Le pire c’est qu’aujourd’hui je ne vais pas pouvoir les humilier en pleine homélie, Requiem n’est pas là, le moine qui le remplace est plus zen, a meilleur caractère, c’est un véritable bon chrétien lui. Fait chier, ça me plaît tellement d’être un personnage bourré de cynisme et sans cœur…
— Mes bien chers frères et sœurs, je suis le père Alix Gimmileo, je suis un moine cénobite. Votre curé, le père Lehydeux est souffrant, il a été hospitalisé, mais tout va bien maintenant pour lui, ne vous inquiétez pas. Je vais le remplacer pendant quelques jours, afin que vous, ses brebis, ne vous égariez pas dans le péché et que vous puissiez profiter de la parole de Dieu. Que le Père tout-puissant soit avec vous…
Les entendre tous répondre en chœur Et avec votre esprit m’en colle une demi-molle. Je les ai quand même bien dressés ces gueux. Je poursuis l’office. C’est au moment de la communion que je sens qu’un truc ne tourne pas vraiment rond. Je tends la rondelle de pain à un client en lui balançant le sempiternel : Le corps du Christ, le gars ne répond pas, mais me fixe l’œil mauvais comme s’il me sondait. Échange de regard, je remarque qu’il porte une perruque. Ce ne sont pas ses tifs, et crois-moi que cela se voit, et pas qu’un peu.
Je change de client tout en cherchant où j’ai pu voir ce gus, je suis sûr de l’avoir déjà croisé. Ces yeux, je les connais.
Le moment de la Communion est pratiquement terminé, quand soudain j’ai une illumination. Alléluia, je sais où j’ai vu ce pékin. Et ce qui m’avait marqué la première fois, ce n’était pas ses prunelles… la poutre de Bamako !
J’ai beau regarder partout, le type s’est évaporé, disparu, volatilisé… je te dis pas à quel point je me réjouis d’avoir changé d’allure. La mort de Crémier doit être éventée, et ma résurrection connue. Je suis devenu personna non grata dans le milieu pédophile, ce qui n’est pas sans me déplaire…
Je donne congé à la populace catholique, qu’elle aille bâfrer en famille, moi-même je commence à avoir une dent creuse à reboucher. Le seul truc qui me turlupine, c’est que j’avais l’un des responsables du meurtre de Martine sous les yeux et je n’ai rien pu faire.
21
Chapitre gloomy Sunday
La faim me tenaillant pourtant l’estomac, je ne suis pas allé déjeuner, j’ai tourné dans le quartier, dans l’espoir de tomber sur la poutre de Bamako. Merde ce type était à ma portée et j’ai pas bougé, impuissant le Requiem. Ça me la met plutôt mauvaise, je cours après ces ordures, j’en ai une qui vient se jeter dans la gueule du loup, et je reste comme un con.
Je suis retourné marauder autour du domicile de la pauvre Martine. Tu connais ce principe à la con : l’assassin revient toujours traîner sur les lieux de son crime.
Tu veux que je te dise ?
Non ?
Eh bien je vais te le dire quand même, c’est affligeant de connerie, il n’y est pas… ni lui ni personne d’ailleurs. Seule la rubalise flotte au vent mauvais tel un spectre maudit. Tu as noté j’espère que je viens de t’offrir en bonus une digression poétique digne d’un grand auteur néoromantique ! Et tout ça pour le même prix, elle n’est pas belle la vie ? Pour la faire simple, il n’y a personne dans le quartier. À part bien sûr la vieille bique d’à côté planquée derrière ses rideaux.
Je rentre au bercail aussi triste qu’un morbaque égaré sur le pubis glabre d’une actrice porno. Moi qui au départ avait une faim de loup, je me contente d’un figatelli qui traînait dans un placard, que je grignote avec une San-Piétra tout en surfant sur la toile.
Eh bien quand ça ne veut pas, ça ne veut pas, une journée de merde reste une journée de merde, peu importe ce que tu en fais.
Je ne trouve rien, pas de nouveau message dans la boîte mail de Martine, rien… le Darknet est calme.
