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La nuit était trop obscure pour qu’elle pût espérer s’orienter, mais ce qu’elle cherchait surtout c’était s’éloigner le plus possible du château. L’immensité du domaine et la sauvagerie de ce bois plein de fourrés et de ronces où elle se déchirait à l’aveuglette lui faisaient espérer qu’il n’y aurait pas, du moins, de mur de clôture à escalader.

Marchant droit devant elle, passant tour à tour d’un spongieux tapis de feuilles à des ornières boueuses, Marianne finit par trouver un sentier. Ses yeux étaient maintenant habitués à l’obscurité et lui permettaient d’avancer en évitant les obstacles les plus pénibles. La pluie ne cessait pas, mais, dans ce bois touffu, elle tombait moins dru que sur les terres à découvert. Longtemps, la fugitive marcha, sans trop savoir où elle allait, cherchant avant tout quelque hutte de charbonnier où s’abriter et se reposer un peu... Elle était transie de froid et tombait de sommeil. Tout ce qu’elle trouva, ce fut un gros rocher en surplomb dont la base offrait un trou peu profond que l’on ne pouvait guère décorer du nom de grotte. Si précaire que fût cet abri, Marianne s’y glissa, se pelotonna comme un chat dans les feuilles sèches et s’endormit comme une masse.

Quelque chose de froid et d’humide qui se promenait sur sa figure l’éveilla en sursaut. Elle se trouvait nez à nez avec un gros chien de chasse qui la reniflait avec application. Plus loin, il y avait une paire de jambes habillées de houseaux de toile et chaussées de gros sabots. En levant la tête, elle vit que le tout appartenait à un jeune garçon qui, une vieille pétoire en travers des épaules, la regardait d’un air perplexe. Il faisait grand jour et la pluie avait cessé :

Voyant que la dormeuse se redressait, il rappela son chien.

— Ici, Briquet !... Laisse !...

Docilement, le chien vint s’asseoir aux pieds de son maître qui, se penchant, tendit une main à Marianne pour l’aider à se relever.

— Bonjour, fit-il aimablement. Je suis content de vous voir éveillée. Quand Briquet vous a trouvée j’ai cru un moment que...

Il n’osa pas le mot, ce fut Marianne qui compléta sa pensée :

— Que j’étais morte ? J’ai si mauvaise mine que ça ?

— Vous êtes si pâle !...

— C’est que j’ai froid...

C’était vrai. Dans l’air vif du matin, Marianne tremblait comme feuille au vent et sa peau meurtrie avait des bleuissures qui ajoutaient à son air lamentable. Vivement, le garçon ôta de ses épaules une espèce de cape en laine et la jeta sur celles de Marianne.

— Venez à la maison. Ma grand-mère prendra soin de vous... Nous habitons tout près. Tenez, le premier toit que vous apercevez entre les arbres, à l’entrée du village.

Marianne constata, en effet, qu’elle était presque sortie de la forêt et qu’un village fumait à quelques toises de là. Elle se sentait si mal en point qu’elle accepta volontiers l’invitation de son nouvel ami, se bornant, avant de le suivre, à demander :

— Ce village, qu’est-ce que c’est ?

— Loisy ! Vous n’êtes pas de la région ?

— Est-ce que... c’est loin de Mortefontaine ?

— Oh non ! Une petite lieue à l’est.

Pas plus ? Elle eut du mal à cacher sa déception. Elle avait l’impression d’avoir tant marché qu’elle espérait bien avoir couvert un beaucoup plus long chemin. Sans doute, dans son ignorance des alentours, avait-elle tourné en rond. Vivement, elle regarda son compagnon. Il ressemblait un peu à Gracchus-Hannibal Pioche. C’étaient les mêmes cheveux blond paille, les mêmes yeux bleus qui regardaient droit, mais les traits de celui-là étaient plus fins, sa silhouette plus étirée. L’ensemble lui plut et elle décida de lui faire confiance.

— Il faut que vous sachiez ! Je me suis enfuie d’une grange du château de Mortefontaine où des gens de l’entourage de la reine d’Espagne me retenaient prisonnière. Mais je vous jure que je ne suis pas une criminelle ni une voleuse.

Le garçon eut un bon sourire.

— Vous n’en avez pas l’air ! Et puis, si vous étiez l’une ou l’autre, on vous aurait mise dans une prison... pas dans une grange ! Venez, vous raconterez votre histoire à ma grand-mère. Elle aime tellement les histoires !

Chemin faisant, Marianne apprit que son compagnon se nommait Jacques Cochu, qu’il avait un peu de terre sur le village voisin et qu’il y vivait seul avec sa grand-mère, mais qu’il allait se marier dans quelques jours.

— J’aurais bien attendu le printemps, lui confia-t-il, mais grand-mère tient à ce que je ‘sois marié avant pour échapper à la conscription. J’ai déjà eu de la chance que, cette année, à cause de son mariage, l’Empereur ne lève pas de troupes... Alors, je vais épouser Etiennette.

— Vous n’avez pas envie de vous battre ? demanda Marianne un peu déçue, car, avec sa belle imagination, elle avait déjà habillé son sauveur aux couleurs de sa chevalerie personnelle.

Jacques lui offrit un sourire plein de franchise et de naïveté.

— Si, j’aurais aimé ! Quand j’entends les anciens raconter Valmy, ou l’Italie, ça me donne des fourmis dans les jambes ! Seulement, si je m’en vais, qui donc cultivera la terre ? Et qui fera vivre ma grand-mère... et Etiennette ? Ses parents sont morts l’an passé ! Alors, il faut que je reste.

— Bien sûr ! fit-elle gentiment. C’est vous qui avez raison ! Mariez-vous vite et soyez très, très heureux !

Tout en bavardant, ils étaient arrivés à une petite ferme d’une scrupuleuse propreté au seuil de laquelle une vieille femme droite comme un I les attendait, les bras croisés sur son fichu de laine, l’air pas trop content d’ailleurs de voir son petit-fils revenir avec une inconnue en haillons. Mais, très vite, Jacques expliqua les circonstances de leur rencontre et comment il avait ramené Marianne pour qu’elle reprît quelques forces. Aussitôt, la belle hospitalité des gens du Valois s’offrit à elle. La vieille femme l’installa auprès du feu, lui donna un grand bol de soupe chaude, tailla pour elle une large tranche de pain et un gros morceau de lard puis se mit à la recherche de vêtements secs tandis que Marianne racontait son histoire... ou plutôt l’histoire qui lui semblait convenir aux circonstances. Il lui était pénible de mentir à ces braves gens qui l’accueillaient avec tant de chaleur et de générosité, mais elle se voyait mal déclinant sa pompeuse identité de princesse italienne. Aussi, pour un temps, préféra-t-elle redevenir Marianne Mallerousse.

— Mon oncle vient d’être tué au service de l’Empereur, confia-t-elle à ses nouveaux amis, et moi j’ai été enlevée par ses meurtriers afin que je ne puisse pas les trahir. Mais il faut que je rentre à Paris le plus vite possible. Je veux venger... mon oncle et j’ai des révélations importantes à faire.

Un moment, elle se demanda si, même ainsi édulcorée, son histoire n’était pas un peu forte, mais ni la grand-mère ni Jacques ne marquèrent la moindre surprise. Même, la vieille femme approuva, hochant la tête.