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Chapitre sur la beauté intérieure

Je ne me ferai jamais à ces putains de salles de dissection, jamais ! Ce n’est pas la première fois que je mets les pieds là-dedans, je t’expliquerai un jour, peut-être.

Nous sommes six dans la pièce, enfin sept si l’on compte Martine, je ne sais pas vraiment comment je dois dire… Bref le légiste, un gonze qui ne doit pas être loin de la retraite, genre vieux prof’ de faculté, en espérant qu’il dispose encore de toutes les siennes. Un assistant bodybuildé qui vu son sourire niais n’a jamais dû avoir les siennes, un perdreau avec un appareil photo, Régis, le procureur et ma pomme.

Le toubib nous salue à peine, attrape le procès-verbal, le parcourt en grommelant toutes les cinq secondes. Il pose le papelard, chope une paire de gants latex qu’il fait claquer en les enfilant. Il place son portable qu’il a dû mettre en mode enregistreur numérique près de lui et commence à jacter.

Je n’ai jamais entendu un mec barjaquer aussi vite, Eminen est battu à plate couture. Je plains la pauvre secrétaire qui va devoir retranscrire ça, déjà que ce n’est pas des mots ultra-sympa ; abrasion, lividités, cyanose, dermabrasion, ante mortem, contusion, déchirure, tache verte abdominale, putréfaction… de la poésie pour nécrophile.

— Bon, eh bien maintenant on va ouvrir. Ludovic, incision en Y, propre, on ne touche pas au cou, c’est une jeune femme, peut-être sera-t-elle en décolleté, c’est bien compris mon petit Ludo ?

Le benêt opine du chef, attrape un long scalpel et enfonce la lame dans ma pauvre Martine.

— Excusez mon assistant, il est un peu con, mais très efficace.

Le type ne semble s’émouvoir ni de la façon dont le traite le légiste ni de découper ma copine.

Je peux te jurer que ce n’est pas beau à voir, pas beau du tout, un vrai film d’horreur… Quand je pense que j’ai serré cette femme dans mes bras, que je lui ai fait l’amour, et que je suis là, à la regarder se faire disséquer.

Ne va surtout pas me prendre pour un sadique ou un pervers qui prendrait son pied devant ce genre de spectacle, non. Je suis là pour comprendre, pour accumuler un maximum de haine envers l’immonde ordure qui lui a fait ça. Quand je le tiendrai, je ne veux avoir aucune pitié. Peu m’importe de me faire engueuler par le Patron.

J’ai l’impression de voir un charcutier officier, le toubib découpe, tranche, pèse… je me dis que ce qui est étalé sur cette table d’autopsie c’est juste un bout de viande. Je fais abstraction de son visage, de ses mains et de son sexe. Ce sont les trois parties qui me rappellent que c’est un être humain, je déconnecte pour ne pas finir cinglé. Ce n’est pas une technique que je viens d’inventer, c’est un vieux flicard qui m’avait appris ce truc : Quand les images sont trop dures, concentre-toi sur une seule partie du corps, mais toujours en dehors de la tronche, des pognes et du système uro-génital, ça ira mieux. Il n’avait pas tort.

— Bon cette fille a subi d’atroces sévices, on lui a inséré nombre de choses dans le vagin et l’anus. Et des objets non prévus à cet effet, vu les traumas sur et dans ses chairs… Certaines pénétrations ont eu lieu post mortem, tout cela sera dans mon rapport.

Je n’ose imaginer ce que ces porcs ont pu lui enfoncer, j’ai remarqué le sang séché entre ses jambes, celui qui a coulé le long du mur jusqu’au sol.

— Ludovic, mon petit, Ludovic, je vous parle, voilà, c’est bien regardez-moi quand je m’adresse à vous. J’ai fini, vous allez pouvoir refermer la dame, avec du fil et une aiguille, proprement, puis la nettoyer, et ensuite vous la remettrez dans sa cellule réfrigérée. C’est bien compris ?

Le sus-nommé remue la trogne de bas en haut, il me fait penser au clébard en plastique que mon vieux avait sur la plage arrière de sa R 12, tu sais le truc qui remuait la gueule en tous sens au moindre coup de frein. Ben lui il est pareil.

