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— Ecoutez, dit-elle, c’est quand même pas une heure pour jouer Marthe Richard au Service de la France. Vous venez de carboniser mon premier sommeil, et comme je suis du genre insomniaque, à présent ça va être tintin pour retourner chez Morphée.

Ce langage t’indique qu’on peut être pute et posséder une certaine culture…

— Navré de vous déranger, ma belle. Je vous réveille pour vous montrer un spectacle que vous n’aurez peut-être plus jamais l’occasion de revoir…

Et de l’entraîner, tout éberluée, dans la turne d’à côté.

— C’est comment, votre nom, chérie ?

— Ninette Enchetibe, me répond-elle en entrant dans la chambrette d’amours (oui : pluriel) de la morte.

Le Pinuche qui furette dans le local lui désigne le coin propreté.

— Mettez-vous là, vous verrez mieux, conseille-t-il.

Ninette obéit.

Regarde.

Voit.

Porte la main dans la région de son cœur.

Se remonte vingt-cinq kilogrammes de glandes de consommation courante et se réfère à Cambronne pour traduire d’un seul mot : sa stupeur, son effroi, et sa désolation.

Ensuite de quoi elle respecte une minute de silence ainsi qu’il est d’usage pour honorer des défunts.

— Votre métier est dangereux, lui dis-je. Par moments je me demande si vous ne seriez pas davantage en sécurité en vous faisant astronaute…

— Un maboul ? chuchote Ninette.

— Quelqu’un de pas frais, du point de vue moralité, toujours est-il. Dites, petit cœur, ce turbin a dû faire un certain bruit. Vous n’avez rien entendu ?

— Je pouvais pas : elle est rentrée avant moi. Je me suis payé une de ces parties de trottoir, ce soir. Ça ne dérouillait pas.

« Quand je suis rentrée, j’ai cogné à sa porte. Elle n’a pas répondu et pour cause. »

— Quelle heure était-il ?

— 1 h 30 environ.

— Vous turbinez devant l’hôtel ?

— Bien sûr.

— Alors, si vous êtes rentrée après elle, vous avez dû voir qui l’accompagnait ?

— Non, car elle a emballé son dingue pendant que j’éclusais un rhum-limonade au tabac d’en face. Elle tapinait avant que j’y entre, n’y était plus quand j’en suis ressortie.

— Vous êtes restée encore longtemps dehors ?

— Tu parles : une bonne plombe !

Ma respiration devient haletante.

— En ce cas, vous avez fatalement vu repartir l’assassin.

— Vous croyez ? fait-elle naïvement.

— Je vous le promets. Quand vous embarquez un clille, vous ne passez pas par l’hôtel, mais par le porche de l’immeuble voisin, la cour étant commune aux deux ?

— En effet.

— Il ne doit pas sortir grand monde à 1 h 30 de la nuit, en dehors de vos pratiques, à Fernande et à vous ?

— C’est vrai.

— Alors essayez de vous rappeler qui vous avez vu s’en aller à partir du moment où vous avez repris votre… poste ?

Elle paraît sincèrement désolée de ne pouvoir nous aider. Pas qu’elle chérisse tellement la Poule, mais le meurtre de sa collègue l’outre.

— Non, franchement, j’ai vu repartir personne, sauf quelqu’un qui devait venir de l’immeuble.

— Comment savez-vous que le quelqu’un en question sortait de l’immeuble et non pas des studios de l’hôtel ?

— C’était un curé.

Silence.

De choix.

Le Caverneux en profite pour tousser. Il hésite quant au sort qu’il doit réserver aux expectorations consécutives, mais, homme bien élevé, il prend le parti de les ravaler.

— Un curé, reprends-je en écho lointain.

J’ai la gamberge qui se pâme, gars… Un curé, dis : un curé ! Donc, on reste dans la logique des choses, non ?

