Je vous parie une étape de Lapébie, contre une étape de l’abbé Pie qu’il ne se doutera jamais de rien, notre sixième Paul, grâce au glorieux commissaire dont le nom, le gnon et le moignon sont sur toutes les lèvres.
Un peu de correspondance, peut-être, manière d’éclairer la lanterne de m’sieur Santantonio (comme ils disent) ? Hélas, rien d’intéressant… The desert of Gobi.
Par contre, je remarque un tas de cendres provenant de papiers brûlés dans le lavabo. Les cendres se trouvent dans la corbeille, mais des particules de papelard roussi subsistent sur les parois de la cuvette émaillée. M’est avis, comme on disait dans les premiers romans noirs américains, m’est avis que la sœurette a bien et bel voulu s’expédier sous le gazon et qu’elle a brûlé des fafs avant d’avaler sa potion magique.
Le tube ayant contenu cette dernière se trouve encore dans le cendrier de la table de chevet. Du Burnorectal ! Tu parles : ça ne pardonne pas. Avec un demi-comprimé, tu dors dix-huit heures, avec deux, une semaine, et avec tout le tube, c’est l’archange Dugenou qui vient te réveiller en grattant le trou de son luth.
Le reste de mes investigations (comme on dit puis) ne donne rien. Des toilettes dans la penderie, des partitions dans un cartable à musique. Une chouette clarinette baveuse dans son étui. Je peux pas me retenir d’en jouer un p’tit coup. Du moins de souffler dedans, parce que moi, franchement, je ne joue bien que de la minicassette.
Mais t’es seul avec un instrument, en grand gamin, faut que tu l’essaies. Une force polissonne t’incite. Alors j’époumone dans l’embouchure. Mais rien ne vient. Pas le moindre couac. Ça me rappelle ce Laurel et Hardy où Laurel soufflait chez un brocanteur dans un hélicon-basse. Aucun son n’en sortait. Et puis, au bout d’un moment, un fracas de cuivre faisait tituber ce cher vieux Laurel. Surréalisme. Y a que ça : le surréalisme.
Je ne reconnais plus aucun autre art. Et encore s’agit de s’entendre. L’unique authentique, le fabuleusement certain, c’est Magritte. Lui, oui. Lui : tout ! Un jour je raconterai Magritte. Très bientôt. J’expliquerai ce que c’est, la vie, la philosophie, tout ! TOUT ! Et moi, depuis lui, un acte de foi. Bientôt, je jure. Avant de me remarsienniser pour toujours dans les éthers.
Donc je souffle à m’en faire éclater la jugulaire et rien ne retentit. De quoi je conclus que l’instrument est aussi bouché qu’un contractuel. Je le retourne pour regarder sous ses jupes. Ça m’a l’air normal. J’arrache l’embouchure.
Et j’avise.
Un ruban de papier roulé serré.
On l’a comme vissé dans l’embouchure.
Je le déplie. Il s’agit d’un télégramme.
Et il vient d’Italie… Le texte est libellé en français et en italien. Je vous le livre in extenso (par délégation spéciale du ministère des Affaires culturelles et antidérapantes) :
« Demain minuit Lipp stop Cravate stop Donner ceci stop Chiesa S A de la G stop Dispositivo otto stop Maschera stop Donato. »
Le télégramme a été expédié hier de Rome.
Et bien reçu par San-Antonio.
Bravo, San-Antonio[11].
Je m’assois pour réfléchir sans fourmis dans les panards.
Avant tout, essayer de décrypter le télégramme.
« Demain, minuit, Lipp… »
Ça, c’est le pain-blanc-le-premier. Du sans bavure. Intelligible.
« Cravate… »
Un mot tout simple.
Trop simple. Donc, mystérieux dans cette occurrence où je barbote. Cravate quoi, eh, podzob ? Est-ce le nom du gars avec lequel Zoé Robinsoncru a rendez-vous ? Doit-elle se munir d’une certaine cravate ? S’agit-il d’un signe de ralliement ? Si t’as la réponse, j’ sus preneur à cent francs.
Poursuivons. C’est comme dans les mots croisés qu’on décroise : au lieu de s’obstiner sur un os, on a intérêt à l’enjamber.
« Donner ceci… »
C’est-à-dire le télégramme, naturellement.