— Je suis désolé messieurs, il est vraiment ralenti mais efficace, alors je le garde. Je ne sais pas ce qu’ont fait ses parents, s’ils baisent en famille, mais mon petit Ludo est un abruti fini…

On regarde tous le toubib avec effarement, il insulte son subordonné et l’autre ne bronche pas, il doit vraiment être con. Le mètre étalon du genre, à foutre sous cloche au musée de Sèvres.

— Bon sinon cette jeune fille, reprend-il, elle a souffert… Elle n’est pas décédée de la blessure dans les côtes, même si celle-ci remonte jusqu’au muscle cardiaque. Non là, elle était déjà morte. Une mise en scène ! D’ailleurs, je pense, j’en suis même certain, que l’incision a été faite en plusieurs fois. Pas profondément au départ, juste une grosse estafilade.

— Elle est morte de quoi alors ?

Je n’ai pas pu m’en empêcher, je devais fermer ma gueule, j’avais promis de ne pas broncher, mais c’est plus fort que moi. Régis me regarde l’œil hargneux, il apprécie guère que je désobéisse, et surtout que je pose les questions avant lui. Le légiste ne remarque rien, il répond.

— D’asphyxie jeune homme…

Parti comme je suis parti, tant pis pour le savon, j’ai commencé je continue sur ma lancée…

— Ce ne sont pas les tortures qui lui ont été infligées qui l’ont tuée ? Rien à voir avec une hémorragie ?

— Vous connaissez Jésus ?

Là d’un coup je blêmis, bordel le toubib me connaît ? Je ne l’ai jamais vu à l’église, j’ai des lunettes teintées, c’est quoi ce binz ?

— Heu vaguement, de nom, pourquoi ?

— Mécréant, répond-il en souriant. Le Christ est mort de la même façon. Voyez-vous ses tortionnaires ont cloué notre victime au mur en premier lieu, bien que je pense que le coup qu’elle a derrière la tête ait été donné avant, pour la rendre plus docile. Je disais donc qu’ils l’ont épinglée au mur, tel notre seigneur. Imaginez mon garçon — vous m’avez l’air aussi sportif et musclé que mon abruti d’assistant — imaginez que vous faites des anneaux, que l’on vous y attache, pendu dans le vide, comme cette fille qui était maintenue par deux gros clous traversant ses mains. Dans cette position vous pouvez expirer, recracher l’air que vous avez en vos poumons. Inspirer est beaucoup plus difficile, l’expiration, elle, nécessite l’action des muscles élévateurs du bassin, notamment le psoas. Dès lors, celui-ci est surchargé d’un travail auquel il n’est pas habitué, et lâche vite l’affaire. Ne parvenant plus à expirer, c’est donc les poumons bien remplis que l’on s’asphyxie et que l’on meurt…

Je comprends sa théorie, mais je me remémore la scène de crime, je regarde Régis, je ne voudrais pas pousser le bouchon un peu loin. Lui-même jette un œil du côté du procureur qui paraît captivé par notre débat, c’est donc avec sa bénédiction que je continue de taper le bout de gras avec le spécialiste en viandes froides.

— Excusez-moi docteur, mais lorsque nous étions sur les lieux du crime, j’ai pu remarquer qu’un meuble avait été bougé afin que la victime puisse reposer ses pieds, donc cela ne colle pas vraiment avec votre théorie ?

— Si au contraire, cela prouve même le sadisme des tueurs, comme s’ils voulaient profiter du spectacle, faire durer. Le repose-pied n’a pour action que de faire durer le plaisir, qu’elle puisse pendant quelques instants respirer normalement Elle reprenait ainsi son souffle, pour en arriver au même dénouement. Les monstruosités qu’elle a subies, les clous qui pénètrent ses chairs, les insertions dans ses orifices, l’ablation des tétons, les brûlures, sont extrêmement douloureuses certes, mais non létales. C’est un des homicides les plus sadiques de ma carrière jeune homme. J’en serais presque à vous dire qu’il a été commis par le diable en personne !