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Mister Dantès, à moi !

Chacun sa croix.

Ce sont les bannières qui manquent.

J’ai très bobo derrière la tronche, mais enfin, c’est supportable. Et à part ces lancées dans le citron, tout va bien. Je me sens même reposé.

Pendant ces heures de complète relaxation, mon sub’ a dû continuer de fonctionner car je me sens comme enrichi par des considérations fortement enracinées dans mon esprit.

Ainsi, par exemple, je sais ce qui m’est arrivé. Toi aussi, bien sûr, seulement, toi, mon julot, t’avais le recul. Tu spectatais…

Le gars à la cravate crossée, je vais t’expliquer, il a reçu un appel téléphonique chez Lipp juste avant que je me pointe. De qui ? De la mère Zoé, camarade. Cette petite garce l’a prévenu que j’étais en possession du télégramme.

Comme il quitte la cabine, je l’affronte. Le type sait qui je suis. Il devine que je vais l’enchrister. Nous sommes seuls dans le local des toilettes. Alors il m’assomme.

Puis s’esbigne.

Dans le tohu et dans le bohu de la brasserie, sa décarrade passe inaperçue.

Mme Fafatrain fait retour, me découvre, crie à l’aide. Explique comme quoi la pomme que je suis a raté la first marche et s’est binoclisé le cassis sur le carrelage.

Merci. Bravo. N’en jetez plus ! Poivre-aux-châsses et goumi-occipital : je suis décidément promu roi des navets et reine des pommes. J’oubliais : empereur des cornichons !

Pauvre Sana, va !

A nouveau mes idées se brouillent comme si elles venaient de faire un héritage. Je mélange tout : le « cardinal » Duplessis, son améthyste, sa grande jument de Fernande, la gredine de Zoé, le petit père Badinguais, la chère dame Trudi et l’autre enviandé de chez Lipp. Un vrai nuage de mouches…

Qui tourne autour de l’image immaculée du Saint Père.

Le bon Paul VI qui va être assassiné dans…

Dans combien, au fait ? Quarante-huit plombes ? Deux jours ?

Duplessis nous l’a affirmé.

Un correspondant anonyme a téléphoné at home (non, je n’ajouterai pas de Savoie, inutile d’insister. Tu tiens vraiment à ce que je passe à côté de ma carrière, toi !) pour dire à Régina que je dois faire attention au pape.

Le pape ! Je voudrais me signer. Me soussigner. Invoquer des saints recommandables pour leur dire de m’arracher à mes vapes, de m’éclairer la route avec leurs auréoles fluorescentes… Un miracle ! Je veux un miracle. Je suis catholique, j’y ai droit. Pourquoi ce serait réservé à des petites connasses pubères, dis ? Y a pratiquement que des péteuses qu’ont de temps à autre le privilège d’une apparition de la vierge. Ça suffit ! Place aux bonshommes, un peu, Seigneur. Je paie mon denier du (Troudi) culte. Je suis baptisé. J’ai fait ma prome. A moi l’extase, la grande clarté béatifique. Je vais remonter les Champs-Zé en brandissant une pancarte. Et puis scander, au côté de Georges Séguy : « Nous voulons… des miracles ! Nous voulons… des miracles ! »

Quoi ! Se peut-ce ? En v’là un. Un vrai. Homologable.

La sainte paire qui m’apparaît. Me jaillit dans la rétine. S’approche de mon lit grabataire. Pas d’erreur. Je la reconnais.

Paul !

Six !

Paul VI, mon bédouin — en chair, en os (surtout) et en civil.

Dis : ça remue dans le clergé, t’admettras ! Jusque z’alors, le souverain pontife portait sa belle robe blanche en toute occasion. Eh ben, imagine que le v’là en costar gris-muraille, avec un vieil imper. Notre imper quête soucieux…

Je déraille. Escuse. C’est ces piquouzes dont on m’abreuve les veines. Mais la réalité est là.

Sa sein tété est à mon chevet.

Personnellement.

Et tu sais qu’elle m’adresse la bonne parole ?

