— Je ne suis pas en cause personnellement, monsieur le commissaire. Par contre, j’ai de grosses craintes pour un personnage plus important que moi.
— Plus important que vous !
— Beaucoup plus !
— Feriez-vous allusion au pape, Eminence ?
— Très exactement.
Bérurier fronce ses beaux sourcils en poils de porc pur fruit.
— Qu’est-ce y arrive à ta Sainte-Paire, Tonin ? Elle s’est coincé la bulle ?
Le cardinal Duplessis s’assombrit tellement qu’il se met à ressembler à une photographie de lui sous-exposée.
— Vous n’ignorez pas, je pense, que Sa Sainteté doit venir à Paris la semaine prochaine ? nous demande-t-il d’un ton de prêche (Melba).
— Effectivement, me hâté-je, histoire de prouver ma connaissance de l’actualité en gestation, le souverain poncif souhaite s’incliner sur les restes de la bienheureuse Marie Couchtouala, qui vient d’être béatifiée par Rome et dont la canonisation ne saurait tarder.
— Parfaitement.
L’éminence fourbit son améthyste au revers de son veston. Visiblement, elle hésite à poursuivre, ce qui — tu me connais ? — ne fait qu’accroître ma curiosité.
— Messieurs, annonce-t-elle brusquement, parvenue au bout de son indécision, un attentat va être perpétré contre le Saint-Père !
Et zoum ! servez frais, avec un zeste de citron !
Vous parlez d’une douche. D’un bain…
D’un bain de Saint-Siège !
J’ai beau être martien, j’en prends plein le pourtour des badigoinsses. Un cardinal qui vient t’annoncer un tel turbin, à brûle-justaucorps, ça ébranle (Charlotte).
— D’où que tu tiens ça, Tonin ? s’enquiert le Pertinent, de vos services vaticons de contre-espionnage, ou t’aurais eu une apparition de Not’ Dame de la Sellette ? A moins que ça soye signé Mâme Soleil ?
— Je suis sûr de mon fait ! rétorque avec force le glorieux « pays » du Gravos.
— Voyons, Tonin, continue de sceptiser Bérurier, qui donc irait chercher du suif au père Six ? J’ veux bien qu’il aille déjà eu des petits incidents de parcours en Asie, seulement ça se passait chez des gus pas catholiques du collier. Ici, à Paris, on est en France, jusqu’à plus ample informé, or la France c’est la fille aînée de l’Eglise, non ?
Duplessis joint ses mains prélateuses.
— Quoi que tu en dises, Paul VI sera agressé pendant son séjour à Paris.
— La question spontanée d’Alexandre-Benoît était pertinente, Eminence, intervient ton camarade martien : il est essentiel que nous connaissions la source d’une telle information.
Mais le prince of the church secoue sa coque-de-navire-vue-de-face.
— Il ne m’est pas possible de vous le dire, monsieur le commissaire.
— Pourtant, mon père, vous devez comprendre que nous devons agir.
— J’y compte bien.
— Comment interviendrions-nous efficacement, si nous devions nous passer d’un élément aussi important ? C’est en partant de la source qu’on…
Ma source, je peux me la remettre dans la giberne, avec une botte de poireaux par-dessus. J’ai beau fixer intensément le cardinal pour essayer de déballer les couches inférieures de sa pensée, comme l’écrivait récemment naguère la reine Fabiola à son gynécologue, l’éminence reste aussi hermétique que la sortie de secours d’un sous-marin en plongée.
— Monsieur le commissaire, fait-elle (car bien que sans soutane, éminence demeure un mot féminin), je vous demande de me croire sur parole lorsque j’affirme ne pouvoir vous donner l’origine de ce renseignement.
— Secret de la confession, peut-être ? hasarde l’ex-condisciple (beaucoup plus con que disciple) du cardinal.
— N’insiste pas, Bérurier ! répond l’interpellé. Si je préviens les autorités par le truchement d’un ami, c’est précisément pour me dispenser de fournir des précisions.
Là-dessus, l’éminence se lève et déclare :
— Messieurs, j’ai agi selon ma conscience, à vous maintenant d’agir selon la vôtre.
Un grand éclat de rire arrive du rade.
Bérurier apostrophe Roro :
— Qu’est-ce i t’ prend, gamin, t’as des vapeurs ?
