Je sais ce que tu te dis, à proférer de telles choses envers Dieu, je risque la censure… eh bien sache, ô mon lecteur, que j’adore qu’on me censure, tu n’imagines même pas… si l’on me censure, cela veut dire que je dénonce, que j’ai mis le doigt là où ça fait mal, que je pique le cul des bien-pensants. Du coup cela me donne envie de continuer, de provoquer encore plus. Faut vivre dangereusement.
La môme m’a dit de passer d’ici une heure, le temps pour elle de dresser une liste complète. Elle aurait pu me la balancer par mail, non, faut que je me déplace. Mon petit doigt me dit qu’elle a un peu les chocottes la Martine.
Je reprends mes recherches sur la toile, différemment cette fois-ci. Je vais me balader du côté des sites libertins et échangistes. Je pars du principe que ce genre de prédateur doit poser des filets partout, qu’il cherche toutes sortes de rencontres. Alors je crée un compte, où je deviens Savannah la sauvageonne.
Je sais c’est limite vulgaire, genre pétasse des années 80, mais d’un côté cela me rappelle une brune à la toison luxuriante que j’ai connue lorsque j’étais au séminaire et que je faisais le mur.
Avec ce pseudo je passe une petite annonce du genre : Je suis une petite libertine très ouverte et avide de rencontres. Je verrai bien. Je sais que je vais faire exploser la messagerie, que tous les vicelards, les infidèles de la région vont arriver à brides abattues. C’est même pour ça que je t’ai donné le nom de code, pour que tu passes pas pour un con à me filer un rencard, ça la foutrait mal.
Une adresse mail dédiée à la créature, une photo piquée sur la toile, un poil retouchée, et le tour est joué. La ligne de fond est lancée, je n’ai plus qu’à patienter, je relèverai mes filets plus tard, pour l’instant j’ai rencard avec la môme.
Bon on va être honnête toi et moi. Je ne vais pas, une fois de plus, te raconter mes ébats avec la petite. Premièrement à force, soit cela va te saouler, soit tu vas être jaloux et refermer ce livre sans en connaître la fin et apprécier tous les rouages de mon talent de narrateur. Deuxièmement, je suis quand même prêtre, alors on ne va pas pousser le bouchon trop loin, il y en a un là-haut qui apprécierait moyennement.
Donc on va sauter le passage où j’arrive chez Martine, qu’elle est en plein tournage avec phallus de substitution en silicone, un jouet de taille honorable, car même moi qui ne suis pourtant pas manchot du gourdin, je dois t’avouer que là… Je te passe donc les détails. Une fois la caméra coupée, d’un clin d’œil plus qu’arrogant elle me fit signe de me diriger vers son pucier. Vu que son joujou était toujours en place, il ne me restait plus qu’à passer par l’entrée des artistes. Tous les enchaînements dignes des plus grands contorsionnistes que nous avons exécutés, je te les passe aussi, idem pour son orgasme dévastateur qui a suivi, je commence directement au moment où elle me propose de boire une bière. Ce que je ne refuse pas, une Chimay triple, tu sais celle avec l’étiquette blanche. Une belle mousse onctueuse, c’est là que tu te dis que l’adage Après l’effort le réconfort n’a jamais été aussi vrai.
J’étudie sa liste : les commerces du quartier, deux restaurants, un bistrot et une salle de sport. Le tout dans un périmètre assez restreint, deux bornes. Dans un sens cela va me faciliter la tâche, d’un autre cela me fait subodorer qu’on a bien un cinglé dans le secteur…
— Bon, on va essayer de faire appel à ta mémoire, depuis combien de temps vis-tu ici ?
— Depuis que je suis gamine, mes parents sont arrivés je devais avoir cinq ou six ans.
— Donc tu connais tout le monde ?
— Heu, pas vraiment. Tu sais, avec le boulot que je fais, je suis un peu une pestiférée, une salope…
— C’est quoi une salope Martine ? Une salope c’est simplement une femme qui couche un peu trop aux yeux de celles qui ne couchent pas assez.
