— Tu veux dire que Martine est décédée ?
— On ne peut mieux mon ami. Elle est tombée entre les mains d’un sacré sadique. La pauvre est en triste état. À croire qu’ils ont voulu tourner la suite de Saw dans sa piaule. Elle avait des problèmes, elle s’est confiée à toi ? Et me les brise pas avec le secret de la confession, hein ! Pas de ça entre nous.
— Elle ne m’a causé d’aucune menace si c’est ce que tu veux savoir, elle m’a juste fait part d’un ras le bol, d’une envie de raccrocher et de mener une vie, un peu plus dans la norme, si tu vois ce que je veux dire.
Tu as compris que j’endors un peu mon pote. Je sais, c’est pas très réglo. Je me suis tâté un court instant. Cracher ou pas le morcif ? J’ai décidé de le garder pour mézigue. Juste entre moi et les fumiers qui ont descendu la môme. Au moins, je pourrai appliquer la justice divine sans avoir les flics, le procureur et toute la justice sur le paletot. Merde, quand tu penses qu’il y a quelques heures on s’offrait du bon temps avec la petite. Elle si pleine de vie, de vits, et là, mon pote me dit qu’elle s’est fait refroidir. Et façon gore en plus, pauvre petite. Je ne peux pas laisser sa mort impunie, impossible. Ne hausse pas les sourcils comme ça en lisant, ça te donne un air encore plus con. Je t’ai déjà dit que moi, tu me claques la joue droite, je t’enfonce le nez à l’intérieur. Je n’ai pas la bonté, la gentillesse du fils du Patron.
— Je peux rentrer ? Tu me le permets ?
— C’est franchement pas beau Estéban, j’espère que tu as mangé joli au petit déjeuner, car tu risques de le voir repasser plus vite que prévu.
— T’occupe pas Régis, j’ai déjà vu des trucs dégueulasses, je sais à quel point l’homme peut être horrible. N’oublie jamais que je chasse le démon.
— Comme tu voudras l’ami, comme tu voudras…
Régis lève le ruban pour me permettre d’accéder à la scène. Je ne t’explique même pas la trogne de l’agent Bonneaux lorsque je lui fais un petit clin d’œil, il est à la limite de l’apoplexie. Je sais, c’est gratuit, ça ne sert à rien, mais ça me change les idées un dixième de seconde, parce que je m’attends à voir du vilain. Du genre qui te retourne les tripes.
Je me demande aussi pourquoi Régis me laisse entrer dans l’appart’ ? Ce type est sympathique mais assez à cheval sur la procédure vois-tu. Les perdreaux sont nombreux sur le terrain, c’est du lourd, du très lourd. Il y a des types avec des combinaisons blanches, d’autres avec des brassards, certains en tenues, mal réveillés. Il y a ceux qui débutent et supportent pas la scène, ils dégueulent illico et il y a les cadors de la rousse, en costard cravate. Et moi avec Perfecto sur les endosses, croix autour du cou, je pénètre le sacro-saint lieu du crime comme si j’étais l’un des leurs. Bizarre non ?
— Tu es sûr de vouloir rentrer Estéban ?
— On y va Régis, on y va…
Il va me foutre les foies ce con. Bordel il lui est arrivé quoi à la môme ? Il ne me faut pas longtemps pour découvrir le triste spectacle… tu m’excuseras, mais je vais changer, non pas de tee-shirt, mais de chapitre pour te donner les détails.
10
Chapitre où je morfle sévère…
Régis me laisse contempler le spectacle, il ne pipe pas, personne ne moufte. Tout le monde est hypnotisé, anéanti. D’un coup je pige mieux qu’il me laisse entrer sur la scène de crime. Je comprends. Il voulait que je voie. Parce que là nous avons affaire à du grand art, Le silence des agneaux fait figure d’histoire pour endormir tes mioches à côté de ce que j’ai en face des yeux. C’est du Ruggero Deodato dans toute sa splendeur et sa décadence. C’est tout bonnement immonde.
Je te fais chier avec mes effets ? Tu veux savoir ce qui est arrivé à la môme ?