— Notez, reprend Ninette, qu’on en a des curetons dans notre clientèle, mais ils se pointent pas en soutane. Même à l’époque qu’ils vadrouillaient pas encore en civil, ces messieurs se défroquaient pour venir nous voir. Là, s’agissait d’un prêtre en tenue de travail. Probable qu’y venait d’administrer quelque vieillard en partance… Les derniers sacrements, y a encore des abonnés.

— Il ressemblait à quoi, ce curé ?

Elle hausse les épaules :

— Ça ressemble à quoi, un pingouin ? A un autre pingouin, n’est-ce pas ?

— Jeune, vieux ?

— Lali lala, entre les deux…

— Petit ou grand ? Gros ou mince ? Chauve ou chevelu ? Remuez un peu vos méninges, ma gosse.

— Il vous intéresse tout de même ?

— Ne vous occupez pas de ça, et déballez-nous le personnage.

Vaincue par mon autorité, la prostipute se concentre.

— Un grand, un peu voûté, blond clair, il portait des lunettes cerclées d’or et tenait une petite valise à soufflet noire à la main.

— Vous le reconnaîtriez ?

— Peut-être… Il faisait sombre et je ne lui ai pas tellement prêté attention…

— Fernande vous entretenait de sa vie privée ?

— Assez vaguement. Je sais qu’elle était mariée et que son bonhomme est mort avant-hier à la station de métro Max-Corre. Mais ils ne vivaient pratiquement pas ensemble. Simplement elle allait faire des passes avec des vieux tromblons racolés par son bonhomme.

— Elle ne vous a jamais parlé des affaires de son mari ?

— Non.

— Ni fait part de certaines inquiétudes concernant la sécurité de ce dernier ?

— Non plus.

— Il lui est arrivé de mentionner des relations de Duplessis ?

— Rien, je vous dis. Dans le fond, Fernande, elle était gueularde mais discrète. Elle déplaçait de l’air sans toutefois se mouiller…

— Vous ne l’avez jamais vue en compagnie d’une jeune femme basanée à mèches blondes ?

— Non, mais c’est marrant ce que vous dites… Cette fille sombre…

Un léger bruit de crécelle retentit. C’est César Pinuche qui secoue une boîte de cachous au-dessus de sa main en sébile. Comme nous le regardons, il a un petit sourire d’excuse et murmure :

— C’est à cause de ma gastrite. Croyez-moi, si vous voulez, mais ces cachous me calment la muqueuse plus efficacement que mes granulés.

Je lui déclare que le sujet nous passionne, sur un ton qui pourrait me faire passer pour un menteur et je reviens à Ninette.

— Quoi, cette fille, mon chou ?

— C’est pas une musicienne du Budapest, sur les Grands Boulevards ?

— Exactement. Vous la connaissez ?

— C’est pas tellement courant à Paris. Figurez-vous qu’un après-midi où je faisais relâche pour cas de force majeure, je vais prendre un drink au Budapest en compagnie d’un ami à moi… J’aime beaucoup la musique. Il m’arrive au moins une fois l’an d’aller à l’opéra et j’ai tous les disques de Tino Rossi.

J’approuve d’un air recueilli qui lui fait chaud au cœur.

— Et alors, ma bonne Ninette ? C’est tout, ou il y a une chute à l’histoire ?

— Au moment de quitter le Budapest, j’ai aperçu Duplessis, seul à une table. Il semblait captivé par l’orchestre.

— Car vous connaissiez Duplessis ?

— Il passait quelquefois dans le quartier, dire un bonjour à sa femme, ou bien lui fixer rendez-vous pour une séance avec un kroumir…

Je visionne le cadran de ma tocante.

5 heures dépassées. Et je me sens de plus en plus fraise et dispos, à croire que tout à l’heure, à l’hosto, ils m’ont débranché le canal hypnotique.

— Bon, merci, ma belle, pour votre coopération. Essayez d’en écraser un chouïa avant l’arrivée de mes collègues : ça va être le gros ramdam. Sans compter les journalistes. Faites-vous belle pour les affronter, car il y aura votre physionomie dans les journaux de demain.