— Curé, vicelard et philosophe, tout un programme ce Requiem…
Elle est quand même choucarde cette petite, c’est vrai qu’elle n’a pas choisi le chemin le plus facile. Certains diront que c’est celui de la luxure, des femmes de petite vertu, des Marie-couche-toi-là, des traînées, et que sais-je encore ? Bref de la mauvaise graine. Elle ne fait pourtant de mal à personne, au contraire. En cette période de crise elle a décidé de bosser avec son cul, sans se prostituer, ce qui est déjà une bonne chose. Du pain de fesses de régime. Est-ce elle la plus dépravée, ou celui qui télécharge ses vidéos pour s’astiquer le trombone à cou lisse ?
Et puis merde ! le boss a dit qu’il était amour, qu’il fallait s’aimer les uns, les autres, ben c’est ce qu’elle fait.
Alors que les bien-pensants, les pisse-froid, les aigres, les pères la morale, les jaloux, les mous du panais, les amers, regardent la poutre qu’ils ont dans l’œil avant de mater celle qu’elle a dans l’oignon.
— Fais marcher ta mémoire, énumère-moi les noms de tous ceux que tu croises, tous sans exception, je vais noter. Pareil, si un truc bizarre te revient, tu dis.
Elle commence doucement à faire fonctionner sa boîte à souvenirs, ça démarre doucement puis une fois en route, les noms tombent comme à Gravelotte. Ça n’a pas l’air comme ça, mais on en croise des gueules tous les jours, qu’on connaît bien, qu’on connaît de vue ou qu’on ne connaît pas. Ça fait du monde.
— Tu restes dîner Estéban ? Je prépare un truc le temps que tu analyses la liste…
— Vite fait alors, parce que je ne voudrais pas trop exagérer vis-à-vis du Patron, et je crois que demain, va falloir que je commence tôt.
Le temps qu’elle prépare son frichti, je m’ouvre une autre bière et commence à réfléchir à plein régime. D’office j’ai viré mes bigotes qui se promenaient sur mon papelard et les demi-pensionnaires de la maison de retraite En attendant l’autre rive aussi. Il me reste quand même pas mal de monde, une trentaine de noms. J’en rayerais bien d’autres, les connaissant, comme le vieux Maxime. Je ne vois pas ce grand échalas qui se poivre le museau à longueur de journée au blanc Picon en débitant des citations de Frédéric Dard tripoter de la gamine prépubère. Mais sait-on jamais ?
Je dresse donc une nouvelle liste avec quatre colonnes. Dans la première, ceux qui sont à 100 % hors du coup, on y retrouve les pieuses, les guenilles et autres badernes. Dans la seconde, des types comme le vieux Max. Reste la colonne des gens que je connais que de nom ou de vue et celle avec un magnifique point d’interrogation que je me suis appliqué à dessiner. Là, je cloque les descriptions hasardeuses de la môme. Une grosse blonde à l’air snob les yeux planqués derrière des lunettes de soleil si énormes que l’on croirait une mouche à merde géante, un jeune con arrogant mâchouilleur de plastique, un adipeux poussif et transpirant, un vieux beau au regard insistant, cintré dans un ensemble en jean, et tant d’autres. Le voilà mon malheur, il y a pas mal de monde dans cette dernière grille.
Un fumet délicat me déconcentre, d’un coup ça embaume, ça me réveille les papilles. La truffe, ça sent la truffe, j’en mettrais ma main (ouais seulement ma main !) à couper. Cette odeur m’enivre les sens. Je lève le blair tel un chien d’arrêt. Qui n’a jamais reniflé ce divin cadeau de la nature ne sait pas ce que sait que le plaisir olfactif. Martine arrive avec une omelette de toute beauté.
Tu sais quoi ? Ben je ne serais pas cureton exorciste, je lui dirais d’arrêter ses petites vidéos pour adultes et plutôt que de la conduire à l’hôtel, je la mènerais à l’autel. Une femme choucarde comme ça, qui sait causer, qui est une experte dans la bagatelle et qui te fait de tels délices, je te l’épouserais vite fait bien fait en justes noces. Surtout qu’elle me verse maintenant une Floreffe triple qui par ses subtiles notes de cassonade, de miel et de sarrasin tient tête avec maestria à la truffe. Décidément cette femme est une perle, et le comble c’est que je me l’enfile.