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Un long silence succède.

— Effarant, effarant, soupire mon interlocuteur.

— Je vous l’accorde. Pourtant, compte tenu des circonstances, il nous faut prendre un maximum de précautions. Il y a déjà pas mal de morts dans cette affaire, Monseigneur. Si quelque chose arrivait à Sa Sainteté, nous ne nous le pardonnerions jamais, ni vous ni moi, car à partir du moment où vous êtes informé de ce qui se trame, vous partagez ma responsabilité. Je crois que l’enjeu en vaut le cierge, non ?

Il sourit mince.

Me défrime avec intérêt.

— Jamais vous n’arriverez à faire prendre un simple quidam pour le Saint-Père, murmure-t-il, quelle que soit leur ressemblance.

Je vais toujours essayer, réponds-je.

Chez nous, à Mars, où la préoccupation dominante des individus, c’est le mégot, on a toujours tendance à oublier le présent au bénéfice du passé. Car un proverbe du Nord-Mars dit comme ça que « c’est en interprétant les renseignements du passé qu’on peut se préparer au futur ».

Et moi, tu sais ce qui me turluqueute en sourdine ? Toujours ce coup de fil à Régina, ma vieille rainure. Cette voix d’homme avertissant que je dois prendre garde au pape. Donc, quelqu’un sait. Quelqu’un qui est contre l’attentat prévu, mais qui ne veut pas se manifester ouvertement. Je ne suis pas riche, mais je donnerais volontiers la moitié de ton capital pour posséder l’identité du jules en question.

Qui est-il ? Où se planque-t-il ? Comment sait-il que je m’occupe de cette affaire ?

Les interrogations me pleuvent dru sur la pensarde.

En sortant de l’enchevêtré, pardon : de l’archivécé, je m’engouffre dans un bistraque pour tuber à la grande cabane.

A-t-on des nouvelles de Zoé ? De Formi ? Des textes anciens gravés sur les plaques d’or ? Les différents services interrogés me répondent que non avec un synchronisme endiablé.

A croire qu’on fait relâche pour répétition chez les archers.

Hargneux, je raccroche, écluse un baby scotch et vais rejoindre le Révérend (c’est le cas où jamais d’y dire) Pinaud chez ce grand costumier de la fête sans qui les films d’époque ne seraient que ce qu’ils sont.

Lorsque tu veux juger de la transformation d’un travesti, un bon conseil : n’en suis pas la progression. Juge de l’ensemble une fois que tout est fini. Le maître de la défroque m’annonce (apostolique, toujours le cas d’y dire) que l’officier principal Pinaud est « en » salon d’essayage et m’invite à l’aller rejoindre. Je décline et fait de l’attentisme dans un fauteuil de cuir en feuilletant Lui, ce qui est la meilleure manière de tromper le temps, je le dis tel que je le pense, sans changer un point virgule au titre de cette revue.

Une demi-heure plus tard, le costumier du cinéma écarte une tenture et annonce avec emphase et emphysème (il a l’alvéole qui se dilate) :

— Sa Sainteté le pape Paul VI.

Et Paul vé i paraît.

Hallucinant. J’ai mis un hache à hallucinant pour faire plus sincère. Comment ? Tu dis ? Il en faut un de toute manière ? Eh ben alors, de quoi tu te plains, dis, furoncle ?

Je reprends : Allucinant. Plus vrai que nature. Le nonce fait à Marie ! Il s’en va tiquant ! Il plaque les derniers accords de Latran ! Mieux vaut tiare que Jeanneney. Attends, bouge pas, qu’est-ce que je peux te délirer encore ? Ça va me venir… Il coince la bulle. En six cliques ! Ça te suffit ? Non ? Alors passe dans mon bureau, on continuera à tronche reposée, mais j’en vois qui bâillent déjà. Et faut pas leur surmener les grains de caviar parce que si oui, ils décrochent illico du ventral, les gueux.

