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Chantres chantans a plaisance, sans loy, Galans rians, plaisans en faiz et diz, Coureux alans, francs de faulx or, d’aloy, Gens d’esperit, ung petit estourdiz, Trop demourez, car il meurt entandiz. Faiseurs de laiz, de motés et rondeaux, Quant mort sera, vous lui ferez chaudeaux ! Ou gist, il n’entre escler ne tourbillon, De murs espoix on lui a fait bandeau : Le lesserez la, le povre Villon ?
Venez le voir en ce piteux arroy, Nobles hommes, francs de quars et de dix, Qui ne tenez d’empereur ne de roy, Mais seulement de Dieu de paradiz ! Jeuner lui fault dimenches et merdiz, Dont les dens a plus longues que ratteaux ; Après pain sec, non pas asprés gasteaux, En ses boyaulx verse eaue a groz boullon, Bas en terre — table n’a ne tresteaux — : Le lesserez la, le povre Villon ?
Princes nommez, ancïens, jouvenciaulx, Impetrez moy graces et royaulx seaulx Et me montez en quelque corbillon ! Ainsi le font l’un a l’autre pourceaux, Car ou l’un brait, ilz fuyent a monceaux. Le lesserez la, le povre Villon ?

Ayez pitié, ayez pitié de moi, à tout le moins, s’il vous plaît mes amis !… Je gis dans une fosse, non pas à l’ombre du houx ni sous l’arbre des amours, mais en cet exil où j’ai été transféré par mauvaise Fortune avec la permission de Dieu. Filles qui aimez les jeunes gens fringants, les danseurs, les sauteurs faisant des cabrioles, vifs comme dards, subtils comme aiguillons, aux gosiers sonnant clair comme des grelots, le laisserez-vous là, le pauvre Villon ?…

Et vous, les chanteurs chantant pour le plaisir en toute liberté, les noceurs, rieurs plaisants en faits et dits, qui courez et allez sans or faux ni vrai, les gens d’esprit un peu distraits, vous attendez trop car il meurt entre-temps. Faiseurs de lais, de motets et de rondeaux, ce sera donc quand il sera mort que vous lui ferez des bouillons chauds ! Là où il couche, il n’entre soleil ni air, de murs épais on lui a fait des bandeaux : le laisserez-vous là, le pauvre Villon ?…

Ah, venez le voir en son triste état, nobles compères qui ne payez aucun impôt et ne dépendez ni d’empereur ni de roi mais seulement de Dieu de Paradis ! Il doit jeûner les dimanches et les mardis, ses dents sont plus longues que des râteaux ; après avoir avalé le pain sec, pas des gâteaux, il se verse des rasades d’eau dans les entrailles, assis par terre — il n’a planche ni tréteaux : le laisserez-vous là, le pauvre Villon ?…

Princes nommés, vieux ou tout jeunes, obtenez-moi des grâces et des sceaux royaux puis sortez-moi de là dans une corbeille quelconque ! Ainsi font les pourceaux l’un pour l’autre car ils accourent en masse quand l’un d’eux crie. Le laisserez-vous là, le pauvre Villon ?

84

La nuit dernière — celle qui suivit l’envol des copies de ma ballade par le soupirail — j’ai fait un rêve. Moi qui espérais la visite improbable d’un acrobate marchant sur les toits, traversant les murs, il me vint mieux en rêve… C’était la nuit et j’étais accroupi. Les chaînes me serraient aux pieds. Je mâchais lentement du pain noir, réfléchissais, quand je sentis, dans mon rêve, une présence à l’intérieur du cachot :

— Là, qui êtes-vous ?

— Le roi de France, répondit une voix dans mon rêve.

Il était presque devant moi, un peu à gauche et à l’angle de deux murs. Sa main qui masquait une bougie allumée se retira sur le côté comme un voile alors la petite flamme dansante se mit à éclairer par instants une face qui ne correspondait pas au profil gravé sur les écus.

— Vous n’êtes pas Charles…

— Louis, dit le visage gris. Mon père est mort le 22 juillet dernier.

— Ah bon ? Je ne savais pas.

La flamme remuée par l’air du soupirail faisait tour à tour apparaître puis disparaître une figure taciturne semblant en pierre de calcaire. La bouche brûlante, j’accrochais le délire de mon rêve à cette vision discontinue qui tournoyait en mon esprit épuisé par les affres. Le cerveau fragile, le corps ruiné, je disais en songe à Louis XI : « Ainsi donc, c’est entre vos mains qu’est tombé mon appel au secours… »

— Que dis-tu ? Quel appel ? Je m’étonnais à mon tour :

— Allons, sire, si vous n’aviez pas lu ma ballade, que feriez-vous dans ce cul de basse-fosse du château de l’évêque ?

— Sacré à Reims, je rentre travailler en Touraine. Nous ne nous sommes arrêtés ici que pour la nuit. Nous repartirons demain à l’aube… Pendant le dîner, Thibaut d’Aussigny a craché ton nom en jurant la Pâques-Dieu !… Mais Charles d’Orléans qui m’accompagne dit que tu es le premier rossignol de France, que tu innoves dans les idées et la forme, qu’avec toi, on n’en est plus au Roman de la rose, que ta poésie commence là où finit la féodalité. Il m’a récité plusieurs de tes ballades, m’a longuement parlé de ton œuvre.

— Mais il n’est pas descendu me voir…

— Il dit que tu l’as trahi.

— Et ça ne vous a pas empêché de ?…

— Je le trahirai aussi. Je n’ai que faire de ces seigneurs ornementaux.

Dans mon rêve, le nouveau roi, assis sur une pierre, était coiffé d’un chapeau à large bord orné d’images pieuses sans valeur. Il portait une grossière robe grise et, autour du cou, un simple rosaire de bois brut. Il était humble en paroles et en habit :

— Comment vas-tu ?

— Ma vie se dérobe, elle est finie. Personne ne me tend la main, personne ne me donne rien. Toussant de froid, bâillant de faim, je n’ai couverture ni lit. Mes côtes ont l’habitude de la paille. Je n’ai que ce que vous pouvez voir sur moi.