Et tu sais ce qu’il me répond ? Ça t’intéresserait de l’apprendre ? Vrai ? Il me dit : « Et ta sœur, poulet ? »
C’est pauvre comme réplique, tu trouves pas ? En tout cas, ça reste impertinent et le Mastardingue le lui signifie du geste et de la voix. Seulement, cette crevure ambulante a de la ressource (thermale). En un rien de temps il s’est équipé le moral en costume de héros… T’as des zigoloches, comme ça, les gnons leur apportent une espèce de griserie. Des masos, en somme.
Le v’là qui regarde le Teigneux d’un œil tout rigolard, bien que poché, et qui lui jette :
— Cogne, grosse merde. C’est tout ce que tu es capable de faire !
Dis, tu parles d’un téméraire. C’est Du Guesclin, Ovide. Traiter Bérurier de grosse merde, faut oser. Ou alors le faire par téléphone, depuis Pointe-à-Pitre, après s’être assuré qu’il y a la grève d’Air-France.
V’là le Musclé qui pose sa veste et roule ses manches. Une zone orageuse, porteuse de cyclones, grisonne sur sa terrine.
— Remets-toi, Alexandre-Benoît, conseillé-je. Ce macaque aime trop les coups, tu le dorlotes en lui en administrant, moi j’ai une recette dont je devine qu’elle portera ses fruits.
Je chope le verre à dents sur la tablette du lavabo, l’emplis de flotte au tiers, et débouche le tube de Sintrom (Orient-Express). Je chope quatre comprimés et les laisse choir dans le verre où j’hâte leur délayage d’un doigt concasseur.
— Pince-lui le pif qu’il avale son godet sans rechigner.
J’ai mis dans l’Emilo, comme disait Rousseau. Un certain frémissement de mister Zigoto me révèle qu’il réagit en profondeur. Il tente de se débattre.
Veut rebuffer le breuvage. Seulement, refuser quelque chose à un Béru en furie, c’est comme essayer de faire élire M. Marchais à la Cadémie française.
Une manchette au temporal l’estourbe. Un empoignage du nez le déguise en crabe faisant une partie de campagne. Je n’ai plus qu’à lui vider la drogue dans la gargouillette. Force lui est de l’absorber. Il veut aussitôt ensuite s’en libérer à grands renforts de spasmes, mais l’Irascible veille. Nouvelle manchette mutine sur le profil d’Ovide qui cesse ses grimaceries.
— Il est nouveau, ce coup de coude, fiston ? m’étonné-je.
— Ouais, confirme le Réjoui, je l’ai appris accidentellement dans le métro, l’autre jour, à l’heure de pointe. J’allais louper mon estation, et j’ai voulu m’effrayer un passager dans la populace. Tu me croiras si tu voudras, mais quand j’ai déboulé de la voiture, y avait seize personnes dans le sirop, même que si j’eusse pas z’eu ma carte de matuche, ils m’enchristaient, ces teigneux.
Je moule l’intéressant sujet pour me pencher sur Tonssak, lequel reprend du tonus.
— Je pense que tu as réalisé mon petit moyen de pression, garçon ? Il est d’une simplicité monacale. Après chaque question restée sans réponse, je t’administre quatre cachets de Sintrom. A ce tarif-là, tu vas tellement décoaguler que ton raisin, plus fluide que l’eau de roche, se répandra dans ta carcasse de voyou. Ça te tente ?
Il ne répond pas. Plus flegmatique qu’un lord anglais trouvant sa lady assise sur les genoux de son garde-chasse, je prépare une nouvelle dose.
— Cette fois, tu joues avec le feu, soupiré-je. Déjà quatre comprimés, c’est pas très raisonnable ; ton taux de prothrombine va chuter au-dessous de 10. Mais si tu gobes cette nouvelle ration, il te faudra rester sans bouger pendant plusieurs jours pour couper à l’hémorragie interne…
— Faites pas ça, murmure-t-il dans un souffle.
— Il en reste encore un bon pacsif dans le tube, j’annonce. Tu risqueras pas de boudiner de l’oreillette. Allez, Gros, on lui file sa seconde ration.
— Non !
Il a hurlé. Le voilà disponible. Ne pas atermoyer. Prendre le dessus, à la sauvage. Comme Bérurier lui renouvelle son coup de coude métropolitain, j’enquille une giclette de flotte dans la gargoule du truand. Seulement de l’eau, car cette fois je n’ai pas touillé les cachets et ceux-ci reposent, entiers, au fond du godet. Mais ce qui importe, c’est l’illusion, pas vrai.
