Mais bon je cause, je cause, je te fais part de mes états d’âme, mais tu as acheté un bouquin policier, tu veux de l’intrigue, de l’aventure, du punch, du suspens, du sexe. Toi ce que tu veux c’est un putain de page turner…
Tu n’en as strictement rien à secouer des coups de spleen de ton curé préféré, pour toi les héros n’ont pas l’droit d’avoir froid aux yeux, ils doivent toujours être vaillants. Le guerrier ne chope pas la gastro, il n’a jamais le nez qui coule, pas de défaillance sexuelle, il bande toujours tel un étalon. Il n’a peur de rien, il est indestructible ! Mais bordel, si tu savais…
Allez tourne la page, on replonge dans le feu de l’action !
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Chapitre où je joue les transformistes
Ce n’est pas le tout de vouloir me rendre dans ce foutu club de remise en forme, d’ailleurs ai-je besoin d’être remis en forme ? Non, suffit que tu demandes à ta femme, tu la verras sourire doucement, un voile passant sur son regard azur. Elle se souviendra à ce moment précis de notre dernière rencontre et là te dira simplement : Toi mon chéri, tu devrais peut-être…
Non ce qui me chiffonne un peu, c’est que si dans leur conversation par texto, elle parle bien du Beauty-Body, je ne peux pas me pointer là-bas la gueule enfarinée. Si je déboule tel un éléphant dans un magasin de porcelaine ou un clébard sur une piste de bowling, je risque d’être mal reçu. Faut que je transforme quelque peu cette bouille d’amour qui fait tant de ravages…
N’étant pas Samson, ma force ne réside pas dans mes tifs, c’est donc eux que je vais sacrifier. Réduire la crinière d’un mec ça te change sa gueule. De cheveux tombant sur les épaules, je passe à court. De court, je prends la tondeuse pour passer à ras, et de ras je prends le rasoir pour passer à lisse.
Que ce soit le caillou ou le visage, tout est rasé, plus rien. Ça change ! Ajoute des lentilles couleur noisette, je suis méconnaissable. D’ici à ce que je signe des autographes Bruce Willis, il n’y a pas loin mon pote.
En fait, j’ai beau changer de gueule, je reste d’une prestance, d’une beauté… ce n’est pas comme toi. Mais non je te charrie, tu sais bien que je ne suis pas comme ça. J’enfile un pantalon de toile, une chemise et une veste. Impossible de reconnaître Estéban Lehydeux, Requiem est en mission d’infiltration.
Cela me met sur un pied d’égalité : je ne sais pas qui est cette charogne de femme, mais elle ne saura pas qui je suis. Avant de partir j’attrape l’iPhone de Crémier, tape le code et balance un SMS, histoire qu’elle ne s’inquiète pas.
CÉ FAI, JE SÉ PAS SI IL EST MORT, J’AI PU ETRE REPERE, JE VAI ME METTRE AU VERRE JE SÉ OU ME PLANQUÉ.
J’en ai mal aux yeux d’écrire avec tant de fautes, mais je le dois, Molière pardonne-moi… la réponse ne se fait pas attendre, le grelot vibre dans ma pogne.
COMBIEN DE FOIS T’AI-JE DÉJÀ DIT DE FAIRE ATTENTION ? C’EST MOI QUI TE RECONTACTE, NE DONNE PLUS DE NOUVELLES, LAISSE RETOMBER LA PRESSION.
Je coupe le téléphone, pas besoin d’avoir ce mouchard-là au cul. J’hésite à savoir si je m’en débarrasse tout de suite ou si je le garde au cas où ? Soyons prudent pour une fois, je balancerai l’engin à la flotte en me rendant au club de sport.
