— Mais, j’espère bien qu’il ne se fera pas trop attendre ! Je veux un fils ! Bien entendu. Et j’espère que toi aussi tu me donneras un gros garçon. Nous l’appellerons Charles, si tu veux, comme mon père.
— Et comme un certain M. Denis ! riposta Marianne stupéfaite.
Voilà qu’il parlait enfant maintenant ? Et aussi naturellement que s’ils eussent été mariés de longue date. L’envie sournoise, mais impérieuse, de le contrarier lui vint :
— Ce sera peut-être une fille ! dit-elle envisageant cette éventualité pour la première fois, car, jusque-là, et Dieu seul savait pourquoi, elle avait toujours été persuadée que l’enfant à naître était un garçon.
Mais, décidément, elle n’avait aucune chance, ce soir, de le remettre en colère. Ce fut très joyeusement qu’il déclara :
— Je serais très heureux d’avoir une fille. J’ai déjà deux garçons, tu sais ?
— Deux ?
— Mais oui, un jeune Léon, né voici quelques années, et le petit Alexandre qui a vu le jour en Pologne le mois dernier.
Cette fois, Marianne, vaincue, se tut, plus blessée qu’elle ne voulait se l’avouer. Elle ignorait encore la naissance du fils de Marie Valewska et cela la choquait au plus haut point de se trouver ainsi placée au même rang que les autres maîtresses de l’Empereur, son enfant mis d’autorité, qu’elle le voulût ou non, dans une sorte de nursery pour bâtards impériaux.
— Félicitations ! fit-elle du bout des dents.
— Si tu as une fille, reprit Napoléon, nous lui donnerons un nom corse, un joli nom ! Laetitia, comme ma mère, ou Vannina... j’aime ces noms ! Maintenant, dépêche-toi de t’habiller. On va finir par s’étonner de la longueur de cette entrevue.
Et maintenant, il se souciait du qu’en-dira-t-on ? Ah ! vraiment, il avait changé ! Il était bien entré tout entier dans son nouveau personnage d’homme marié ! Rageusement, mais avec rapidité, Marianne réintégra ses atours. Il l’avait laissée seule peut-être par discrétion, mais plus sûrement par hâte de regagner son cabinet, se contentant de lui dire de descendre le rejoindre dès qu’elle serait prête. Marianne y mit d’ailleurs une hâte égale à la sienne : elle était pressée maintenant de quitter ce palais où son bel amour venait de recevoir, elle le sentait bien, une dangereuse fêlure. Elle aurait du mal à lui pardonner ce trop rapide intermède amoureux qui sentait son bourgeois d’une lieue !
Quand elle regagna le cabinet de travail. Napoléon l’attendait, son cachemire sur le bras. Avec gentillesse, il le lui posa sur les épaules, demanda, câlin tout à coup, comme un enfant qui veut se faire pardonner une sottise :
— Tu m’aimes toujours ?
Elle se contenta, pour répondre, d’un haussement d’épaules et d’un sourire un peu triste.
— Alors, demande-moi quelque chose ! Je voudrais te faire plaisir.
Elle fut sur le point de refuser puis, brusquement, se rappela ce que Fortunée, entre deux portes, lui avait raconté la veille et qui la souciait tellement. C’était le moment où jamais de faire plaisir à sa plus fidèle amie... et certainement d’ennuyer un peu l’Empereur. Le regardant bien en face, elle lui adressa cette fois un grand sourire.
— Il y a, en tout cas, quelqu’un à qui, à travers moi, vous pourriez faire plaisir, Sire !
— Qui donc ?
— Mme Hamelin. Il paraît que lorsque l’on a, chez elle, arrêté le banquier Ouvrard, on a également arrêté le général Fournier-Sarlovèze qui s’y trouvait tout à fait par hasard.
Si Marianne avait espéré contrarier Napoléon, elle avait pleinement réussi. Instantanément, le masque de César recouvrit le sourire aimable de l’instant précédent. Il retourna vers son bureau et, sans la regarder, déclara sèchement :
— Le général Fournier n’avait rien à faire à Paris, sans permission. Sa résidence est Sarlat ! Qu’il s’y tienne.
— On dirait, lit Marianne, que Votre Majesté ignore quels tendres liens l’unissent à Fortunée. Ils s’adorent et...
