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— Taisez-vous ! La voilà ! Elle est assez malheureuse comme cela ! A bientôt.

Une heure plus tard, Jolival, convenablement récuré et restauré, était en mesure de répondre aux questions de Marianne. Il raconta comment il avait quitté Aix-la-Chapelle dès que Fortunée Hamelin lui eut remis la lettre dont elle s’était faite la messagère. Une heure ne s’était pas écoulée qu’en compagnie d’Adelaïde d’Asselnat il reprenait à grandes guides la route de Paris.

— Adélaïde est revenue avec vous ? s’étonna Marianne. Mais alors pourquoi n’est-elle pas ici ?

Jolival expliqua que la vieille demoiselle, au récit des épreuves qui frappaient sa jeune cousine, n’avait pas eu l’ombre d’une hésitation.

— Elle a besoin de moi. Je rentre ! avait-elle déclaré dans un grand élan de générosité.

Au surplus, l’espèce d’enchantement qui l’avait poussée vers la vie de saltimbanque pour partager, un moment, l’univers du pitre Bobèche, semblait avoir beaucoup perdu de son intensité. Outre que le métier de baladin, doublé de celui d’agent secret, n’avait pas que des charmes, Adélaïde avait enfin mesuré qu’une différence d’âge de plus de dix ans avec le garçon de ses pensées était un lourd handicap. Il est vrai que la romance tout récemment entamée par Bobèche avec une fraîche bouquetière du parc thermal d’Aix était bien pour quelque chose dans cette nouvelle sagesse.

— Bien sûr, ajouta Jolival, elle est revenue un peu déçue, un peu désenchantée, un peu mélancolique mais, au fond, assez satisfaite de retrouver son rang, sa vie normale... et la cuisine française. Elle aimait Bobèche, mais elle déteste la choucroute ! Et puis, du moment que les choses vont mal pour vous, elle estime que sa place est à vos côtés. J’ajoute qu’elle est immensément fière que vous soyez princesse, encore qu’elle préférerait se faire hacher menu plutôt que l’avouer.

— Pourquoi, dans ce cas, n’être pas venue avec vous ?

— Parce qu’elle estime vous être plus utile à Paris plutôt que vous apporter ici un renfort de gémissements. On sait votre exil, chez vous, et il est bon que quelqu’un tienne la maison. Dans ce rôle, Mlle Adelaïde fait merveille et votre maisonnée file doux.

La nuit était close depuis longtemps que les deux amis parlaient encore. Ils avaient tant à se dire ! Arcadius de Jolival n’avait pas l’intention de s’arrêter longtemps à Bourbon. Il comptait repartir pour Paris dès le lendemain, sa visite n’ayant eu pour seul but qu’informer Marianne de son retour et de son aide effective. En même temps, il souhaitait entendre, de la bouche même, de la jeune femme, le récit complet des événements afin d’en tirer les conséquences naturelles.

— Si j’ai bien compris, dit-il, tout en dégustant, les yeux mi-clos, son verre d’un vieil armagnac que Talleyrand avait fait porter dans la soirée à son intention, ni l’inspecteur Pâques ni Savary n’ont voulu vous écouter lorsque vous avez essayé d’accuser votre... enfin lord Cranmere ?

— C’est bien cela ! L’un m’a prise pour une folle et l’autre n’a rien voulu entendre.

— Leur conviction s’est renforcée du fait qu’il a été impossible de trouver la moindre trace de son passage. Le personnage doit être singulièrement habile dans l’art de brouiller sa piste ! Pourtant, il était bien à Paris. Il existe bien, quelque part, quelqu’un qui l’a vu.

— Il me vient une idée, s’écria soudain Marianne. A-t-on cherché chez notre voisine ? Cette Mrs Atkins, avec laquelle Adélaïde était du dernier bien et chez qui Francis logeait, doit tout de même être capable de nous dire si oui ou non il est encore chez elle et, s’il n’y est plus, combien de temps il y est resté !

— Magnifique ! s’exclama Jolival. Voilà pourquoi il fallait que je vienne. Vous n’aviez point parlé de Mrs Atkins dans votre lettre. Votre cousine, qui s’est cachée jadis chez elle, n’en aura que pour un moment de la confesser tout à fait. Son témoignage peut être d’une importance d’autant plus grande qu’elle est anglaise, elle aussi.

