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Bien, très bien, parfait. Ensuite je rentre à Saint-Cloud. T’as beau être martien, donc natif d’un endroit où l’on peut remplacer le sommeil par la fumée de mégot, quand tu es fourbu, il vaut mieux te mettre à l’horizontale sur du moelleux, après avoir plongé la pièce dans des pénombres ravigotantes.

Je gagne mon pucier au moment où m’man commence à talquer le fouinozof d’Antoinet. Ce veau a pioncé comme un champion de la dorme pendant une belle douzaine d’heures et le v’là en pleine forme pour attaquer la vie par le bon bout. Je lui vote un guiliguili qui le fait marrer, j’embrasse m’man et je monte à ma chambrette de jeune homme attardé.

Dans la cuisine, Régina chante. Ce qui porterait à croire, soit que Paulo le plombier l’a rambinée, soit qu’elle l’a déjà oublié. La seconde hypothèse paraissant la plus vraisemblable. Tout le monde oublie tout le monde. C’est chouette, non ?

Je me file complètement à loilpé entre les drapeaux. Quand on est très fatigué, pioncer nu équivaut à prendre un bain tiède. Essaie, tu verras.

J’appuie sur le disjoncteur.

Tchao.

Son éminence, monseigneur Demption, archichevêque de ceci cela et primate d’autre chose, me reçoit fort aimablement dans un bureau qui pourrait aussi bien être celui de M. Dassault, tant tellement qu’il comporte de téléphones, de graphiques aux murs, d’interphones et j’en passe.

Belle et noble figure que celle du cardinal André Demption. Pas du tout le genre prélat de jadis, avec ballon de rugby planqué sous la soutane, teint rougeaud, onction, café (saint) chrême arrosé saint marc… Monseigneur Demption est un petit homme vif dont le regard remue sans cesse derrière des lunettes de businessman. Il a le nez pointu, la bouche mince. Il porte un complet gris anthracite (il est originaire du Nord) avec un col de pasteur. Dans le fond, il a la mise du défunt Duplessis (son malheureux confrère).

Il m’a écouté attentivement, les mains croisées sur des paperasses étalées devant lui.

Je viens de tout lui déballer, dans l’ordre chronologique. Tout, depuis le rendez-vous avec Tonin, jusqu’à la découverte des deux planches d’or.

Il hoche la tête d’un air préoccupé.

— Tout ceci est bien ahurissant, monsieur le commissaire. Qu’en disent vos supérieurs ?

— Ils vont renforcer le service de sécurité pour protéger Sa Sainteté, Monseigneur.

— Je ne vois en effet pas d’autres dispositions à prendre.

— Puis-je vous demander votre sentiment après avoir entendu cette histoire ?

Il essuie ses lunettes. Son regard n’est soudain plus que deux fentes étroites.

— Mon Dieu, commence-t-il, ce qui me flatte beaucoup venant d’un homme d’Eglise éminent (et d’autant plus éminent qu’il est cardinal) ; mon Dieu, que vous répondre ? Vous ne l’ignorez pas, des sectes pullulent un peu partout, qui parodient notre Eglise et prétendent la suppléer. En général, elles ne recrutent que de pauvres illuminés inoffensifs qui se livrent à une triste mascarade et profanent les sacrements. Notre Seigneur ne doit pas se formaliser beaucoup de leurs agissements. Du reste, toute bonne intention est louable et les chemins sont infinis qui mènent à la lumière… Seulement, dans le cas présent, cette Eglise parallèle s’accompagne de gangstérisme. Cela sent sa machination, et je suis terriblement inquiet. On a traduit les textes de ces fameuses plaques ?

— Pas encore. Ils sont très hermétiques et il est malaisé de mettre la main sur des spécialistes. La police, vous savez, Monseigneur, fonctionne encore de façon plus ou moins artisanale et ne dispose que de petits moyens.

— En somme, vous êtes coupé de la bande ?