— Balivernes ! Fournier adore toutes les femmes et Mme Hamelin est folle de tous les hommes. Ils savent parfaitement se passer l’un de l’autre. S’il était chez elle, c’était sans doute pour une autre raison.
— Naturellement, admit Marianne sans s’émouvoir. Il souhaite éperdument retrouver sa place dans les rangs de l’Armée... et Votre Majesté le sait très bien !
— Je sais surtout ce qu’il est : un trublion, un agité, une mauvaise tête... qui me déteste et ne me pardonne pas de porter la couronne !
— Mais qui aime tant votre gloire ! fit doucement Marianne en s’étonnant d’ailleurs de trouver de tels arguments pour défendre un homme que, personnellement, elle détestait. Et Fortunée serait si heureuse !
Le regard, soudain soupçonneux, de Napoléon revint se poser sur elle.
— Cet homme... d’où le connaissez-vous ?
Une diabolique tentation vint à Marianne ! Comment réagirait-il si elle lui disait que Fournier avait tenté, la nuit de son auguste mariage, de la violer derrière une porte de jardin ? Furieusement sans doute ! Et cette fureur la paierait de bien des choses, mais Fournier, lui, la paierait peut-être de sa vie, ou d’une éternelle disgrâce, et il n’avait pas mérité cela, même s’il était insupportable et odieux !
— Le connaître, c’est beaucoup dire ! Je l’ai vu, un soir, chez Mme Hamelin. Il arrivait de son Périgord et venait la supplier d’intercéder pour lui. Je ne me suis pas tellement attardée. Il me semblait que le général et mon amie souhaitaient beaucoup un moment de solitude !
L’éclat de rire de l’Empereur lui montra qu’elle avait réussi. Il revint vers elle, lui prit la main, la baisa et sans la lâcher la conduisit vers la porte.
— Allons ! Tu as gagné ! Dis à ce polisson en jupons de Fortunée qu’elle reverra bientôt son coq de village ! Je vais le sortir de prison et, avant l’automne, il retrouva son commandement. Maintenant, sauve-toi vite ! J’ai à travailler.
Ils se saluèrent au seuil de la porte, lui d’une brève inclinaison du buste, elle de la rituelle révérence, aussi solennels, aussi impersonnels que s’ils n’avaient eu, derrière cette porte fermée, qu’une conversation de salon. Dans la galerie d’Apollon, Marianne retrouva Duroc qui l’attendait pour la reconduire à la voiture et lui offrit la main.
— Alors ? Contente ?
— Très, fit Marianne du bout des dents. L’Empereur a été... charmant !
— C’est une vraie réussite, approuva le grand maréchal. Vous voilà complètement rentrée en grâce ! Et vous ne savez pas encore à quel point ! Mais je peux vous le dire car vous recevrez certainement votre nomination avant peu.
— Ma nomination ? Quel genre de nomination ?
— Celle de dame du Palais, voyons ! L’Empereur a décidé que, en tant que princesse italienne, vous rejoindriez le groupe des grandes dames étrangères qui sont, désormais, attachées à ce titre à la personne de l’Impératrice : la duchesse de Dalberg, Mme de Périgord, la princesse Aldobrandini, la princesse Chigi, la comtesse Bonacorsi, la comtesse Vilain XIV... Cela vous revenait de droit.
— Mais je ne veux pas ! s’écria Marianne suffoquée. Comment a-t-il osé me faire cela, à moi ? M’attacher à sa femme, m’obliger à la servir, à lui tenir compagnie ? Il est fou !
— Chut donc ! intima précipitamment Duroc en jetant autour de lui un regard inquiet. N’imitez pas trop Mme de Périgord dans ses appréciations. Et, surtout, ne vous affolez pas. Les nominations sont décidées mais, d’abord, le décret n’est pas encore signé, encore que la comtesse Dorothée ait déjà pris son service ; ensuite, si j’en crois le caractère exclusif de la duchesse de Montebello, cette charge ne vous prendra pas beaucoup de temps. En dehors des grandes réceptions auxquelles vous serez tenue d’assister, vous n’approcherez guère l’Impératrice, n’entrerez pas dans sa chambre, ne lui parlerez pas, ne monterez pas dans sa voiture... Bref, c’est surtout une charge honorifique mais elle aura l’avantage de faire taire les ragots !