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— Le bagne est un enfer, Marianne, lui dit-il, et le chemin qui y mène un affreux calvaire ; la mort y trouve cent occasions de frapper : l’épuisement, la maladie, la haine des autres, les punitions, le travail dangereux. Commuer la peine de mort en condamnation au bagne est à peine une grâce et, si nous voulons tenter de monter une évasion, il faudra nous montrer d’une infinie prudence, d’une extrême patience, car un prisonnier de cette valeur sera gardé plus attentivement que les autres et un échec de notre part pourrait lui être fatal. Vous me laisserez prendre la tête des opérations...

Marianne avait constaté avec étonnement que ces quelques semaines de séparation avaient vieilli Joli-val. Son visage toujours si joyeux s’était creusé, tandis que ses cheveux noirs montraient aux tempes quelques fils argentés. De son voyage à Aix, il avait rapporté une plus amère connaissance des hommes et une déception car, en opposition avec ce qu’il avait espéré, le duc d’Otrante avait catégoriquement, obstinément, refusé de se mêler en quoi que ce soit de l’affaire Beaufort. Il avait allégué, assez grossièrement, que, n’étant plus rien, les gens de l’entourage de l’Empereur n’avaient qu’à se débrouiller avec son successeur. Il avait même émis sur Marianne elle-même une opinion que Jolival se garda bien de lui faire entendre.

— Princesse ou pas, cette femme possède un visage et un corps dont on ne doit pas se lasser facilement. Tant qu’elle saura éveiller le désir de Napoléon, elle en tirera ce qu’elle voudra, même maintenant qu’il est en puissance d’épouse ! En me mêlant de cette histoire, je risquerais tout juste d’aggraver ma disgrâce.

Et Arcadius, désolé, avait repris, bredouille, le chemin de Paris pour y apprendre la disparition de Marianne. Durant des jours et des jours, avec l’aide de Talleyrand et d’Eleonora Crawfurd, il avait cherché à savoir ce qu’étaient devenus la jeune femme et son vieux compagnon. L’enquête les avait menés à la Force, mais pas au-delà. Les gens de la prison avaient vu le faux Normand et sa pseudo-fille s’éloigner paisiblement, bras dessus bras dessous, dans la rue des Ballets, tourner le coin de cette rue... puis ils avaient disparu aussi totalement que s’ils s’étaient soudain évanouis dans l’air. Tout ce que l’on avait retrouvé c’était, dans la Seine, le cadavre égorgé du cocher.

— Nous vous avons crue morte ! ajouta Adélaïde dont les yeux, encore rougis, portaient les traces de son angoisse. Comment ne pas imaginer que vous n’aviez pas reçu même traitement ? Et nous avons eu peur... si peur jusqu’au jour, qui se situe mardi dernier, où M. Crawfurd est enfin revenu chez lui et nous a appris votre enlèvement par une femme et des Espagnols masqués. Il savait, pour l’avoir entendu dire, que l’on ne vous tuerait pas... tout au moins pas tout de suite, que l’on attendrait l’issue du procès.

— La condamnation nous a rendus à moitié fous ! reprit Jolival. Pensant que, peut-être, cette Pilar avait osé vous emmener à Mortefontaine, je suis retourné là-bas, j’ai cherché... sans résultat. D’ailleurs, vous étiez déjà enfuie puisque tout cela est arrivé cette semaine.

Navrée de lire sur leurs visages les marques des transes par lesquelles ils étaient passés à cause d’elle, Marianne se reprocha de les avoir un peu laissés de côté. Bien sûr, en regagnant Paris, après sa fuite, elle aurait pu, elle aurait dû, au moins, faire prévenir Adélaïde, mais, quand elle avait appris que Jason était condamné, elle n’avait plus eu qu’une seule idée en tête : l’arracher à la mort. Tout le reste du monde s’était, d’un seul coup de gomme, effacé pour elle.

Elle mit pour s’expliquer et s’excuser tant de douceur et d’affection qu’ils ne la laissèrent pas aller bien loin sur ce chemin. Arcadius conclut l’affaire en peu de mots.