La pauvre Martine est crucifiée sur le mur, juste au-dessus de son pucier. Tel un Christ en croix sa tête penche du côté droit. Elle a autour du cou une balle de cuir maintenue par un lacet, le genre de truc que tu utilises lors de tes soirées sado-maso, pour éviter que ton voisin de palier t’entende brailler comme un goret. Elle non plus on ne voulait pas qu’on l’entende gueuler. Ils ont dû lui retirer après, ou alors il s’est détaché seul. Elle a dû morfler sévère la petite, je le vois dans ses yeux exorbités. Les fumiers — pour la crocher comme ça sur la cloison, fallait au moins être deux — qui ont fait ça ont poussé le vice jusqu’à lui foutre une couronne d’épines sur la tête, bien enfoncée, le sang a coulé sur son doux visage. Ils lui ont aussi fait une belle incision dans les côtes. Par contre ils ne lui ont pas passé une tunique, non, la môme est à poil. Vu l’état de son entrejambe ils se sont acharnés sur sa salle de jeu. Je ne veux même pas savoir avec quoi ils lui ont mis dans cet état, c’est horrible.
— Alors Estéban, tu es sûr de ne rien savoir ? Parce que là, j’ai comme l’impression que c’est un message pour toi, non ?
— Pas forcément, c’est une mise en scène horrible, c’est tout… pauvre fille, elle ne méritait pas cela.
— Elle a aussi un caillou dans la bouche Estéban, ne me prend pas pour un con, nous sommes amis, j’aimerais qu’on le reste.
J’hésite, il n’est pas du genre mou de l’encéphale mon pote le poulet. Entre la caillasse sur la menteuse réservée à ceux qui parlent trop, et cette mise en scène à connotation religieuse, même un glandu de ton espèce ferait le rapprochement. Je décide de la jouer sur le fil. Balancer des infos, mais pas tout. Je vais tâcher de garder un coup, voire deux, d’avance. Car ce qu’ils ont fait à la môme ne peut pas rester puni juste avec 10 ans de placard. Oui 10 piges mon pote, entre le jeu des réductions de peine, un baveux qui sait y faire… peut-être même moins, alors non, je veux les soigner. Je vais leur faire une ordonnance, et une sévère comme dirait Volfoni. Il y a des limites à ne pas franchir, puis tel qu’ils l’ont clouée au mur, ce n’est pas le Patron qui me tiendra rigueur d’en refroidir un ou deux pour les envoyer à la concurrence.
— Ok, on va dire qu’elle est venue en confession histoire de chercher un peu d’aide… aide que je n’ai pas eu le temps de lui donner comme tu peux le remarquer.
— C’était quoi ses problèmes à ta protégée ?
— Un fan un peu trop collant, le genre de type qui a dû visionner ces vidéos en boucle le rouleau de Sopalin en pogne, et qui un jour déconnecte. Devient obnubilé par une idée, cette femme ne doit plus tourner que pour lui, qu’avec lui. Il voulait Martine pour lui.
— C’est déjà pas mal non ?
C’est surtout tout ce que je vais te dire, le reste, je vais le garder pour moi. Je ne vais pas te causer des gamins, de l’offre alléchante qui lui a été faite. Parce qu’avec les gros sabots de la volaille, je ne remettrais jamais la main sur ces malades.
— Tu es sûr que tu me dis bien tout Estéban ? Cela me paraît léger pour ça !
Ça, c’est la pauvre Martine épinglée au-dessus de son plumard. Je n’arrive pas à me dire qu’il y a encore peu nous étions en train de nous déchaîner dans ses draps de soie. Si les TSC[11] font bien leur boulot, logiquement entre mes poils de cul et les divers fluides biologiques que j’ai laissé traîner ici et là, je devrais avoir un check-up gratos rapidement.
— Dis-donc Régis, sois pas trop étonné de trouver mon ADN dans la carrée, je suis déjà venu, elle voulait me montrer son lieu de… enfin bref, je suis venu quoi.
— Tu n’as pas besoin de me le dire, la bignole d’à côté t’a déjà balancé. Tu penses bien, m’sieur le curé qui vient voir une telle dévergondée. Au premier gyrophare, elle était déjà sur le perron à guetter, pourtant il était à peine être 4 h 00, 4 h 30 maxi.