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Quand ce fut fini, à bout de forces, Marianne cacha son visage dans ses mains qui tremblaient.

— Vous savez tout, maintenant, Sire ! Et j’affirme qu’il n’est pas un seul mot de ce récit qui ne soit véridique ! J’ajoute, fit-elle très vite en laissant retomber ses mains, que la visite de lord Cranmere a marqué le début de ce drame pour lequel...

— Un moment ! Nous n’en sommes pas là ! coupa sèchement Napoléon. Vous avez juré que ceci était l’expression même de la vérité...

— Et je le jure encore, Sire !

— Inutile ! Si les choses se sont passées ainsi que vous l’avez dit, vous devez en porter la preuve sur vous : montrez-la-moi !

Marianne rougit brusquement jusqu’à la racine de ses cheveux noirs et son regard s’affola.

— Vous voulez dire... cette brûlure ? Mais, Sire, elle se trouve... sur ma hanche !

— Eh bien ? Déshabillez-vous !

— Ici ?...

— Pourquoi non ? Personne n’entrera ! Et ce ne sera pas la première fois, il me semble, que vous abandonnerez vos vêtements devant moi ? Le temps n’est pas si éloigné où vous y preniez même un certain plaisir.

Les larmes montèrent aux yeux de Marianne à l’entendre évoquer, si froidement et avec un ton sarcastique, des instants qui comptaient toujours parmi ses plus chers souvenirs mais qui, désormais, lui semblaient faire partie d’une autre vie.

— Sire, dit-elle faiblement, ce temps-là est plus éloigné que Votre Majesté ne l’imagine...

— Je ne partage pas cette manière de voir ! Et si vous voulez que je vous croie, madame, il faut m’apporter vos preuves. Sinon, vous pouvez partir : je ne vous retiens plus...

Lentement, Marianne se leva. Dans sa gorge, une boule allait et venait, lourde d’angoisse et de chagrin, insupportable... L’avait-il donc si peu aimée qu’il exigeât d’elle ce sacrifice de sa pudeur et de leurs amours passées ? Il avait raison quand il disait que, naguère encore, elle aimait offrir son corps à ses regards parce que alors ses regards étaient autant de caresses. Mais il la regardait maintenant aussi froidement qu’un marchand d’esclaves évaluant une pièce de cheptel humain. Et puis il y avait, à présent, un abîme entre la femme du Butard et de Trianon et celle qui, sur la planche d’une prison, s’était donnée si passionnément à l’homme qu’elle aimait et dont la vie dépendait peut-être de ce naufrage intime...

Détournant les yeux, elle commença à ouvrir le spencer de drap vert qui serrait son buste. Ses doigts tremblaient sur les brandebourgs de soie noire mais la courte veste tomba sur le tapis. La longue jupe d’amazone glissa sur ses hanches puis la chemise dont Marianne dégagea ses épaules. Voilant sa poitrine de ses deux bras croisés, elle tourna légèrement sa hanche blessée.

— Voyez, Sire, dit-elle d’une voix blanche.

Napoléon se pencha. Mais, quand il se redressa, son regard assombri s’enfonça dans celui de la jeune femme et le retint prisonnier durant un instant de silence.

— Faut-il que tu l’aimes ! murmura-t-il enfin.

— Sire !...

— Non ! Tais-toi ! C’est cela, vois-tu, que j’ai voulu savoir. Tu ne m’aimes plus, n’est-ce pas ?

Cette fois, ce fut elle qui chercha son regard.

— Si ! Je jure que je vous aime toujours. Mais... différemment !

— C’est bien ce que je disais. Tu m’aimes... bien !

— Mais vous-même, Sire ? Vos sentiments envers moi sont-ils demeurés les mêmes ? Et l’Impératrice n’est-elle pas... très chère à votre cœur ?

Il eut l’un de ses rares et si charmants sourires.

— Si ! Tu as raison ! Néanmoins... je crois qu’il me faudra de longues années avant de pouvoir te contempler sans émotion. Rhabille-toi !...

Tandis qu’avec des gestes, fébriles maintenant, elle remontait sa chemise, sa jupe et réendossait son spencer. Napoléon se mit à fourrager dans les papiers qui encombraient son bureau, cherchant quelque chose. Finalement, il sortit une grande feuille de papier, couverte d’une écriture fine et déjà revêtue du grand sceau impérial, et la tendit à Marianne :

— Tiens ! dit-il, c’est cela, n’est-ce pas, que tu es venue me demander au risque de nous rompre le cou à tous deux : la grâce de Jason Beaufort ? Tu vois que je ne t’avais pas attendue pour y penser. Elle est prête.

La joie frappa Marianne en plein cœur et fut presque aussi pénible qu’une douleur tant elle fut violente.

— Vous faites grâce, Sire ?... Mon Dieu ! Quelle joie vous me donnez !... Ainsi, le cauchemar est fini ? Il va être libre ?...

Napoléon fronça les sourcils et reprit l’acte de clémence. Brusquement, l’ami disparut et l’Empereur se montra de nouveau.

— Je n’ai pas dit cela, madame. J’ai fait grâce de la vie à votre pirate américain parce que je sais... sans d’ailleurs en avoir la preuve formelle... qu’il n’a pas tué Nicolas Mallerousse. Mais le fait de contrebande demeure, ainsi que ces fausses livres anglaises, d’autant plus que toutes les chancelleries en parlent, et je ne peux passer l’éponge sur d’aussi graves accusations. Beaufort ne montera donc pas à l’échafaud... mais il ira au bagne !

La flamme de bonheur baissa dans l’âme de Marianne jusqu’à n’être plus qu’une pâle lueur.

— Sire, murmura-t-elle, je peux vous affirmer que, de cela comme du crime, il est innocent.

— Votre parole est une faible défense contre des évidences accablantes.

— Si vous vouliez me laisser vous expliquer, vous dire comment, selon moi, les choses se sont passées, je suis certaine...

— Non, madame ! N’en demandez pas davantage ! Il est hors de mes moyens de vous l’accorder ! Contentez-vous que j’aie sauvé sa tête ! J’admets que le bagne ne soit pas un lieu de délices, tant s’en faut, mais on y vit... et parfois on en revient !

« Ou l’on s’en évade ! » pensa Marianne en évoquant soudain la silhouette désinvolte du curieux compagnon de cellule de Jason. Mais l’Empereur reprenait :

— Quant à vous, bien entendu, vous pouvez désormais rentrer chez vous tranquillement. Votre cousine vous y attend et aussi ce bizarre personnage dont vous avez fait une sorte d’oncle à la mode de Bretagne et que vous aviez expédié chez M. Fouché ! Je vous informe qu’il en est revenu ! Inutile, donc, de continuer à vous cacher... A ce propos, où donc étiez-vous passée depuis... que vous avez choisi de vivre en recluse à Bourbon-l’Archambault ?

— Y a-t-il, Sire, quelque chose que vous ne sachiez pas ? dit-elle.

— Il y en a beaucoup trop !... surtout depuis que j’ai dû me séparer de M. le duc d’Otrante. Ainsi de vous. Quel refuge aviez-vous trouvé !

— Ce n’était pas un refuge, Sire, c’était une prison, affirma la jeune femme bien décidée à cacher, autant que faire se pourrait, le rôle joué par Crawfurd et sa femme, de même que celui de Talleyrand. La femme de Jason Beaufort, qui a trouvé refuge chez Sa Majesté la Reine d’Espagne, m’avait fait enlever et me retenait captive dans une grange située dans une île du domaine de Mortefontaine. Grâce à Dieu, j’ai pu lui échapper...