— J’ai capté, il avait du fric ? du liquide ?
— Je sais à quoi tu penses, il en avait, plus qu’il ne pouvait en gagner avec son boulot, mais ce n’est pas le commanditaire, juste un larbin cinglé. Dans les images il y a aussi des trucs tournés à l’IML.
— Tu vois je regrette qu’il soit canné ce con, vraiment, j’aurais aimé le questionner, le faire parler, style inquisition.
Je ne plaisante même pas, d’un coup je regrette mon coup de sang, je regrette cette course poursuite, je regrette qu’il soit mort sans rien dire, sans balancer ses complices. Je regrette surtout qu’il soit calanché sans souffrir. Me regarde pas comme ça, je t’ai déjà dit c’est le fils du Patron qui tend la droite quand il en ramasse une sur la gauche. Perso, j’envoie un coup de genou dans les couilles puis un second dans le nez quand le type se baisse. Si Jésus la joue peace and love, ça le regarde, moi ce n’est pas ma façon de combattre le démon.
Puis pour ce que cela paie la gentillesse et le pardon, suffit de voir comment il a fini, cloué… tu parles d’une reconnaissance humaine.
C’est pour ça que le Vieux n’a pas créé de véritable prédateur pour l’homme, pas besoin, nous sommes assez cons pour nous auto-exterminer… le jour où l’homme ne peuplera plus cette planète c’est parce que l’un d’entre eux soit aura été assez con pour appuyer sur une arme nucléaire, soit aura lâché un virus incontrôlable. L’homme sera responsable de sa propre perte.
— Tu as vu la vidéo de la mort de Martine ?
— Une partie, je n’ai pas pu la regarder en entier, c’est trop… immonde.
— Je veux la voir…
Il ne répond pas. Je sais ce qu’il pense, qu’il ne faut pas, qu’il doit refuser. Qu’il n’a pas le droit, je ne fais pas partie de la grande maison. Mais il sait aussi que je ne lui dis pas tout, que si je veux la voir, c’est que j’ai mes raisons, et là, je peux lui être utile.
— Cela ne va pas être possible pour l’instant, elle est partie pour analyse dans un laboratoire.
— Tu n’as pas envoyé juste le fichier ?
— Non parole d’homme, le disque dur complet est parti, ils veulent essayer de le faire parler.
— Et tu n’as pas fait de copie, pour l’enquête, pour le procureur, pour tes hommes ?
— Juste les dossiers photos, les vidéos je laisse ça aux autres. Entendre les cris, tout ça, non merci, je n’en ai pas besoin pour faire mon boulot. Nous avons des unités spéciales pour décrypter ce genre de merde.
Je n’ai plus faim. Ça m’a coupé l’appétit. Bon il ne reste plus rien dans mon assiette et je n’ai plus de pain pour saucer, mais j’aurais pu prendre un dessert. Il y a des profiteroles maison à la carte.
— On va les voir ces images ? J’ai besoin.
— Maintenant ça ne te dérange plus d’aller au commissariat ?
— Je suis venu à pied, je n’ai pas été suivi, je vais monter dans ta caisse, il n’y a pas de lézard.
23
Chapitre où l’homme est vraiment un monstre quand il le veut
C’est bizarre cette sensation que j’ai à chaque fois que je pénètre dans un commissariat ou une gendarmerie : j’ai toujours l’impression d’avoir un truc à me reprocher. Comme si j’étais coupable de je ne sais quel forfait.
Bon ok, je suis un peu responsable de la mort de Ludo le couillon, mais est-ce vraiment un crime ?
Non, c’est ce qu’on appelle un acte de salubrité publique, j’ai œuvré pour le bien de mon pays. Ce n’est pas la mort de cette crevure qui va m’empêcher de dormir. J’imagine déjà les sourcils broussailleux en accents circonflexes de certains des lecteurs : Comment, il tue sans regret, ni remords, et ce type se dit curé ? Mais ce n’est pas dans les fondements de la chrétienté ! Ce prêtre connaît-il seulement les dix commandements de notre Seigneur ? N’est-il point écrit : Tu ne tueras pas ?
