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Vive les poètes du radioreportage ou du radiotage-reporté.

Donc on attend, avec onction, comme il sied, compte tenu de la qualité de l’illustre personnage qui va débouler.

Un jour maussade s’installe.

Les projos de la tésillusion française luttent d’influence avec lui, étalant de grands ronds dorés sur le trottoir luisant et le pavé gras.

La foule frileuse des petits matins de Paname chuchote en se tassant. Cela évoque confusément les prémices d’une exécution capitale, ancien style. Au temps du temps qu’on amenait les condamnés sur la voie publique pour les raccourcir et que les bonnes commères venaient tremper leur mouchoir dans le sang pour s’exciter.

Soudain, un cri part de la populace.

Cette exclamation qui ponctue toujours l’arrivée d’un cortège longtemps attendu :

« Le voilà ! »

Un autre cri fait écho.

« Merde ! »

C’est le réalisateur du reportage tévé qui a poussé le second.

Car, d’un seul coup d’un seul, ses projecteurs viennent de s’éteindre.

CHAPITRE « H »

Trois motards disposés en fer de lance.Puis une D.S. anonyme pleine d’officiels.Derrière, la grande Mercedes papale, avec le fanion du Saint-Siège…Et après l’immense limousine (une Daimler-Benz 280 SE 3,5 l) une caravane de voitures noires…

L’auto de Sa Sainteté stoppe devant le perron de l’église Sainte-Auriculaire-de-la-Génuflexion. Le chanoine du lieu, flanqué de curton’s boys, dévale les marches pour accueillir l’illustrissimo visiteur.

La portière est délourdée. Une silhouette blanche, menue, fragile, s’extirpe de la tire et virgule quelques solides bénédictions alentour. Les têtes s’inclinent. Une bonne espagnole qui allait chercher des croassants pour ses maîtres, éclate en sanglots. Un israélite crie « Vive le pape ». Un manœuvre arabe demande : « Qui c’est la vieille dame en blanc ? ». Des catholiques applaudissent, Des apostoliques s’agenouillent. Des athées se signent à tout hasard, pour si des fois ils feraient fausse route. Bref, c’est la monstre ferveur, mon cher fils. Il se passe quelque chose de grand, de noble, de généreux. Cpresque aussi impressionnant que sous le maréchal de Gaulle quand il faisait sa tournée de Marseillaise. Comme le dit un grand malabar : « On se sent tout petit. » Les frissons vous glissent le long de l’échine comme des gouttes d’eau le long des stalactites.

Ah, Pinaud ! Ne t’avais-je pas prémortié[23] hier, à l’hosto, tandis que tu te penchais sur mon lit ? Je t’ai VU pape, alors. Cher, cher vieil enfant de la non moins chère Eglise chrétienne. Ta mission te transfigure. Ta soutane éclatante t’illumine. Ton courage t’ennoblit.

Tu le verrais, Pinuche, en cet instant d’exception, tu chiales, recta.

Ce geste apaisant de la dextre, chéri ! Il brinde à la foule. Il salue. Il bénit. Courbe les tronches, allume les cœurs, attise la foi vacillante, fortifie les défaillants, inculque les grands principes. Beau, très très beau. Fleur de coin ! Voilà le terme que je cherchais : fleur de coin ! Un moment de l’humanité.

Je veux bien qu’il a été enfant de chœur dans les très jadis, César, mais tout de même, de là à pratiquer les exercices papaux, y a une marge, non ? Il t’emballe le morceau comme s’il faisait le pape toute la sainte journée. Il « papote » magnifiquement, le geste sûr, la démarche tranquille.

Il est à la fois pontif et souverain.

Et souverain pontife, aussi.

Le cortège pénètre dans l’église.

Y a prière devant le maître-autel. Une petite rincelette d’oraisons latines, on descend à la crypte.

L’instant est solennel. L’ambiance saisissante. La presse n’est point admise, car il s’agit d’un machin ultraprivé. Ça se passe entre le pape et la sainte. Quelques membres du clergé. Et moi.

Emu.

Oui, malgré le côté factice de la cérémonie. Malgré Pinaud ou plus exactement à cause de lui.