— Reste à savoir, fit Marianne soudain assombrie, si elle acceptera de témoigner contre un compatriote.

— Si Mlle Adélaïde n’y parvient pas, personne n’y arrivera et il faut, en tout cas, essayer. D’autre part, lord Cranmere a fait un bref séjour à Vincennes quand Nicolas Mallerousse l’avait arrêté boulevard du Temple. Il serait peut-être possible de trouver sa trace au registre d’écrou.

— Croyez-vous ? Il s’en est échappé si facilement ! Peut-être n’a-t-il même pas été inscrit ?

— Pas inscrit ? Alors que Nicolas Mallerousse en personne l’escortait ? Je vous parie bien que si ! Et cette inscription au registre, c’est la preuve formelle de la nature exacte des relations entre lord Cranmere et votre pauvre ami. Si nous pouvons faire examiner le registre, nous avons une chance d’être entendus de la Police d’abord, de la Justice ensuite ! Et, au besoin, nous irons à l’Empereur. Il vous interdit de l’approcher, mon amie, mais moi il ne m’a rien interdit du tout ! Et je demanderai audience. Et il m’entendra !... Et nous aurons gain de cause !

Tout en parlant, Arcadius se laissait emporter par les espoirs tout neufs qui venaient de se lever avec les deux suggestions émises par lui et par Marianne. Ses petits yeux vifs brillaient comme des braises et les lignes bizarres de son visage, si affaissées tout à l’heure par le souci, se relevaient pour arriver presque au sourire. Pour Marianne, cet enthousiasme communicatif fut une soudaine bouffée de joie et d’espoir et fit l’effet d’un tonique. Un élan la jeta au cou de son ami :

— Arcadius ! Vous êtes merveilleux ! Je savais bien que, si je vous retrouvais, je retrouverais du même coup l’espoir et le goût de la lutte ! Grâce à vous, je sais maintenant que tout n’est pas perdu, que nous arriverons peut-être à le sauver !

— Peut-être ? pourquoi, peut-être ? renchérit Jolival chez qui l’armagnac du prince décuplait les effets de l’enthousiasme, il faut dire que nous le sauverons sûrement !

— Vous avez raison : nous le sauverons... à n’importe quel prix ! ajouta Marianne avec un accent de détermination si farouche qu’Arcadius, à son tour, l’embrassa, heureux de la voir reprendre meilleur moral.

Cette nuit-là, pour la première fois depuis son départ de Paris, Marianne se coucha sans éprouver la pénible impression d’accablement et d’impuissance qu’elle retrouvait chaque soir, plus aiguë et plus pénible quand tombait le jour. La confiance, au moins, lui était revenue et elle savait que, même éloignée de Paris, même exilée, elle pourrait désormais agir, par personne interposée peut-être mais pour le plus grand bien de Jason. Et cela, c’était la plus réconfortante des pensées.

Quand, au matin, Jolival reprit la route de Paris, avec un courage qui faisait honneur à son endurance et à ses qualités de cavalier, il emportait, outre une lettre de Marianne pour Adélaïde, tous les espoirs revenus de sa jeune amie. En revanche, il laissait derrière lui une femme qui avait repris le goût de vivre.

Les jours qui suivirent furent, pour Marianne, un bienfaisant moment de rémission. Confiante dans l’action conjuguée d’Arcadius et d’Adélaïde, elle s’accorda le loisir de subir le charme de la petite ville thermale, laissant couler paisiblement les heures à l’horloge de la tour Quiquengrogne. Elle trouva même un certain plaisir à regarder vivre, dans une bien plus grande liberté qu’à Paris, la maisonnée de Talleyrand.

Du matin au soir, elle pouvait entendre les rires et les chants de la petite Charlotte qui semblait avoir pris à tâche de donner une nouvelle jeunesse à son grave M. Fercoc et qui, pour une fois, imposait à son précepteur une loi où les jeux et les escapades en campagne avaient infiniment plus de place que le latin ou les mathématiques.