Ben oui Ducon je connais le décalogue. Heureusement et tant que tu y es à me servir le cinquième, si ta rombière est pas trop mal foutue, méfie-toi, parce que le dixième, Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, je ne le respecte pas. Dès que je peux poser des bois, je profite, car moi mon commandement préféré, ma parabole fétiche, c’est Aimez-vous les uns les autres. Je te la coupe là, alors garde pour toi tes réflexions désagréables.
Régis a fini de discuter avec le planton, il me fait signe de le suivre. C’est la première fois que je viens dans son nouveau bureau, depuis qu’il a pris du galon il a droit à plus d’espace. C’est sympa, enfin si tu aimes le style rétro, voire désuet. J’ai l’impression d’être plongé dans un Simenon. Rien ne manque : le vieux perroquet en bois où il vient d’accrocher sa veste, le bureau directorial avec le sous-main en cuir vert, la loupiote art nouveau, il y a même un lave-main en faïence blanche.
— Tu vas nous faire monter de la bière et des sandwichs, ou tu as de la blanquette de veau quelque part ?
— Tu as remarqué Estéban ? C’est classe hein ? Une copie du bureau de Maigret, un rêve de gosse. Tout est à moi, si je suis muté, ça me suit. Ça ne te fait pas rêver ?
— Ben si je me fonde sur le même principe, je devrais bosser dans la paille avec un âne et un bœuf… En cherchant un peu j’ai bien deux ou trois clampins qui pourraient jouer les rois mages.
— Tu es vraiment con, aucune culture… bon tu veux voir les photos, t’es sûr ?
— Oui, certain. Et ne boude pas, j’ai reconnu ton décor. Mais moi, ma came, rayon lecture, c’est plus San-Antonio. Bon, on y va ?
Régis ne bronche pas, je l’ai vexé, j’aurais dû m’extasier devant son décorum. C’est ça les passionnés, si tu ne t’enflammes pas devant leurs collections ils se ferment, incompris, humiliés.
Il sort son ordinateur d’un tiroir, ce qui jure tout de suite sur son bureau. Je m’abstiens d’en remettre une couche. Toujours sans mot dire, il ouvre un dossier et balance le diaporama.
Ce n’est pas joli-joli ce qui défile sur l’écran. Pour l’instant pas de trace de Martine, juste le grand con, parfois cagoulé ou grimé, parfois à visage découvert, dans des scènes sado-maso. Bien sûr c’est lui le bourreau.
Il aime faire mal et cela se voit sur son faciès. Ce type ne prend son pied que quand l’autre souffre. Un grand malade. Ce n’est pas du sexe mais de la boucherie. Reste qu’il y a deux types de cinglés dans ce genre d’histoire, ceux qui jouent, tournent et diffusent ces merdes, mais aussi ceux qui les achètent et se secouent le chibre en jouissant devant ces horreurs.
Parfois sur les photos on se rend bien compte que la victime n’est pas majeure. Voire très loin d’être majeure.
— Tes collègues vont pouvoir identifier les vraies photos et les montages ?
— Sans aucun souci, après va falloir comparer avec des dépôts de plaintes, des disparitions… et là tu vois, le gamin est très typé, genre thaïlandais, cela a dû être pris là-bas. Tourisme sexuel, on ne retrouvera jamais les victimes. Puis pour quoi faire, cette ordure est morte…
— Lui il est mort, mais n’oublie pas qu’il agissait avec un ou des complices. Te laisse pas abattre, garde la volonté de mettre ce genre de salopards hors d’état de nuire !
— Tu as raison Estéban, mais j’ai déjà vu les rushes du film, les photos, j’en ai marre, ça me dégoûte.
— Laisse-moi regarder, tout seul. Change d’air, vaque à tes occupations mon pote, il n’y a pas de souci…