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— Et ça t’a foutu les foies, ce simple message ? Merde tu vieillis Estéban, je t’ai connu plus téméraire.

Dans la vie je préfère passer pour un con, plutôt que de trop l’ouvrir et de me mettre en danger. Bien sûr je me doute que Régis flaire du louche, mais je sais que mon excuse tient la route. Rigole pas, toi te connaissant tu te serais déjà extradé au Boukistan. Alors je ne vais pas plus loin dans la confidence, pas besoin de lui dire ce que j’ai reçu après, ce que je soupçonne. Je t’ai dit, ces enculés-là, c’est pour moi, personnel comme on dit, c’est ma tournée.

— On va dire que ce que j’ai vu me fait penser qu’ils sont vraiment dangereux, alors je ne préfère pas prendre de risque et changer de tête. Car même s’ils ont croisé Martine anonymement sur la toile, ils ont su la retrouver, ils ont su qu’elle avait parlé et ils ont su la tuer, alors je préfère prendre les devants.

— Et tes offices ?

— J’ai téléphoné à l’évêché et prévenu mon équipe pastorale que ma pauvre mère étant au plus mal je devais partir au plus tôt, mais qu’heureusement un ami cénobite me remplacerait.

— Un cénobite ? C’est quoi ?

— Un moine. Les cénobites tranquilles, tu connais pas ?

— T’es trop con…

— Bref je me déguise et je reste dans mon antre, peinard, mais différent physiquement. Tout le monde sait que les curés qui en remplacent d’autres vivent au presbytère, je ne vais pas m’exiler le temps que tu fasses ton boulot non ?

— Tant que tu me laisses le faire tranquille, il n’y a pas de souci… d’ailleurs en parlant de mon boulot, je peux savoir où est ton bolide, j’aurais besoin de le voir ?

Ben tiens, je ne le vois pas s’amener avec ses grandes tartines de clown, à part ça il n’enquête pas sur la mort de l’autre abruti. Qu’est-ce qu’il compte voir sur ma caisse ? Il n’y a rien à voir, le pare-chocs a rien du tout, je l’ai inspecté sous tous les angles. Quant à ma vitre, car ce vieux singe de flicard connaît l’historique de ma guimbarde, elle est nickel. Parce que figure-toi que j’ai pris un chiffon doux imbibé de Hoppe’s № 9© et que je l’ai délicatement passé sur le verre blindé et la carrosserie. Tu ne sais pas ce que c’est ?

C’est le solvant de nettoyage que j’utilise pour mon Désert Eagle. Ce produit miracle élimine efficacement les résidus de plomb, de carbone, de cuivre et de poudre de n’importe quelle arme, sans aucun dommage pour l’acier, l’alu, le plastique ou la peinture. Ça craint rien. Il peut toujours passer ma tire au tamponnoir, il ne trouvera aucun résidu de tir. Je t’ai déjà dit : prévoir l’imprévisible !

Je lui tends un trousseau de clé en prenant l’air déçu, genre mon pote ne me croit pas.

— 148 rue Piacentini, j’ai un box, elle est planquée là-bas, tu penses bien que si je suis repéré je ne vais pas la garer dans la cour. Pourquoi tu veux voir ma caisse ?

— On va dire que je n’enquête pas sur la mort de Crémier, mais je ne voudrais pas me retrouver dans la merde parce que l’une de mes connaissances trempe dans l’affaire, je préfère vérifier.

— J’adore ta confiance… il reste de la bière au frais, si ça te dit d’en descendre une ou deux quand tu la ramèneras. Je ne suis pas rancunier.

Régis est revenu moins d’une heure après, il n’a pas voulu trinquer. Je lui ai demandé ce qu’il en était, si j’étais en état d’arrestation avec un grand sourire. C’est tout juste si je n’ai pas pris les clés en pleine gueule.

— Elle est trop propre ta bagnole, c’est tout juste si elle ne vient pas d’être passée au polish !

