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— Que voulez-vous à Mlle Robinsoncru ? questionne-t-elle d’une voix soudain aussi abrupte que la face nord de la Barre-des-Ecrins.

Bon, faut passer au tourniquet de contrôle. Je montre ma plaque (que je préfère à celles qu’elle trimbale sur la poire).

— Police ! fait-elle. C’est l’hôpital qui vous a prévenu ?

Le ton est plus qu’adouci : sirupeux.

Moi, tu te rends compte si je tique ! V’là qu’il est question d’hôpital, now ! Je me rencarde. La maîtresse de… (comment s’appelle-t-il, déjà ? Oh, oui : céans !). La maîtresse de céans, dis-je, me narre par le menu (il est placardé contre la porte de la salle à manger) des péripéties d’un grand intérêt. Sache que, ce matin, lorsque la femme de chambre a porté son café au lait à Zoé Robinsoncru, elle a trouvé la jeune fille inanimée. Un médecin mandé d’urgence a détecté une trop forte absorption de barbiturique.

Accident ? Tentative de suicide ? Mystère… On a drivé de toute urgence la jeune femme à l’hôpital Albert-Brunerie, service des réanimations. Aux dernières nouvelles, son état serait jugé (par contumace, car elle n’a toujours pas repris conscience) stationnaire.

Ben, dis donc : y s’en déroule des choses, mine of rien, dans ce polar ! T’as de la chance, t’aurais pu me passer à côté sans m’acheter. Un moment de distraction, ça arrive.

— Il y a longtemps que cette personne logeait chez vous ?

— Un bon mois.

— D’où venait-elle ?

— Vous désirez son passeport ? Il est dans mon coffre.

Précieuse collaboratrice. Les velléitaires, en matière de police, y n’existe rien de plus efficace.

La dame hôtelière sort d’un coffre-faible (il a cent vingt ans et ton petit garçon pourrait l’ouvrir avec le manche de sa sucette) un passeport français, établi par l’ambassade de Rome.

Rome : la ville papale !

Tu vas trouver que je lance le cochonnet un peu loin, mais j’aime bien trouver des points communs aux différents éléments d’une enquête.

Zoé est née à Nouméa le 27 avril 1944. Elle est musicienne de profession (ce que je pressentais déjà) et elle habite à Rome, 69 via duc d’Oteuil. Elle mesure 1,64 m (ce qui m’aurait convenu parfaitement) et elle a les yeux noirs (ce qui ne te surprendra pas). A la rubrique signes particuliers, le préposé a écrit néant (ce qui te prouve que les fonctionnaires français sont moins racistes que certains l’affirment).

Je contemple la photo placardée sur un feuillet bleu. Pas mal, la gosse ; mais moi, les petites filles teintées, je les préfère pas blondes.

Question de folklore. Le regard de la môme est intelligent, direct.

Je rends le document à Mme Chose.

— Quel genre de fille est-ce ?

— Quelqu’un de très bien, de la classe, de l’élégance. Et pourtant, hein ? Vous avez remarqué ? Elle est plutôt sombre !

Elle tapote le visage de Zoé.

— Quelle genre de vie menait-elle ?

— Rangée. Elle se levait relativement tôt pour quelqu’un que son métier obligeait à se coucher tard.

— Elle recevait du monde ?

— Des collègues de son orchestre, parfois. Je suis allée l’entendre un jour que je passais par les Grands Boulevards. Un vrai régal ! Quand on pense que des femmes jouent de la sorte, hein ?

— Oui, soupiré-je, quelle revanche sur les hommes. A propos d’hommes, elle en recevait également ?

— Jamais.

— Des appels téléphoniques ?

— Quelques-uns, mais qui ne duraient jamais longtemps. Ce n’est pas le genre de cliente qui bloque les lignes pendant des heures.

— Du courrier ?

— Peu.

— Quelle provenance ?

— Italie, surtout.

— Le docteur prétend qu’elle s’est gavée de barbiturique, on en a trouvé dans sa chambre ?