— Pour l’instant, oui. Des recherches sont entreprises pour tenter de remettre la main sur la petite mulâtresse et le dénommé Pietro Formi. Nous les dénicherons, la fille surtout, c’est certain. Mais ça risque de prendre un certain temps, et c’est cela qui précisément nous manque : le temps. Paul VI arrive demain…

Je sors l’améthyste et la dépose sur son buvard.

— Trois ou peut-être même quatre personnes sont mortes à cause de cette pierre, Monseigneur. Elle ne vous dit rien ?

Il examine la bague, la fait miroiter, puis me la rend.

— Non, rien.

— Tant pis… Maintenant, Monseigneur, je voudrais vous entretenir d’un projet qu’il me plairait d’accomplir à titre officieux. Seulement, pour cela, j’ai besoin de votre concours, et qui plus est, du concours de Sa Sainteté…

Le cardinal Demption fait la grimace.

— Le concours de Sa Sainteté ! Comme vous y allez ! Enfin de quoi s’agit-il ?

— De sa sécurité. Avant de mourir, l’un des gangsters, je vous le rappelle, m’a révélé que l’attentat doit avoir lieu dans la crypte de l’église Sainte-Articulaire-de-la-Génuflexion.

— J’ai noté ce trait au passage et m’en suis beaucoup étonné car cela paraît être au contraire l’endroit le moins propice à un attentat, étant donné qu’il ne comporte qu’une seule issue et qu’il est d’une nudité complète. Si nous exceptons le tombeau de la sainte, monsieur le commissaire, ce lieu est absolument vide.

— Je sais, Monseigneur, j’en viens. Je l’ai examiné centimètre carré par centimètre carré. Des dalles, des dalles… C’est tout. Cependant, je dois tenir compte de la déclaration du bandit. Il l’a faite à un moment où il ne songeait plus à mentir. Sa vie s’en allait et il était terrorisé.

— Alors ?

— D’après le programme concernant le séjour de Sa Sainteté, elle doit se rendre dans la crypte après-demain matin, sur le coup de 7 heures, et en très petit comité, n’est-ce pas ?

— C’est Sa Sainteté qui en a décidé ainsi, monsieur le commissaire.

— Il faut absolument que l’horaire soit changé, Monseigneur. Et qu’il soit modifié secrètement. Il convient de reculer d’une heure au moins la visite du pape à la crypte.

— Dans quel but ?

Je rapproche ma chaise du bureau de l’Eminence. D’instinct, je baisse le ton :

— A 7 heures, comme prévu, c’est un faux pape qui descendra dans la crypte.

Le cardinal Demption sursaute. Je te jure qu’il se décolle son saint siège du fauteuil.

— Que dites-vous-là, monseigneur le commissaire ? s’égare-t-il.

— La vie de Sa Sainteté avant tout. Service de sécurité ou pas, nous ne pouvons prendre le risque de le laisser se rendre dans cette crypte à l’heure prévue. Un comédien jouera le rôle du pape. Il accepte d’en courir ce danger, car c’est une âme noble et un homme au courage tranquille. Il sera entouré des ecclésiastiques qui doivent participer à la cérémonie.

— Mais c’est impossible ! récrie le cardinal. Il y aura la presse et la télévision devant l’église ?

— Devant l’église, mais non dedans, Monseigneur. Le faux pape ne sera visible que pendant le court laps de temps qu’il mettra à sortir de sa voiture pour pénétrer dans l’édifice. A 7 heures du matin, il fait encore sombre. Nous interdirons aux techniciens T.V. de brancher leurs projecteurs, au besoin, nous provoquerons une panne de secteur au moment opportun. Le faux pape est le sosie de Paul VI. En outre, il sera coiffé d’un chapeau à large bord et entouré de prélats. Les conditions pour une substitution seront donc idéales. La cérémonie aura lieu. Et nous verrons s’il se passe du vilain. Dans l’affirmative comme dans la négative, le Souverain Pontife arrivera secrètement une heure plus tard. Vous pouvez même éviter de jeter le trouble dans son esprit en trouvant un motif plausible pour décaler le programme. Ce doit être faisable, non ?