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— Qu’en réalgar et en arsenic de roche, en orpiment, en salpêtre et chaux vive, qu’en plomb bouillant pour mieux les réduire en morceaux, qu’en suie et poix délayées dans l’eau d’une lessive faite de merde et de pisse de Juive, qu’en lavures de jambes de lépreux, qu’en raclures de pieds et vieilles bottes, qu’en sang d’aspic et drogues venimeuses, qu’en fiel de loups, de renards, de blaireaux, soient frites ces langues ennuyeuses !…

La plume du notaire file du papier à l’encrier et court aussi vite qu’elle peut tandis que je poursuis ma furie :

— Qu’en la cervelle d’un chat qui hait la pêche, noir et si vieux qu’il a perdu toutes ses dents, qu’en la bave et la salive d’un vieux chien qui ne vaut pas mieux, malade de la rage, qu’en l’écume d’une mule poussive coupée menu avec de bons ciseaux, qu’en eau où plongent groins et museaux de rats, grenouilles, crapauds et bêtes dangereuses ainsi que serpents, lézards et autres nobles oiseaux, soient frites ces langues ennuyeuses !…

Le notaire est en nage. Je sens son haleine et moi, je ne décolère pas. Les yeux hallucinés, je lui postillonne dans le visage :

— Qu’en sublimé dangereux à toucher et dans l’anus d’une couleuvre vivante, qu’en sang qu’on voit sécher dans les écuelles des barbiers lorsque la pleine lune arrive, l’un noir et l’autre plus vert que ciboulette, qu’en chancre et tumeur et en ces eaux claires où les nourrices décrassent les couches, qu’en bidets de filles d’amour — celui qui ne me comprend pas ne fréquente pas les bordels — soient frites ces langues ennuyeuses !…

— Pas si vite ! Pas si vite ! me crie le notaire dont on voit bien que ce n’est pas lui qui a les sacs de sable accrochés à la chair des épaules. Après chancre et tumeur, qu’avez-vous dit ?

— L’envoi ! Prince, passez tous ces friands morceaux, si vous n’avez pas d’étamine ni de tamis ou de filtre, par le fond d’une culotte merdeuse mais auparavant qu’en étrons de pourceaux soient frites ces langues ennuyeuses !!!

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BALLADE DES LANGUES ENNUYEUSES

En rïagal, en alcenic rocher, En orpiment, salpestre et chaulx vive, En plomb boulant, pour mieux les esmorcher, En suye et poix destrempee de lessive Faicte d’estronc et de pissat de Juisve, En lavailles de jambes a meseaux, En raclure de piez et vieulx houzeaux, En sang d’aspic et drocques venimeuses, En fiel de loups, de regnars, de blereaux, Soient frictes ces langues ennuyeuses !
En servelle de chat qui hait pescher, Noir et si viel qu’il n’ait dent en gencyve, D’un viel matin — qui vault bien aussi chier — Tout enraigé, en sa bave et sallive, En l’escume d’une mulle poussive, Detrenchee menu a bons cyseaux, En eau ou ratz plungent groins et museaux, Regnes, crappaulx et bestes dangereuses, Serpens, laissars et telz nobles oiseaux, Soient frictes ces langues ennuyeuses !
En sublimé dangereux a toucher Et ou nombril d’une couleuvre vive, En sang c’on voit es poillectes sechier Sur ces barbiers, quant plaine lune arrive, Dont l’un est noir, l’autre plus vert que cyve, En chancre et fix et en ces cleres eaues Ou nourrisses essangent leurs drappeaux, En petiz baings de filles amoureuses — Qui ne m’entant n’a suivy les bordeaux — Soient frictes ces langues ennuyeuses !
Prince, passez tous ses frians morceaux — S’estamine, sac n’avez ne bluteaux — Parmy le fons d’unes brayes breneuses, Mais paravant en estronc de pourceaux Soient frictes ces langues ennuyeuses !

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— Qui vous a donné le don d’écrire ?

— Mais, je ne sais pas !

— D’où tenez-vous ces pratiques ? De votre père pendu, de votre mère à la bouche pleine de terre ?

— Je ne sais pas.

— Pourquoi avez-vous fait graver un poème sur la loge de recluse d’Isabelle de Bruyère ? Qui l’a gravé ?

— Je ne sais plus…

— Pourquoi avez-vous fait violer cette nièce de Thibaut d’Aussigny ?

— Je ne sais pas !

— Est-ce une pratique de sorcellerie ?

— Mais non…

— Alors pourquoi l’avez-vous fait ?

— Je ne sais pas !

Pendu par les poignets joints de mes bras tendus en l’air et non par la gorge pour qu’on puisse écouter mes réponses, je monte et descends, nu, au bout d’une corde passant dans une poulie accrochée au plafond. Ensemble, le bourreau et le guichetier tractent la corde ou la relâchent doucement selon que, d’un signe de la main, le notaire, qui note ce que je dis, leur fait signe de me hisser ou de me laisser retomber sur un horrible instrument de torture — l’estrapade dite aussi « la torture aux glaces de Venise ».

C’est un haut trépied de bois surmonté d’une pyramide faite de quatre miroirs triangulaires. Leur sommet commun sort ou entre dans mon fondement, ce qui me déchire comme des lames de couteau.

Empalé, dire que je souffre un martyre est si peu dire… Le notaire consulte ses papiers et reprend le feu roulant des questions notées par Thibaut d’Aussigny qui m’accuse d’hérésie et de sorcellerie :

— Que savez-vous à propos des fées qui portent bonheur ou, dit-on, courent la nuit ?