— Bien sûr, c’est d’ailleurs ce qui l’a mis sur la voie.

— Vous voulez bien me montrer l’appartement de Mlle Robinsoncru ?

— Venez. Il faudra m’excuser : le ménage n’est pas fait, car je prévoyais une intervention de la police et j’ai préféré tout laisser en état.

— Bravo.

Elle roucoule.

— Vous êtes jeune pour un commissaire.

— Je le fais exprès, tacautaqué-je.

Une converse, tu flanques une phrase pareille dedans, elle ressemble dare-dare à un champ d’épandage. Ton interlocuteur trouve plus rien à te dire.

La piaule de Zoé se situe au premier. C’est la porte à gauche de l’ascenseur. La dame plaquée eczéma à 18 carats glisse la clé là qu’on doit la foutre, ouvre, s’apprête à entrer. Mais la dextre puissante de ton mignon Sana la stoppe ; tu parles !

— Ne perdez pas davantage votre temps, chère madame. Il est trop précieux, je m’arrangerai tout seul.

Profitant de son éberluement, je me coule dans la pièce et referme.

Au verrou.

Je m’attendais à une odeur puissante, un peu animale, avec par-dessus ces fragrances, des effluves tapageurs. Mais ce n’est pas le cas.

La préoccupation du colored man, admets-le ou va te faire jucher sur un paratonnerre, c’est le parfum. Il est obnubilé par ce qu’on lui dit de ses exhalaisons. Plus il s’inonde, plus il se croit à l’abri de lui-même. Alors il en remet. Mais son fumet implacable s’impose. Et il fait bien. J’ai horreur des races incolores et inodores. C’est sans personnalité. On t’a déjà causé de l’odeur d’un Suédois, toi ? Never, mec. Le Scandinave c’est du jambon de Paris sous cellophane : il sent rien. L’odeur, c’est la vie. Un individu qu’a pas de bouquet, c’est un produit de régime. Ne puer qu’une fois mort constitue à mon sens un manque de personnalité. Fouetter de son vivant, ça, oui, c’est marquer sa présence en ce monde. L’individu sans sillage est une page de papier pelliculé sur laquelle l’encre ne prend pas. Et je peux t’en déballer encore trois pleins tombereaux sur la question. Une fois lancé, faut une salve de mitrailleuses jumelées pour me faire taire. L’artiste est nullement fatigué. Au plus j’en sors, au plus il m’en vient.

Mais outrons. Passons outre. Outrepassons.

Santonio chien de chasse !

A voir. A suivre.

Viens.

Primo la commode.

De la lingerie féminine. De celle qui émeut le doigt de l’homme, fût-il flic futil. Des zizis mignons, des trusquemuches sorceleurs. Ça porte au rêve, aux sens, à la viande, à l’aqueux. C’est doux, soyeux, ça s’accroche aux ongles. Moi qui suis un ongulé de frais, je peux t’assurer de ma délectation.

Les dessous sont dessus, comme toujours dans un tiroir. Je les mets sens dessus dessous, et sous les dessous je trouve des sous (Devos t’arrangerait tout ça mieux que moi, mais il est plus cher).

Beaucoup de sous sous les dessous.

Ma surprise est de courte durée.

J’écarte les dessous, je reprends le dessus et je compte les sous.

Deux mille francs nouveaux.

Normal pour une clarinettiste, hein ? A propos tu connais l’histoire du chasseur qui avait morflé une volée de plombs dans le scoubidou-verseur ? Il a dû suivre des cours auprès d’un clarinettiste pour apprendre à placer ses doigts quand il allait lance-broquer. Bon, attends, on causait…

Continue ton œuvre exploratrice, mon San-A. Tu tiens le bon bout. Quelque chose finira bien par sortir de ce terrier à force de l’enfumer.

Et dire que pendant ce temps, à Rome, quartier Vatican, le bon Saint-Père est déjà en train de mettre son ciboire du dimanche dans son attaché-case et ses mules (Charles Jourdan) par-dessus son pyjama pontifical, sans se douter de ce qui se manigance à Paris en sa faveur.