— Vous êtes là, vous êtes entière et nous avons la certitude que Beaufort ne montera pas à l’échafaud. C’est déjà ça ! Se plaindre du ciel, dans de telles circonstances, serait de la simple ingratitude ! Nous allons boire à votre retour, Marianne ! ajouta-t-il joyeusement en sonnant Jérémie pour qu’il apporte du Champagne.

— Croyez-vous que nous puissions faire de ce jour une fête, fit observer Marianne, alors que, vous me l’avez dit vous-même, la mort guette toujours Jason ?

— Aussi n’est-ce pas une fête mais simplement un instant de répit avant de plonger tête la première dans de nouveaux ennuis. Autant vous le dire tout de suite : une nouvelle lettre est arrivée de Lucques ! Votre époux exige votre retour immédiat sous peine de porter sa plainte à l’Empereur et de réclamer de lui l’aide séculaire du suzerain au vassal pour vous faire ramener à Lucques !

Marianne se sentit pâlir. Elle ne s’était pas attendue à une aussi brutale mise en demeure et les récits d’Eleonora Crawfurd lui revenaient en mémoire, apportant à cet ultimatum une nuance singulièrement menaçante. De toute évidence le prince la prenait pour une aventurière et entendait lui faire payer sa déception, peut-être au prix du sang.

— Qu’il fasse ce qu’il veut, je n’irai pas ! L’Empereur lui-même ne pourra me contraindre. D’ailleurs, dans peu de temps sans doute, j’aurai quitté Paris.

— Encore ? gémit Mlle d’Asselnat. Mais, Marianne, où voulez-vous aller ? Moi qui pensais que nous allions enfin vivre en paix, ici... dans cette maison et au milieu de tout ce qui s’y rattache.

Pour sa cousine, Marianne eut un sourire affectueux, un regard apitoyé et un geste plein de tendresse. L’aventure qu’elle venait de vivre, et où elle avait dû laisser quelques lambeaux de son cœur, semblait avoir profondément affecté la vieille demoiselle. La belle vitalité qui ne l’avait pas quittée durant plus de quarante années d’épreuves et de lutte semblait éteinte, ou tout au moins en sommeil. Elle devait être immensément avide de silence, de tranquillité et le regard qu’elle posait sur les meubles et les objets raffinés qui composaient ce salon élégant se teintait d’avidité pour se charger d’un appel au secours lorsqu’il atteignait, au-dessus de la cheminée, le grand portrait du marquis d’Asselnat.

— Vous ne me suivrez pas, Adélaïde. Vous avez besoin de repos, de calme et cette maison a besoin d’une maîtresse un peu plus sédentaire que je ne suis. Je vais partir, en effet, une fois de plus, et vous vous en doutez. Le bagne n’est pas à Paris et je veux, désormais, suivre Jason pas à pas. Au fait, ajouta-t-elle en se tournant vers Arcadius, sait-on où il sera conduit ?

— Brest, très certainement !

— C’est une bonne nouvelle. Je connais bien la ville. C’est là que j’ai vécu quelques semaines avec le pauvre Nicolas Mallerousse, dans sa petite maison de Recouvrance. Si, durant le voyage, je ne parviens pas à le faire évader, je pense que j’aurai plus de facilité à Brest qu’à Toulon ou à Rochefort où je n’ai jamais mis les pieds.

— Nous aurons plus de facilité, rectifia Jolival en appuyant intentionnellement sur le « nous ». Je vous ai déjà demandé de me donner la direction des opérations.

— Vous allez donc me laisser seule ? gémit Adélaïde d’une voix de fillette grondée. Mais que ferai-je de ces gens, les messagers du prince votre époux, s’il en envoie ici ? Que leur dirai-je ?

— Ce que vous voudrez ! Que je suis en voyage est la meilleure réponse. Au surplus, je vais écrire moi-même et alléguer que... disons pour le service de l’Empereur, je dois me rendre en quelque lieu éloigné... mais qu’ensuite je ne manquerai pas de me rendre à... l’invitation de mon époux, fit Marianne, pensant tout haut et composant à mesure sa lettre prochaine.

— C’est insensé ! Vous avez dit, tout à l’heure, que vous ne vouliez pas retourner à Lucques.