Comme je te le dis.

— Et alors, mon petit, que t’est-il arrivé ?

— Un petit coup fourré, très Saint-Père. Merci de vous être dérangé pour moi.

— C’est tout naturel ; j’étais de permanence lorsque le commissariat du sixième nous a prévenus qu’il t’était arrivé un accident.

Le pape, de permanence ? J’ai entendu causer de la permanence de l’Eglise, certes, mais…

Le Tout-terrain pontife allonge une dextre maigrichonne au-dessus de ma calbasse endolorie.

Une bénédiction ? Dis, je rêve ? Une bénédiction papale, pour moi tout seul ? Pas besoin que je la partage avec mes petits camarades de la J.O.C. ? Tu jures ?

— Votre Sainteté est trop bonne, remercié-je.

— Et tu trouves encore le moyen de te foutre de moi, soupire Paul VI.

Pour le coup, je réagis. Bye bye, le mirage dont je m’enorgueillissais déjà.

Tu veux savoir, Paul VI ? Ben, c’est Pinaud.

Inouï ce qu’il ressemble au pape, Baderne-Baderne, j’avais encore jamais remarqué. Il aurait pas cette petite moustache de rat visqueux, tu le prendrais pour le jumeau du Saint-Père.

Ma lucidité affleure. Bandant comme un cerf ma volonté, je parviens à m’installer dans une espèce de nomade’s langue (comme dit Béru) qui n’est pas encore la véritable « possession de mes moyens » mais qui, du moins, n’est plus la délirade. En termes émincés je narre l’ensemble des faits à la Vieillasse.

Parler attise mes facultés. A la fin du récit, je suis redevenu normal. Dans le fond, c’est peut-être cela le miracle ?

— Ils vont te garder ici deux jours, bien que tu ne souffres que d’un léger traumatisme, m’avertit Pépère. C’est le règlement.

Je hennis.

— Je suis dans une période où je chamboule les règlements hospitaliers, Pinuche. Trouve-moi mes harnais, qu’on foute le camp d’ici. Des choses un peu terribles se préparent.

Tu m’as déjà vu me barrer d’hostos où je gisèle (pardon : où je gisais) dans un état beaucoup plus pitoyable qu’en ce moment, hein ? Je te passe donc la scène du sauve-qui-peut pathétique avec une garde malcommode et pas pittoresque comme l’était ma grosse Belge. Des infirmiers alertés qui se pointent ! Un ramdam dingue. On me traite d’assassin et de flic (ce qui peut paraître manquer de logique au premier degré). On essaie de m’agripper. De me gripper. On invective le Pinuche. Non, je te gaze sur tout ça. Deux scènes d’hôpital consécutives, déjà c’est gonflé. En charabia littéraire, ça s’appelle un doublon. Contraire à toutes les règles, même grammaticales. Je serais nouveau au Fleuve, recta on me virerait, on me conseillerait d’aller apprendre mon métier chez Plumzingue.

Ils transigent pas sur les questions techniques, les gueux. J’entends d’ici ce raffut : « Non, mais qu’est-ce y vous prend, mon vieux ? Alors vous sortez d’une scène d’hôpital pour rentrer dans une autre ? Dites, ça va pas ! Votre type, chez Lipp, vous auriez pas pu le faire s’esbigner sans qu’il vous rectifie la verrière ? C’était vraiment nécessaire, cette redite avec les nouveaux tarifs d’imprimerie ? L’augmentation du papier, la T.V.A. et tout le personnel qui mendie des rallonges ? »

Remarquez, je pavane, mais un jour viendra qu’ils en auront marre de mes fantaisies et me diront bye-bye.

Le tout, dans la vie, c’est d’être toujours prêt au départ. Bien se conditionner pour le largage fortuit. Tu laisses tout quimper, petit. Va-t’en mains dans les poches. Pas de valise, surtout ! Ça gênerait ta liberté de mouvement. Emporte seulement ton carnet d’adresses, c’est la seule chose qui soit duraille à recommencer dans la vie.