— Une voiture de collection Régis, j’en prends soin, n’oublie pas que Bébel a baqué son cul dedans. Souviens-toi de cette mémorable course poursuite dans Le Marginal. Quand tu sais qu’une bagnole a vécu un tournage pareil, t’en prends soin… et toi tu vas t’imaginer des trucs, je te jure…

Il s’est barré sans rien dire. Je le soupçonne de m’en vouloir un max, de me soupçonner d’être bien plus impliqué que je ne le reconnais dans cette histoire. Ce qui est le cas je te le concède, mais bon, c’est entre toi et moi. Si tu cadenasses ta grande gueule, pour une fois, le poulet n’en saura rien. D’avance je te remercie, fidèle lecteur. Oui, je n’écris que pour toi, tu es l’unique, le précieux. C’est pour toi, et toi seul que mon éditeur a fait imprimer ce livre, tu te rends compte à quel point on prend soin de toi ? Je vais te dire, tu n’es plus un lecteur, mais un ami… Allez viens avec moi, on continue, nous allons venger Martine !

20

Chapitre liturgique

Ce n’est pas le tout de jouer les justiciers vengeurs, mais jamais je n’oublie l’homme de foi que je suis. J’ai quelques obligations liées à ma vocation.

Et je ne sais pas si tu as suivi, peut-être t’ai-je mal expliqué, mais aujourd’hui nous sommes dimanche. Donc pas question aujourd’hui de me rendre à la salle de sport. Direction l’église. Si je loupe la grand-messe, je peux te dire que le Patron va hurler. Picoler, m’envoyer en l’air, jurer, blasphémer, je peux, je me fais rappeler à l’ordre, engueuler. J’ai le Nordet qui s’engouffre dans la sacristie, mais ça passe. Par contre louper la représentation de fin de semaine, quand l’église affiche complet, je n’ai pas le droit, c’est comme qui dirait contractuel.

Donc je vais assurer, mais va falloir la jouer serrée, mes ouailles ne doivent pas me reconnaître. Quand je vois ma gueule ce matin face au miroir, je me rassure, ça devrait le faire… après un brin de toilette.

Je me passe un coup de lame, j’ai le poil hirsute, que cela soit sur le caillou ou les bajoues, je dois soigner la présentation… j’enfile une chemise de lin col Mao, j’ai sorti des frusques dans lesquelles aucun pèlerin de la paroisse ne m’a déjà vu. Je vais jouer le rôle du cénobite à la perfection. Faut dire que je me méfie. Crémier m’a repéré, sa patronne aussi, elle a un point d’avance sur moi, elle sait qui je suis, moi non. Le seul moyen que j’ai de jouer à égalité avec elle, c’est qu’elle se persuade que Lehydeux a pris la fille de l’air.

La messe dominicale est un office différent des autres. En semaine, les paroissiens sont des purs et durs, des croyants de compétition. Pour eux, Dieu, le boss, est un compagnon de chaque jour, la foi est une façon de vivre, ils refusent le péché.

Le septième jour, c’est différent, tu reçois aussi les accompagnants, ceux qui se foutent comme de l’an 40 de ce que je raconte. Ceux qui n’attendent qu’une chose, la fin de l’office pour rejoindre le PMU et miser, en se torchant le museau au Picon blanc, sur un bourrin qui devrait leur apporter la fortune. Tu as également ceux qui sont venus parce que l’église est sur la route de la belle-mère, que le petit dernier fait sa communion en mai, alors avant le gigot, les flageolets et la boutanche de côte de Blaye…

Bref je me retrouve le dimanche avec une assemblée hétéroclite, la moitié qui écoute, chante et prie, et l’autre qui attend que ça se termine plus ou moins sagement. Car nous sommes à l’heure des téléphones mobiles. Et entre les abrutis qui ont oublié de les mettre en veille et qui font sursauter leurs voisins avec le dernier tube merdique du moment et les geeks attardés prépubères et boutonneux qui l’ont comme greffé au bout des pognes et qui ne le quittent pas, j’ai parfois du mal à garder ma sérénité.