La vérité m’oblige à confesser (c’est re-encore le cas d’y dire) que je n’ai jamais eu le béatifique honneur d’approcher Sa Majesté le pape, mais j’ai vu des posters d’elle, et franchement, entre lui et César Pinaud, il n’y a que le siège de Saint-Pierre. Tu les filerais au coude à coude dans une basilique lourdaise, Dieu aurait de la peine à reconnaître le sien. Lui faudrait procéder à une analyse de sang. Tout le monde crierait au miracle ! Et à Lourdes, c’est plutôt rare. Les traditions se perdent depuis les rayons « X ». Ça aussi ç’a été carbonisé par l’électroménager, la bagnole, la résidence secondaire. De nos jours, les gens n’ont plus le temps de se faire miraculer, sauf au L.S.D. Dieu s’épure, au fil du siècle. Bientôt, ne restera que Lui. Unique, nom de Dieu ! Enfin unique ! Toute simagrée humaine effacée, Dieu merci. Les châsses resteront ouvertes toute l’année. On cessera de Le brocarder, de Lui dorer l’auréole, de Lui laisser des pourboires et des ciboires, de Le psalmodier, de Le bredouiller, de Le grande-pomper, de L’embrigader, de Le louer et de Le vendre, de Le solder, de Le subdiviser. On ne Lui filera plus d’associés. On ne Le mangera plus. Ne L’affublera plus d’une Sainte-Face de carême ! Ce sera Dieu seul, mon dieu. Dieu tel qu’Il est, dépouillé de ses oripeaux par notre trouille quand on L’appelle au secours. Dieu sans la connerie des hommes…

Pinaud, cher Pinaud, dis-moi tout. Ton grand-père maternel ne s’appelait-il pas Montini ? Raconte, explique, justifie ?

Que disait-il, le cardinal Demption ? Jamais vous n’arriverez à faire prendre un simple quidam pour le Saint-Père ?

Admettons.

Mais alors j’inverse les réacteurs, et je te demande, moi : César Pinaud est-il un simple quidam ?

A le voir. Sublime de simplicité dans sa soutane d’une conception immaculée. Rayonnant de mansuétude. Le visage éclairé du dedans. L’âme au bord des yeux. Suintant de miséricorde. L’ascétisme en bandoulière. Peureux des fastes vaticons. Un sourire de Saint-Père laconique fiché aux lèvres. A le voir ainsi, cher Gaston (comment ? tu t’appelles pas Gaston ? et alors, ça change quoi ?) l’émotion te vient. La foi te gagne comme un froid aux pieds. Une discrète émotion t’amollit. T’as envie de te signer, de te sous-signer, de te contresigner. De crier gloire au pape ! De l’appeler très Saint-Père. De lui baiser la mule.

— Réussite complète, n’est-ce pas ? souligne le costumier.

— Totale. Je prends !

Machinalement, Pinaud VI lève la main et nous accorde une aimable bénédiction, avec les doigts arrondis, comme s’il nous la traçait à la craie.

Tu sais que l’église Sainte-Articulaire-de-la-Génuflexion se trouve tout au bout de la rue Marcelle-Ségal, presque à l’angle de la place P.-L. Courrier-Duqueur. C’est l’une des plus vieilles églises de Paris, puisque, d’après la légende du temps, Cécile Sorel y fut baptisée…

Un important sévice d’ordre barre la rue ce matin-là, qui est le matin en question, celui qui nous intéresse.

Une foule qu’un journaliste de l’Uhénèretéef qualifierait de nombreuse si elle se trouvait rassemblée là pour accueillir un membre de la dynastie carolingienne qui attend dans la rue et le recueillement, malgré l’heure matinale.

Les lampadaires sont encore allumés.

Une brume floue, mouillée, infiniment parisienne, ouate les contours des choses.

Y a du mystère sur la voie publique.

Les préposés de la téloche sont en batterie. Les photographes de presse tapent du panard pour se défourmilier les radis. On entend, tombant des immeubles d’alentour, des transistors racontant ce qui se passe devant l’église Sainte-Articulaire-de-la-Génuflexion.

Il ne se passe rien, mais ils le racontent admirablement. D’ailleurs, la radio sublimise les moindres banalités. N’assiste jamais à une course cycliste sans avoir ta radio en main, sinon tu passes à côté de l’épopée. Une étape du Tour, tiens, c’est beau qu’à travers Blondin ou Chapatte. A voir, ça paraît tout bêta, trop simple, banal. Faut qu’un spécialiste te tisse la grandeur pour mettre autour. Cuisse de coureur sur lit de gelée à l’estragon. Plus appétissant. Mieux comestible. La réalité ? Une foutaise.