Je fouille parmi les faits divers du même acabit, tape des mots clés, fouine, tente de trouver quelque chose qui me relierait à cette histoire. Je repense au monstre des salles de jeux dont m’a parlé mon pote, mais rien… quand ça ne veut pas, ça veut pas !
Je passerais bien un coup de fil à Régis, histoire de savoir où il en est, mais vu comment ça s’est passé entre nous avant-hier, je ne vais pas chercher la merde, je vais attendre que ça cicatrise un peu.
Il y a des jours où l’on ferait mieux de rester couché. Bon j’avais dû me lever du pageot pour célébrer la messe dominicale. Dommage…
Marrant comme le dimanche peut-être un jour pourri, néfaste, j’ai même croisé des gens qui détestaient. Pourtant c’est le jour du Seigneur, donc pour les cathos, et encore plus pour un gus comme mézigue, prêtre exorciste, c’est un jour de fête, sauf que là, j’ai beau me forcer, tenter de positiver, rien n’y fait.
Je suis aussi gai qu’un eunuque au salon de l’érotisme, qu’un pinson dans la gueule d’un renard affamé, tu l’auras compris je me pète une déprime XXL.
Et je ne connais qu’un seul insecticide, un seul traitement pour ce genre de cafard, car la bestiole est tenace, elle s’insinue dans les limbes de ton cerveau, y fait son nid, et pond ses idées noires. Elles se mettent à fermenter dans ton intellect, te broient la joie de vivre, des vieux souvenirs remontent, te torturent, des images te reviennent. Tu ne peux pas laisser faire, sinon ce genre de truc te ronge, tu es foutu. J’ai connu des mecs, des costauds, des vrais mâles qui ont commencé par un peu de vague à l’âme et qui ont terminé par faire une turlutte au canon de leur flingue en se tripotant la queue de détente.
Pas question pour moi de glisser sur cette pente, je vais le soigner ce mal, à ma façon. Je vais le noyer, l’aseptiser, le désintégrer, l’éliminer, le foudroyer… avec un flacon de Jack Daniel’s.
Je chope la bouteille de liquide ambré, à moitié pleine, ou à moitié vide, c’est selon. Un instant j’hésite à foutre un CD de Saez, mais je veux noyer mon spleen, pas me flinguer, donc j’opte pour un concert d’Higelin, et je me mets à picoler pour finir ce dimanche de merde.
La première gorgée me réchauffe le palais, je repense à la môme, à son sourire, à ses courbes, à la douceur du grain de sa peau. Je me remémore ses gémissements, son parfum, son regard profond, son rire, elle quoi… je me demande si Requiem n’était pas un tant soit peu amoureux… Vie de merde !
22
Chapitre où si tu étais sympa, tu me ferais monter un Dafalgan©
C’est la sonnerie qui me tire du sommeil. Bordel, ce que ça tangue, ce que ça fait mal ! J’ai la boîte crânienne dans un étau et il y a un connard qui serre la vis sans fin, ça va exploser !
— Estéban, c’est Régis, comment tu vas ?
— On va dire que ça peut aller, une légère migraine me vrille l’encéphale…
En fait j’ai tellement la tête dans le cul que si là, je faisais un selfie tu verrais mon colon, pour te dire. Mais dis donc, le poulet a l’air calmé, lui qui part en claquant la porte et en maugréant samedi soir, s’en revient ce matin tout guilleret au téléphone.
— On croirait presque que je te réveille l’ami, bon en fait nous sommes allés faire un tour au domicile de Crémier, pour une petite vérification, puis surtout on ne trouvait pas grand-chose sur le type, alors on a dû fouiller…
— Et vous avez déjà fini ? Tu commences ta semaine aux aurores ?
— Il est treize heures Estéban… tu es sûr que ça va ?
Putain, treize heures ? J’ai dû faire le tour du cadran, je m’en suis ramassé une sévère hier soir. Le blues du dimanche, un coup à finir entre quatre planches, je ne sais pas qui disait cela — peut-être moi bourré, va savoir — mais c’est assez juste.