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— Allons-y voir.

— Que pensez-vous de ça ? murmure-t-il, alors que nous refaisons surface.

— Rien de bien fameux.

Les portes de l’église sont ouvertes à deux battants. Des membres du clergé continuent de palabrer avec les édiles de l’arrondissement. La foule met du temps à se disperser. Nous remontons la travée principale jusqu’au chœur.

Contournons l’autel.

Tiens, c’est la première fois que je vais à l’autel avec un abbé !

Entre l’autel et le mur, il y a un espace demi circulaire dont le rayon n’excède pas quatre mètres. Et dans cet espace, rien… Le vide.

Désappointement de l’étonnant commissaire San-Antonio. Il s’attendait à découvrir quoi donc, ce daim ?

— Vous êtes bien certain que nous nous trouvons à l’aplomb du prie-Dieu, père ?

A peu près certain.

Je m’agenouille sur les dalles glacées. La position du repentir, de l’imploration, du gratteur de parquet et du chercheur-de-bouton-de-col-du-répertoire, petit gnome.

— Que cherchez-vous ?

— Un trou, mon père. Et le voici…

Je place ma main au-dessus. Il me semble qu’un reflet s’y inscrit ; difficile à discerner car, derrière le chœur, il y a beaucoup de lumière, une lumière glorifiée encore par les vitraux.

Je lève les yeux.

Tout là-haut, un plafond de bois.

— Par où passe-t-on pour grimper dans les combles ?

— Venez…

Alors là, mon pote, faut pas être cardiaque, espère. Un escadrin colimaçonnique, avec des marches de pierre étroites, usées du nez, en pente, périlleuses. Tu sais qu’il est très bien, cet abbé ? T’en as qui insisteraient pour tout savoir, voudraient se faire affranchir avant de piloter l’homme. Lui, il se contente d’escalader d’un pas alpestre. Il a du souffle, le grand bougre. Premier de cordée ! Quelle fougue ! Je le suis de mon mieux. Seulement chez nous, à Mars, que la plus haute montagne mesure à peine 20 mégots, on n’est pas surentraîné pour les escalades.

Au début, je compte les marches.

Mais, à la cent vingt-quatrième, écœuré, je largue les mathématiques pour rester maître absolu de mon oxygène.

Le plus fatal, dans ces ascensions, c’est le côté tire-bouchonneur de la chose. Ça file le tournis. Te met la tronche en pas de vis.

— Ça va y être, m’encourage l’abbé, pour qui le bruit de ma respiration est révélateur.

Il pousse une porte basse…

— Penchez-vous pour entrer…

J’obéis. Mince, quel coup d’œil : cette étendue, madoué ! Faut pas être agoraphobe pour visiter ce grenier désertique où règne une demi-pénombre.

— On dirait que ça pue le tabac, non ? remarqua l’abbé.

Cette observation olfactive déclenche en moi un zinzin flicard de tous les diables (et cependant, je me trouve dans un lieu saint commun).

Je biche le bras taillé dans la masse du prêtre.

— Doucement, père, lui soufflé-je. Nous ne sommes peut-être pas seuls. Il n’existe pas d’autres issues ?

Il secoue négativement la tête (je te dirais bien qu’il branle le chef, comme j’aime à raconter, mais, vu sa condition, ce ne serait pas convenable).

— Planquez-vous derrière la porte et ne laissez sortir personne, d’accord ?

Nouveau hochement de tête. Il est mignon tout plein, ce gentil curaillon. Il mérite de toucher le tiercé dans les ordres.