— Tu accouches ou je te transvase tout le blot ?
— Oui, oui… Que voulez-vous savoir ?
— Un tas de choses, camarade. Tiens, je te pose les questions en vrac. Que venais-tu faire dans cette piaule ?
— Chercher une pierre.
— Celle-ci ?
Je sors l’améthyste pour l’agiter devant ses yeux hagards.
Oui. Comment se fait-il que ?…
— Pourquoi t’intéresse-t-elle, cette pierre, c’est tout de même pas Le Régent ?
— On m’a chargé de la récupérer, mais j’ignore pourquoi.
Je le sermonne du doigt.
— Ovide, dis-je, je n’ai pas regardé le creux de ta main, mais je gage que ta ligne de vie n’a pas la longueur du Nil. Puisque t’aimes le Sintrom à ce point, je vais te le servir en tartine.
— Non, non, je ne mens pas. Je vous assure que j’ignore pourquoi « ils » veulent ce caillou.
— Qui ça, « ils » ?
— Ben, les gars de la Société.
— Quelle société ?
Des battements de cils précipités. Visiblement, mon ignorance le surprend. Il m’estimait davantage affranchi.
— Eh bien… Heu… Mais, la Société Secrète, quoi. J’ sais pas comment elle s’appelle au juste.
— Tu en fais partie ?
— Je travaille pour. On nous appelle la garde suisse.
— Quel est ton travail ?
— Comment dire, je… je protège certaines personnes : j’exécute certains boulots.
Je lui désigne sa panoplie de tueur.
— Tu l’exécutes avec ce matériel ?
Ovide Tonssak détourne pudiquement les yeux de ma question.
— Vous êtes nombreux ?
— J’ignore. C’est très fermé. Très cloisonné.
— Qui te donne des ordres ?
Il tarde. J’adresse une œillade significative à Béru. Mon pote neutralise l’Italo-Hongrois de Paris et je vote à ce dernier un supplément de Sintrom. Quand il a bien hoqueté, je reprends l’interrogatoire :
— Tu as oublié de me répondre, Ovide. Qui te donne des ordres ?
— Mon chef de section.
— Nom et adresse, please ?
— M. Edmond Karl. J’ai pas son adresse… Juste un numéro de fil.
— Vous vous rencontrez où ?
— Dans des bistrots. Et ce n’est jamais le même.
— Un numéro de tube, cela correspond à une adresse. Aboule !
— 633-61-92.
Je note.
— Tu sais chez qui tu venais fouiller ?
— Une fille nommée Zoé Robinsoncru.
— Elle fait partie de la Société ?
— D’après ce que j’ai cru comprendre, oui. Mais elle les aurait doublés à sa manière en essayant de se suicider.
— Tu travailles seul ?
— On est quelques-uns.
— Qui, les autres ?
— Notez que notre collaboration est occasionnelle.
— Qui, les autres, je te demande ?
— Max Gounheim, et à ce qu’il paraîtrait, car je ne l’ai jamais vu : Pietro Formi.
Du beau monde. Deux gentils tueurs à gages de renommée universelle traqués par Interpol.
— C’est tout ?
— A ma connaissance.
— C’est vous qui avez buté le dénommé Duplessis, l’autre jour, à la station Max-Corre, n’est-ce pas ?
Il a des velléités pour nier. Simplement j’agite le tube jaune et tout rentre dans l’ordre.
— Je crois que c’est Formi…
— Avec qui as-tu rendez-vous ici ?
— J’ai pas rendez-vous ! hypocritise cette laide enfoirade.
Il n’a pas achevé que le loquet de la turne se met à tourner doucement. Comment m’en aperçois-je ? Je vais te dire : l’instinct. Une prémonition. Un machin secret. Pourtant il ne fait pas de bruit, ce loqueteau. Quelqu’un se pointe, qui veut nous surprendre, puisqu’il nous entend causer. Donc, qui de mauvais projets nous concernant. D’un signe de tronche j’indique la porte au Mastar. Il comprend au bout de dix secondes, le v’là qui pose ses ribouis et, en chaussettes à trous, s’approche de la lourde, flingue en pogne. Imperturbable, moi, je continue de causer.