Je lève les yeux vers la lampe Scialytique, et pense assez fort pour que le Patron entende : « Le diable ! Ce n’est pas moi qui le dis mais le toubib. Je vais devoir pratiquer un exorcisme haut de gamme ! ».
Je salue Régis en sortant et le remercie. Il n’a pas l’air de trop m’en vouloir d’avoir joué le condé, il me dit juste de ne pas jouer les justiciers, de ne pas me substituer à la loi.
— Ho Régis, sans rire, me charrie pas, je suis un homme d’église, un homme de foi, pas de loi du Talion chez les catholiques !
— Chez les catholiques, peut-être pas, mais chez toi…
13
Chapitre où ça vaut le coup d’être fan de Bébel…
Je quitte l’IML l’âme en vrac et le cœur en miettes. Pauvre môme, elle était si gentille et si jolie… je sais bien qu’elle faisait un drôle de métier que tu trouves dégueulasse, enfin tu le trouves abject devant ta femme, ton patron et tes gosses, parce que derrière ton écran mon salaud tu t’en donnes à cœur joie. Mais c’est humain, on est tous pareils, on cache nos petits vices au quotidien.
Moi je m’en cognais de ses tournages, cette petite était venue me demander de l’aide, j’avais même chopé un léger béguin pour elle, j’ai passé de chouettes moments entres ses cuisses. Alors la voir réduite en un tas informe de barbaque découpée…
Je tourne la clé de ma caisse, le V 8 se met à rugir, j’adore cette bagnole. Je me demande si je ne vais pas aller me défouler sur une route déserte, histoire de faire hurler les bourrins et me vider la tête.
Deux fois que je jette un œil dans le rétroviseur, je suis à cent-dix au lieu des quatre-vingt-dix réglementaires et je vois cette bécane bleue qui me file. Je ralentis, elle aussi, tu trouves pas ça louche toi ? Moi si.
Bon, de toute façon, là je n’ai rien à cacher, au prochain feu je bifurque vers la droite pour aller me taper un petit run peinard, il peut me pister, cela m’aidera peut-être à l’identifier.
Tu vois dans la vie, faut jamais être trop confiant, trop sûr de soi, si, si je te le dis, et je vais t’en apporter deux preuves coup sur coup.
La première c’est que je me tamponne le coquillard, avec une patte d’alligator femelle, du type qui me colle au train avec sa moto, et je ne devrais pas. Parce que là, à l’arrêt du feu il est venu se coller à moi, juste à la droite de ma caisse. Je le repère d’un coup, mais trop tard, je n’ai le temps que de voir un casque intégral, une combinaison de cuir à la main tendue, et dans cette pogne un calibre, un chouette, genre 357 magnum. Ça fait un de ces ramdams dans la caisse, j’ai les tympans qui vont péter. Le gus a lâché la praline.
Ça c’est la première erreur, j’étais trop sûr de moi, je pensais juste que j’avais un pisteur au cul. Mais ce n’est pas la pire, la pire, c’est mon flingueur qui vient de la commettre, il a fait parler la poudre et il a décarré aussi sec. Et comme cet abruti n’est pas comme toi, il n’a pas lu le début de ce livre, il ne peut pas savoir que ma caisse c’est celle de Bébel dans Le Marginal et qu’elle est blindée…
J’ai quelques acouphènes, mais rien de grave, j’appuie sur l’accélérateur, la Mustang bondit. Pied au plancher, je suis. Tu peux me croire que je commence à avoir la bécane rapidement dans mon champ de vision. Quand je pratique ce genre d’exercice, jouer avec mon monstre, j’ai un rituel — je dois être le seul type à avoir encore des cassettes audios, n’oublie pas l’âge de ma caisse —, je pousse le volume à fond, les riffs de guitare d’Angus Young remplissent l’habitacle. Thunderstruck c’est comme de la dopamine, je ne fais plus qu’un avec ma Mustang, je vais me le faire cet enfoiré. Nous sommes deux sur l’asphalte. Le compteur indique 200, je ne sais pas si le type m’a repéré mais il trace aussi. Je pousse la mécanique, l’aiguille s’approche du 250, je lui colle au cul. Il tourne légèrement la tête pour regarder dans son rétroviseur, il m’a vu, ça doit gamberger sévère sous son casque. Il flingue à bout portant un type avec un gros calibre, et voilà ce type qui le poursuit avec un air pas gentil du tout. Il doit être à fond les gaz, moi j’en ai encore. Ma Ford est survitaminée. Faut que je le tape avant qu’il puisse s’engager sur la route qui serpente, en ligne droite je suis à mon avantage.
