tard possible) qu’un orchestre de dames ?

Réponds, nez-pelé, t’as déjà maté des trucs plus déprimants qu’un orchestre de brasserie féminin, toi ?

Ces pauvres mémères en uniforme qui te crincrintent les portugaises en trempant la soupe, ça a quelque chose de concentrationnaire, je trouve. Ça te donne une certaine idée de l’enfer. La grosse qui violine, la maigre qui pianote, la vieille rouquine à l’accordéon, mais surtout la pauvre dame de la batterie !

Un truc d’homme, le tambour. Tu fous une gonzesse à une batterie et cette dernière se met à ressembler à une batterie de cuisine.

Elles sont dodues et d’un âge qui canonne, les mélodieuses.

Le saxophone (aphone) est « tenu » (à deux mains) par une dame qu’on verrait mieux derrière un guichet de la Sécurité Sociale. Elle a de grosses loloches entre lesquelles elle cale son instrument.

La violoniste dirige l’orchestre. C’est elle qui fait « un, deux, trois, quatre » avant de beaudanuber.

J’ai beau m’écarquiller les vasistas, je n’aperçois aucune fille sombre dans la formation. Crois-moi, elle se retapisserait facile si elle était là, parmi ces tarderies bronzées au néon de brasserie.

Je commande un demi, à une table proche de l’estrade et j’attends que mesdames les mémères aient fini de musiquer. Je me respire la Veuve Joyeuse, le Pays du Fou rire, le Machinchose de la Forêt Viennoise et Fascination. Ensuite de quoi, les braves femmes font une pause-pipi des plus méritées. Je me lève et civilement aborde la cheftaine au violon.

— Madame, mouliné-je en si bémol galvanisé, voulez-vous permettre à un admirateur forcené de vous manifester son enchantement ?

Joignant le geste à la parole, je glisse un billet de la glorieuse banque de France entre les entrailles de chat tendues sur son stradimarius (et olive).

L’aimable femme glousse d’aise et me remercie avec des trémolos (déformation professionnelle).

— Votre admirable orchestre n’est pas au complet, me semble-t-il ? Je viens fréquemment au Budapest me délecter les trompes d’Eustache, et j’avais remarqué parmi vous une jeune femme à la peau très brune, enchaîné-je.

— Vous voulez parler de Zoé Robinsoncru ?

— Peut-être. J’ignore son nom. Elle jouait de la clarinette, je crois ?

— En effet. Elle n’est pas venue aujourd’hui, ce qui nous inquiète. Demain matin, j’irai prendre de ses nouvelles à son hôtel de la rue Dominique-Beaufils.

Je n’ai donc pas à la questionner plus avant puisqu’aussi bien elle m’a fourni spontanément le renseignement que je souhaitais.

Les gens, c’est curieux, leur tempérament, t’es d’ac ? D’aucuns, tu les attaques avec des pinces à langouste et toutim pour leur extraire un bout de morceau de tuyau et ils regimbent à outrance. Tandis que des certains, à peine tu leur dis bonjour, les v’là qui s’affalent complètement.

C’est le cas de cette grande artiste.

Merci madame Crincrin. Que Strauss, Lehar, Messager et confrères vous pardonnent ce que vous leur aurez fait.

Je peux pas me gourer : y a qu’un hôtel rue Dominique-Beaufils. Il s’appelle le Carole (pour des raisons qui ne regardent que moi ou presque). C’est un agréable établissement, intime et très confortable. Style la petite-résidence-bien-tenue-où-long-nez-comme-chez-soie. Tu mords le genre ? Ça commence par un salon-réception, ça continue par un salon-salle à manger, et se poursuit par un salon-bibliothèque.

Une dame d’une volée d’années m’accueille. Elle est très avancée de la poitrine : tu commences à lui apercevoir les loloches cinq minutes avant le reste quand elle tourne le coin de la rue. Elle est châtain-triste-frisottée avec un maquillage maladroit qui masque imparfaitement son eczéma.

— Oh, monsieur, nous sommes complets, désole-telle en me voyant entrer.

— J’en suis ravi, dis-je. Mais moi, je voudrais simplement rencontrer Mlle Zoé Robinsoncru.

L’aimable sourire se déguise en grimace désolée.

— Vous êtes de ses amis ?

— Pas encore, mais je me sens tout à fait capable de le devenir…

J’ai tort de plaisanter, la taulière n’aime pas. Elle appartient à ce genre d’hôtesses qui dirigent leur hôtel comme une institution de jeunes filles, observant le comportement de ses pensionnaires et sélectionnant leurs visites.

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10

Comme toi.