Sache qu’au Vatican, nous autres exorcistes, nous sommes aussi bien montés qu’au FBI, à la DGSE, au MI 5 ou à toute autre maison de barbouzes. Enfin surtout moi qui ai mon trousseau personnel. Je ne puis me permettre de t’expliquer quelles applications j’utilise sur mon Mac, tu ne m’en voudras pas, ce livre est grand public, vous êtes des millions à me lire, si j’éventais mes secrets, je serais dans la mouise… toujours est-il que je me prends en photo, que j’insère cette photo dans le programme, que je frappe comme une dactylo atteinte de Parkinson sur le clavier de la bécane, je laisse refroidir à température ambiante quelques minutes.
Et là je te sors un jeu de papiers au nom de Alix Gimmileo de toute beauté, aucun putain de douanier, ou autre condé des frontières que porte cette planète n’est capable de savoir que c’est un faux, impossible. Me demande pas où j’ai trouvé ce nom de travelo grec, j’en sais foutre rien, mais à défaut d’être ridicule, cela sonne à merveille.
Et voilà, même ma sainte femme de mère ne pourrait me reconnaître. Pas question de me traîner là-bas en Mustang, on ne peut pas dire qu’elle soit du genre passe-partout. Je me garerai plus loin et finirai à pied, c’est plus sage.
Avant toute chose, une petite vérification s’impose. À qui appartient l’établissement ? À un dénommé Jason Hipomie. Il détient la franchise, et ce depuis l’ouverture de la boîte, il y a six ans. Jamais son nom, ou celui de son entreprise, n’a été acoquiné à un fait-divers. Après quelques minutes de recherche je découvre que le proprio est marié avec un certain Lucas Duvereas, vu le look gladiateur bodybuildé du couple cela m’étonnerait beaucoup que l’un des deux accepte de se faire surnommer patronne si tu vois ce que je veux dire. Et avant que tu me poses la question, je te réponds qu’aucun des duettistes de la rosette enflammée ne ressemble à la poutre de Bamako.
C’est donc parmi la clientèle que je vais devoir enquêter. Ne me reste plus qu’à me prendre un petit abonnement pour pousser de la fonte et débusquer cette fieffée garce et son acolyte surmembré.
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Chapitre remise en forme
Mon bolide est garé à pas loin d’une borne, j’ai bien pris soin de choisir un parking où je peux me rendre en passant par diverses ruelles au cas où je doive semer quelqu’un. Ne va surtout pas me prendre pour un gus du genre paranoïaque, non je suis juste un garçon qui prend garde à mettre des bottes quand il s’en va baguenauder dans la merde. Prévoir l’imprévisible mon pote, telle est ma devise. Une fois que tu en fais ta ligne de vie, tu te sens déjà plus en sécurité !
Une fois payée en liquide une carte de 10 séances, la copie de mes faux papelards entrée dans le fichier, et le passage par la case vestiaire, j’ai enfin le droit de pénétrer dans l’antre du narcissisme. Des miroirs installés jusqu’au plafond permettent de voir que ma tenue noire, jaune et orange en polyamide et élasthanne est ultra moulante, et pas voyante du tout ! Mais bon tous les clients sont sapés avec le même mauvais goût, et surtout chacun est occupé à regarder sa propre image dans les glaces.
Faut dire que grimaçant et transpirant dans des fringues on ne peut plus ridicules tu es tout de suite plus sexy. Et je ne te parle pas de tous ceux qui entre deux mouvements posent face à leur téléphone, histoire de montrer par selfie interposé que l’on en chie pour être aussi beau.
Mon choix se porte sur un engin de torture pompeusement baptisé Inferno Presse Fusion Body Perfect. Pourquoi ? D’une, parce que je pige du premier coup le fonctionnement de la bête, j’ai juste à mouvoir mes bras d’athlète, et de deux, parce que grâce aux glaces je peux observer presque tout le monde, et c’est surtout pour ça que je suis là.
Nous ne sommes que cinq dans la salle, trois types et deux nénettes. L’une a l’air d’être là avec son jules, l’autre doit être le coach, vu sa tenue aux couleurs du club.