— Non, c’est Babar qui vient de s’asseoir dans la tarte aux cerises de Céleste, justifie l’hilaré.
Le cardinal Duplessis nous présente sa bagouze. On lui fait un gros mimi.
— Sacré Tonin, va, soupire avec attendrissement le Volumineux, on tuerait un âne à coups de figues mûres avant de te faire dire ce que tu veux pas. Bon, caille-toi pas la laitance : on va te le surveiller, TON pape. Ce sidi, où ce que t’exerces ? J’aimerais bien t’aller surprendre au labeur, un de ces dimanches, afin de mater à quoi tu ressembles, loqué en homard.
— Je n’ai pas de diocèse, déçoit l’Eminence, je suis cardinal de curie.
Le Gros se débat un bout de moment avec des idées imprécises.
— M’étonne pas de toi. Ton naturel paysan qui ressort. J’ai idée que l’écurie du pape est moins bien garnie que celle à Boussac. Il n’aurait qu’une mule, à ce que je m’ai laissé dire ?
Maintenant, si tu veux bien, on va procéder à un rapide changement de décor.
La règle des trois unités ? Tiens, fume ! D’ailleurs, chez nous, à Mars, l’étalon des 3 unités, c’est le mestouléverdum. Je t’emmène chez Béru, le samedi suivant. T’as qu’à suivre sans t’occuper du reste. C’est moi qu’affabule. Car il est évident que si on comptait sur toi… Hein ?
— Ecoutez, madame Félicie, je ne veux pas que vous vous gênassiez chez moi, assure le Mastar. Ça vous ferait-il plaisir que je vous chantasse Les Matelassiers ?
Avant que m’man ait le temps de répondre à cette aimable proposition, dame Berthaga vole simultanément : au secours de nos tympans et dans les plumes de son monstre.
— Ah, non ! Recommence pas de beugler comme trente vaches qu’au bout d’un moment tout l’immeuble est en enfer d’essence. Les locataires signent des répétitions comme quoi tu leur masturbes la quiétude dont ils sont en droit d’attendre. Tenez, la dernière fois, la petite voisine du dessous, la Polak, a accouché prématurément.
Ma brave femme de mère qui est, tu ne l’ignores pas, la gentillesse déguisée en vieille dame, propose un moyen terme : Béru n’a qu’à chanter mezza-voce, ainsi il nous régalera les trompes sans troubler les grincheux du voisinage.
Mais le dragon insurge. Fait valoir qu’on ne peut compter sur « l’à-mi-voix » avec son Mammouth, dont le naturel bruyant revient au galop à peine que chassé.
Elle vitupère durement, Berthy, en découpant sa tarte à la rhubarbe. Elle conclut toujours ses repas à grand spectacle par une tourbe-rhubarbe (à papa) car, explique-t-elle chaque fois, la rhubarbe (15 pour moi) fait « aller du corps ». Elle est farouchement partisane (bien qu’elle emploie partisante) des laxatifs naturels, Mme Bérurier. Les stimulants chimiques l’inquiètent. Elle les répute engendreurs de lésions malignes, enflammeurs d’anus. Ce qu’elle préconise, Mâme Purgon, c’est une souplesse intestinable de belle origine, sans détours. La chiasse par les plantes souveraines. Alors elle préfère la bourdaine aux orchidées. Elle prétend qu’une vie « chiotteuse » bien réglée, c’est LA recette de l’équilibre physique et, partant, du bonheur terrestre. La personne capable de déféquer sans problèmes est conditionnée pour affronter la vie, la dominer. Elle pousse plus loin, la Bérurière : elle dit que la gastronomie commence par où qu’on croit qu’elle finit, car, sans une parfaite évacuation, il est impossible d’engranger dans le plaisir. Selon elle, la devise des grands cuisiniers devrait être : « Chiez, nous ferons le reste ! » Alors, bonne âme, elle prépare à ses convives des lendemains dégagés, déblaie leur horizon vespasien en assurant une parfaite combustion aux mets qu’elle leur prodigue. Une sainte. Dont l’effigie mériterait d’être imprimée sur papier hygiénique satiné. Sainte Berthe-de-la-Purgation, Notre-Dame-des-Gogues…