Ton courageux San-Antonio extirpe l’ami Tu-tues de sa vague, dégage le cran de sûreté et s’avance dans l’immensité. Les lames du plancher grincent sous mon pas. Une odeur âcre de poussière accumoncelée depuis des siècles te chope à la gorge. Maintenant, si tu veux bien comprendre la suite, faut que je te dise que la toiture de l’église est soutenue par d’énormes piliers de bois. Ces piliers sont constitués de troncs de chêne grossièrement équarris. Une vraie petite forêt… Dans un angle se dresse un amoncellement d’ardoises destinées à remplacer celles que l’intempérie émiette. Non loin de ce tas, un gros instrument nickelé est posé sur le sol. Il a la taille d’une machine à laver la vaisselle. Un câble électrique en sort, qui serpente dans le grenier et va se perdre à l’autre extrémité du local. Probablement plonge-t-il, par un trou, vers quelque prise située dans la nef. Un voyant lumineux bleu luit sur un flanc de l’engin que je te cause. Curieux et intimidé, je m’en approche, un peu comme s’il s’agissait d’une soucoupe volante abandonnée dans notre jardin. Un léger ronron s’échappe de « la chose » (en anglais : the thing). Ce bruit est semblable à celui que produit une machine à écrire électrique branchée. J’avise des cadrans… des manettes… La machine en question a quatre pieds, et ces pieds sont vissés dans le plancher. Je me rends compte d’un drôle de truc, ma vieille betterave, et ce, biscotte l’obscurité… Figure-toi qu’un rayon lumineux sort de sous l’appareil. Il passe par un trou percé dans le sol. Est-ce un rayon mortel ? D’une puissance telle qu’il va jusqu’à la crypte à travers deux orifices rigoureusement synchrones ? Et après avoir franchi la hauteur de l’église ?

J’ose pas tripoter c’t’ affaire. Pourtant il faut intervenir, car, d’ici quelques minutes, le véritable pape va arriver. Note que ça n’est pas dangereux puisque le père Pinuche est reparti indemnisé (comme dit Béru, pour « indemne »). A moins que… Un grand frisson me… Mais je te l’ai déjà dit auparavant, le grand frisson. Alors, tiens, râle pas, je te l’échange contre un grand froid au creux de l’estomac, ce qu’est pas dégueulasse non plus, t’admettras ? Un grand froid à l’estomac me chose…

Tu sais quoi je fais ?

Je cramponne une lettre d’amour qui traînait dans ma poche intérieure droite, en compagnie de mon chéquier. Quel des deux est le mieux approvisionné ? Faut voir. Dans cette babille, la fille me raconte comme quoi elle n’arrive pas à oublier le coup du brouillard fantôme que je lui ai pratiqué mercredi passé, non plus que : l’équipée sauvage, l’embrocage monté, le plongeon du chamois, le torrent en folie, le lustre à pendeloques, l’alternatif continu, le stupre revigorant, la poulie folle et le missil dominicil à domicile…

Une gentille amazone. Blonde. Avec des seins très fermes et un…

Mais qu’est-ce que je raconte ! Comme si c’était le moment de parler de ça !

Je déplie sa tartine et glisse le papier dans le rayon pour intercepter icelui. Je m’attends à une brutale cramade. Au moins à un roussissement. Que tchi ! Le papier demeure intact. L’encre du texte ne s’altère même point.

Rassuré, je rempoche ma bafouillette lorsqu’il se passe quelque chose. Un objet se met à rouler sur le plancher. Ça ne lui est pas difficile puisqu’il est rond. Il a jailli de derrière un pilier et s’avance droit vers moi. Comme il est peu probable qu’il s’agisse là d’une balle de baise-bol, loin d’essayer de l’intercepter, je cabriole d’une seule détente derrière le tas d’ardoises.

Moi, tu me connais ? Ce genre de plaisanterie me prend rarissimement au dépourvu.

Pauvre ami, ce que j’ai eu raison de placarder la bidoche. Comme si elles n’attendaient que ça, les cloches de l’église se mettent à carillonner. Et puis, à travers leur tumulte :

Vrrrraoumzzzzzimchplaofffff.

Et j’en passe !

L’écho du grenier amplifie la détonation. Les quelques vitres des rares vasistas se déguisent en poudre. Des éclats de j’sais-pas-quoi volent, me survolent, sifflant à mes oreilles (et à mes machines aussi, seulement mes machines n’ont pas de tympans).

L’appareil mystérieux vient d’exploser. Ne restent que de la fumaga rousse et de la ferraille tordue. Si : les quatre pieds demeurent rivés au planchaga, dérisoires.