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Ensuite, nous remontons la rue. Le lieutenant criminel, coiffé de son casque à cornes, roule ses yeux globuleux sur les serruriers, marchands de bois dits « bûchers », fileuses et ouvrières, raccommodeurs d’habits, qui me regardent passer.

Bezon tire les rênes de son cheval et dans une confusion de cape marron, de tunique à blason orange, de cotte de mailles, il tend son moignon vers moi et tonne, au petit matin, d’une voix qui laisse impression sur les gens :

— Observez-le bien !… et rappelez-vous qu’en cas de retour, chacun d’entre vous peut tuer un banni comme un chien en toute impunité !

J’accueille la semonce avec désinvolture. À l’ombre bleutée des remparts, sur les planches du pont-levis de la porte Saint-Jacques, on me tend un registre et me dit : « Tu vas signer. » Je trace une grande croix m’excusant de ne plus savoir écrire.

Deux hommes d’armes à cheval me mènent toute la matinée jusqu’aux limites de la prévôté. Je marche, derrière la monture de l’un d’eux, au bout d’une longe attachée à mes poignets. En haut d’une colline, au moment de séparer, ils me délient :

— Alors maintenant, tu vas tout droit et tu ne reviens plus avant dix ans…

Ils me recommandent à Dieu puis tirent les rênes et font volte-face vers Paris. Ils rentrent au pas de leur cheval, tout en se tournant pour me regarder…

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… Ils raconteront plus tard qu’ils furent les derniers à voir Villon, que j’étais en haut de la colline et que ma robe, qui prenait le vent, s’envolait. Ils diront que je paraissais de plus en plus petit au fur et à mesure que leur monture avançait, que j’avais l’air de contempler une dernière fois la ligne des remparts de Paris, très au loin, et qu’ils m’ont vu ensuite me retourner vers le reste du monde immense. Ils rappelleront que la voix d’un oiseau chantait dans l’éclat du soleil de janvier, que la clarté du ciel rongeait mes contours et que j’ai commencé à descendre l’autre versant de la colline. Ils décrieront d’abord la disparition de mes pieds, de mes jambes derrière la crête puis de mon buste tout entier. Ils affirmeront qu’à un moment, il ne restait plus que la silhouette de mon malheureux crâne qui semblait flotter en l’air comme l’astre Saturne puis ils jureront la Pâques-Dieu qu’ils ont vu très nettement ma tête se dissoudre brutalement dans la lumière comme on entre dans l’éternité… et que, dès lors, personne n’eut plus jamais de nouvelles de moi.

VILLON (1431- ?)

Remerciements

Remerciements pour leur collaboration plus ou moins volontaire à :

Jean Favier, François Villon (Fayard) / Marcel Schwob, Villon François (Allia) / Geremek, Les Marginaux parisiens aux XIVe et XVe siècles (Flammarion) / Jean Verdon, Le Plaisir au Moyen Âge (Perrin) / Jean Deroy, François Villon Coquillard et auteur dramatique (A.-G. Nizet) / Jelle Koopmans et Paul Verhuyck, Le Recueil des repues franches de maistre François Villon et de ses compagnons (Droz) / Jules de Marthold, François Villon (Librairie des bibliophiles parisiens 1921) / Paul Murray Kendall, Louis XI (Fayard) / Jacques Levron, Le Bon Roi René / Simone Roux, Paris au Moyen Âge (Hachette littératures) / Laurent Albaret, L’Inquisition : rempart de la foi ? (Gallimard) / Philippe Erlanger, Charles VII (Perrin) / Régine Pernoud, Jeanne d’Arc (Folio) / Les Saints-Innocents (Délégation à l’action artistique de la ville de Paris) / Jean Dufournet, Villon : poésies (Flammarion) / Jean-Claude Mühlethaler, François Villon : lais, testament, poésies diverses (Champion classiques) / Jean Dérens, Jean Dufournet et Michael Freeman, Villon hier et aujourd’hui puis Villon : Paris sans fin (Bibliothèque historique de la Ville de Paris) / Claudine Boulouque, Roger Jouan, de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris / Arthur Rimbaud, Œuvres complètes Un cœur sous une soutane (Pléiade / Gallimard) / Paul Verlaine, œuvres poétiques complètes (Pléiade / Gallimard) / F. V. : troubadour (1431-ap. 1463).