Je pèse de tout mon poids sur la pédale d’accélérateur, mon pare-chocs vient taper la roue arrière de la moto, elle se met à chasser du cul, se couche, le pilote est éjecté et va se fracasser sur le rail de sécurité.
La roue de la Kawazaki Ninja tourne encore, ces trottinettes font pas le poids face à ma bagnole. Par contre je vais avoir du mal à faire causer le motard, l’angle formé par sa colonne vertébrale est assez contre nature. Soit le type est contorsionniste et il veut me montrer de quoi il est capable, soit il est mort.
Je penche pour la seconde hypothèse. Je m’approche du macchabée, retire son casque. Quelle n’est pas ma surprise de reconnaître le grand con. C’est Ludovic, l’assistant du légiste, qui a tenté de me refroidir. Deux hypothèses : en un, il ne touchait pas assez et cherchait à faire des heures. En deux, il trempe dans le meurtre de la môme Martine. M’est avis qu’il était un de ces enculés. Je le fouille, retire son maroquin, son portable, ses clés.
J’hésite un quart de seconde, histoire de me donner bonne conscience puis je lui savate la gueule à grands coups de Doc Martens, non pas par plaisir ou basse vengeance, non, simplement pour garder une longueur d’avance. Je finis le boulot en arrachant la plaque d’immatriculation et la vignette d’assurance et je décarre avant l’arrivée d’un témoin. Fais-moi penser à nettoyer et cirer mes pompes en fin de chapitre, merci.
Je jette un œil à ma tire, pas une éraflure, rien, nada. Je te recommande vraiment de t’offrir une caisse blindée, c’est le must. Déjà qu’en version Ford mustang c’est un aspirateur à gonzesses, mais comme tu viens de le lire, en option blindage, cela te sauve la vie et t’évite des emmerdes en cas d’accrochage.
14
Chapitre où j’en apprends un peu sur la vie d’un grand con
Me voici rentré à la carrée, je suis passé par l’usine brûler deux, trois cierges, causer avec le Patron, histoire qu’il ne me tienne pas trop rigueur de la mort de l’abruti. Ça a l’air d’aller, le Vieux a l’air de bon poil, pas de coup de vent sur les endosses ou autre.
Je vide le morlingue du gus, une cinquantaine d’euros, ses papelards d’identité, Ludovic Crémier, né en 1977. Une carte professionnelle, cela fait quelques années qu’il bosse comme garçon d’amphithéâtre. Pas de photo de môme, de gonzesse. Célibataire ?
Une carte de fidélité pour un supermarché, des capotes, ce qui tendrait à pencher pour le mec seul, ou le type volage. Une carte de membre d’un club de fitness, the Beauty-Body… j’ai déjà vu ce nom quelque part. Cela ne te dit rien ? Je ne l’ai pas déjà écrit plus haut ? Non, autant pour moi, mais c’est le club dans lequel se rendait Martine. Elle m’avait dit y aller trois fois par semaine. Dans mon boulot faut être musclé du fessier. disait-elle. Je crois que je vais me prendre un abonnement.
Forcément cet idiot a crypté son iPhone, un code à quatre chiffres, logiquement j’ai droit à trois essais… si il était aussi con que le toubib nous l’a confié, on va faire dans la simplicité.