En somme, Zoé était chargée d’aller porter les mots suivants à un correspondant que le dénommé Donato ne pouvait joindre directement.
Maintenant, voyons la partie italienne du message, prego.
« Chiesa S A de la G. »
Chiesa signifie église. Le reste est la désignation de l’édifice dont il est question. S égale probablement Saint.
A de la G veut dire quelque chose comme Anne de la Garde.
« Dispositivo otto… » ça, c’est du velours : dispositif huit.
Enfin : « Maschera » est la traduction de masque.
Je décroutaille le phophoneur et demande à la gentille eczémateuse de me virguler un numéro de toute affaire cessante. En précisant comme quoi, bien que flic, je lui rembourserai la communication.
Elle me répond que : pensez-donc-c’est-pas-pour-une-communication » et me glapaoute mon numéro.
Un brin de parlementation et j’obtiens le Big Boss de la D.S.T.
Il me déclare de but en gris qu’il s’apprêtait à partir pour assister à un cocktail donné en l’honneur de Machin, de passage à Paris. Ce qui revient à me dire que je lui parais aussi opportun qu’un bubon sur la zézette d’un monsieur devant se marier demain.
— Monsieur le directeur, fais-je, des éléments nouveaux me permettent d’affirmer que la sécurité du pape sera bel et bien menacée la semaine prochaine. Il est indispensable que je vous entretienne de cette question de toute urgence.
Cette sortie, madoué ! V’là qu’il me répond que ses dispositions sont prises ; que je devrais m’occuper de ce qui me regarde, que je donne dans la baliverne d’illuminé, et tutti frutti.
A la fin, je ronchonne quelque chose qui peut passer pour des excuses, mais qui ne sont que des imprécations traduites du San-Antonio furax et je raccroche. Tu sais ce que je vais faire, dis, poilauc ? Un petit rapport tapé en quatre exemplaires. Un pour le ministre de l’Intérieur, l’autre pour le patron de la D.S.T., le troisième pour mon vénéré chef (dont je déplore l’absence) et un quatrième pour mes archives. De la sorte ma responsabilité sera à couvert et j’en connais un qui ira vendre des moules devant Saint-Lazare si un pépin papal se produit.
Avant de vider les lieux je m’y rends : à savoir que je vais dans la salle de bains de mam’zelle Zoé. Je te passe les flacons nombreux (tu me passeras le séné quand tu te seras déconstipé le territoire), les pots de crème, les trucs à tifs, les choses à z’œil, et autres…
Du classique. Ultra-féminin, donc émouvant pour un gaillard qui aime mieux pénétrer dans une pin-up que dans une mosquée (pour les deux t’es obligé de te déchausser, mais une mosquée ne t’appelle pas chéri).
Un coup de sabord par-ci, une œillade par-là… Je ne néglige rien, pas même la lunette des ouatères. Un flic, c’est un flic, que veux-tu. Même martien d’origine, il a le côté « Vise-un-peu ». Je te parie la case de l’oncle Tom, contre la tome de l’oncle Lacaze (1860–1955)[12] que tu serais dans la volaille, t’en ferais autant.
Si je te narre les chichemanes de la belle suicidée, c’est pas par souci de scatologie, malgré que tu connaisses ma conscience professionnelle à ce propos. Mais parce que mes scrupules vont porter leurs fruits, comme disait un maraîcher.
Magine-toi, grande guenille, que je vois flotter un papier imprimé sur l’eau dormante de la cuvette.
Tu vas essayer de me contrer, rapport qu’il y a trop de bouts de papiers consécutifs dans cette affaire. Je te connais comme si je t’avais fini, sale branque ! Seulement tu l’as dans le Laos, vu que le papelard dont j’allusionne n’est qu’un simple prospectus pharmaceutique. Genre ceux que tu trouves, pliés menus, dans les boîtes de médicaments et que tu dévores plus ardemment que la une de France-Soir, histoire de te persuader que la saloperie qu’il accompagne va te guérir de tes pourrissements.
11
Qu’est-ce qui me prend souvent ? Garde tes réflexions pour ta concierge, hé, lavement !
12
Car l’amiral est l’animal chez lequel on peut constater la plus grande longévité, après le maréchal.