Le cardinal Demption est là, parmi les quelques privilégiés. J’échange un regard avec lui. Il m’accorde une espèce de sourire complimenteur. Ah, on ne peut pas faire prendre un quidam pour le Saint-Père, hein ?

Eh ben, j’ai essayé, mon pote. Et je vais t’assurer d’une chose, on peut !

On peut tellement que même moi, l’instigateur de cette comédie, je me laisse prendre au piège. Cela ne ressemble-t-il point à une espèce de miracle, en soi ? En soie ? Hein, dis ? Cette émotion que j’éprouve ardemment, cet élan vers des infinis célestes, cette foi qui brusquement me Frossarte, cette certitude d’arriver au bout de ma mission sacrée, ça ne relève pas du miracle ?

Si tu dis que non, t’es une crêpe, alors cours te faire fiche chez les colonels.

Faut pourtant que je décrive la scène. Ou la Cène ? Qui Seine…

Le tombeau de la bienheureuse Marie Couchtouala, une simple dalle. Quatre torchères aux angles.

Des séminaristes munis de flambeaux font le cercle dans la crypte. Impressionnant, hein ?

Le « pape » bénéficie d’un prie-Dieu placé au pied du tombeau.

Un grand silence s’établit. Cette cérémonie est une méditation du souterrain pontife. Il est là pour s’unir par la pensée avec la bienheureuse. Une communion mentale, quoi. Le procès en machin de Marie Couchtouala (elle était d’origine martiniquaise, oublie pas) vient d’être instruit. Les plus hautes zautorités de l’Eglise ont reconnu son droit au calendrier, à l’auréole phosphorescente et tout. Désormais, c’est le pape qui se concentre.

Et le Pinuche, tu peux y compter, il fait drôlement bien son boulot de grand penseur. Y a rien à lui reprocher. Il rodine à tout va, le débris. Du beau travail cérébral. Il va s’en écarteler les méninges à force de faire semblant.

Il reste là, une demi-plombe. Faut le faire, hein ? C’est prévu dans le planinge de la visite. Sa Sein-tété doit penser trente minutes d’affilée. Ça t’éberlue, toi qui appelles « penser » chercher dans ta mémoire un numéro de téléphone. Seulement, je t’objecte que tu n’es pas pape, heureusement pour Votre mère l’église. Chez nous, à Mars, que la religion c’est le mégot trempé dans l’huile, on est toujours impressionnés par les prouesses des penseurs terrestres. Surtout les professionnels. Déjà le penseur de ligue C, il nous époustoufle, alors tu juges si les super-cracks nous en fichent plein la vue…

Que je t’informe de ma position, maintenant. Je me tiens dans l’escalier livrant accès à la crypte. Vue imprenable sur l’ensemble du local. Je domine. En plus, je barre la seule voie d’évacuation. Ne me suis-je point démantelé le moral un peu vite ? Parce qu’enfin, que craint-il en ces lieux austères, le pater ? Il est entouré d’ecclésiastiques triés sur le tabernacle. Partout, des forces policières vigilent…

Alors ? Hein ?

Tu ne penses pas que le pauvre Ovide m’a lâché ça à la volée, pour gagner du temps ?

Ou peut-être délirait-il déjà ? Affolé par cette inendigable hémorragie, il devait tout mélanger… Je ne sais. Toujours est-il que je ne conçois pas de quelle manière on pourrait s’y prendre pour agresser le pape à moins qu’une des personnalités présentes tire brusquement un parabellum de sa soutane… La gamberge-party continue.

Tassé sur son prie-patron, Ma Sainteté ne fait pas un mouvement. L’œil chassieux de Pinuche erre sur le tombeau de la bien-machin Marie Couchtouala dont l’œuvre est encore dans toutes les mémoires. Je te rappelle qu’elle fut femme de ménage dans la paroisse Sainte-Articulaire-de-la-Géneflexion et que son ancienne patronne, la marquise de Foutrepaf, vit encore. D’ailleurs n’a-t-elle pas déclaré récemment à un journaliste qui l’interviewait à propos de son ancienne domestique : « Si j’avais su que Marie serait en sainte un jour, je lui aurais permis d’user de ma salle de bains une fois par mois et peut-être aurais-je augmenté ses gages ? »

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23

Je t’ai bricolé ce mot en partant de prémonition, t’auras compris, j’espère ?