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– ???

Elle me dit:

– On était ensemble en colo. Aux Glénans, tu te souviens pas ?…

– Nan, désolé. Je secoue la tête et je les laisse en plan. Je vais me servir un truc à boire.

Tu parles si je m'en souviens. Le stage de voile, j'en cauchemarde encore. Mon frère toujours premier, le chouchou des monos, bronzé, musclé, à l'aise. Il lisait le bouquin la nuit et il avait tout compris une fois à bord. Mon frère qui se mettait au trapèze et qui giclait en hurlant au-dessus des vagues. Mon frère qui ne dessalait jamais.

Toutes ces filles avec leurs yeux de merlans frits et leurs petits seins qui ne pensaient qu'à la boum du dernier soir.

Toutes ces filles qui avaient marqué leur adresse au feutre sur son bras dans le car pendant qu'il faisait semblant de dormir. Et celles qui pleuraient devant leurs parents en le voyant s'éloigner vers notre 4L familiale.

Et moi… Moi qui avais le mal de mer.

Marie je m'en souviens très bien. Un soir, elle racontait aux autres qu'elle avait surpris un couple d'amoureux en train de se bécoter sur la plage et qu'elle entendait le bruit du slip de la fille qui claquait.

– Comment ça faisait? je lui ai demandé pour la mettre mal à l'aise.

Et elle, en me regardant droit dans les yeux, elle pince sa culotte à travers le tissu de sa robe, elle l'écarte et elle la lâche.

Clac.

– Comme ça, elle me répond en me regardant toujours. J'avais onze ans. Marie.

Tu parles que je m'en souviens. Clac.

Plus la soirée avançait, moins je voulais parler de l'armée. Moins je la regardais, plus j'avais envie de la toucher.

Je buvais trop. Ma mère m'a lancé un regard méchant.

Je suis allé dans le jardin avec deux ou trois copains du B.T.S. On parlait des cassettes qu'on avait l'intention de louer et des voitures qu'on ne pourrait jamais s'acheter. Michaël avait installé une super sono dans sa 106.

Presque dix mille balles pour écouter de la techno…

Je me suis assis sur le banc en fer. Celui que ma mère me demande de repeindre tous les ans. Elle dit que ça lui rappelle le jardin des Tuileries.

Je fumais une cigarette en regardant les étoiles. J'en connais pas beaucoup. Alors dès que j'ai l'occasion, je les cherche. J'en connais quatre.

Encore un truc du livre des Glénans que j'ai pas retenu.

Je l'ai vue arriver de loin. Elle me souriait. Je regardais ses dents et la forme de ses boucles d'oreille.

En s'asseyant à côté de moi, elle m'a dit:

– Je peux?

Je n'ai rien répondu parce que j'avais de nouveau mal au bide.

– C'est vrai que tu te souviens pas de moi?

– Non c'est pas vrai.

– Tu t'en souviens?

– Oui.

– Tu te souviens de quoi?

– Je me souviens que t'avais dix ans, que tu mesurais 1 mètre 29, que tu pesais 26 kilos et que t'avais eu les oreillons l'année d'avant, je m'en souviens de la visite médicale. Je me souviens que t'habitais à Choisy-le-Roi et à l'époque ça m'aurait coûté 42 francs de venir te voir en train. Je me souviens que ta mère s'appelait Catherine et ton père Jacques. Je me souviens que t'avais une tortue d'eau qui s'appelait Candy et ta meilleur copine avait un cochon d'Inde qui s'appelait Anthony. Je me souviens que tu avais un maillot de bain vert avec des étoiles blanches et ta mère t'avait même fait un peignoir avec ton nom brodé dessus. Je me souviens que tu avais pleuré un matin parce qu il n'y avait pas de lettres pour toi. Je me souviens que tu t'étais collé des paillettes sur les joues le soir de la boum et qu'avec Rebecca, vous aviez fait un spectacle sur la musique de Grease…

– Oh la la, mais c'est pas croyable la mémoire que t'as!!! Elle est encore plus belle quand elle rit. Elle se penche en arrière. Elle passe ses mains sur ses bras pour les réchauffer.

– Tiens, je lui dis en enlevant mon gros pull.

– Merci… mais toi? Tu vas avoir froid?!

– T'inquiète pas pour moi va.

Elle me regarde autrement. N'importe quelle fille aurait compris ce qu'elle a compris à ce moment-là.

– De quoi d'autre tu te souviens?

– Je me souviens que tu m'as dit un soir devant le hangar des Optimists que tu trouvais que mon frère était un crâneur…

– Oui c'est vrai je t'ai dit ça et tu m'as répondu que c'était pas vrai.

– Parce que c'est pas vrai. Marc fait des tas de trucs facilement mais il ne crâne pas. Il le fait, c'est tout.

– T'as toujours défendu ton frère.

– Ouais c'est mon frère. D'ailleurs toi non plus, tu lui trouves plus tellement de défauts en ce moment, non?

Elle s'est levée, elle m'a demandé si elle pouvait garder mon pull.

Je lui ai souri aussi. Malgré le marécage de bouillasse et de misère dans lequel je me débattais, j'étais heureux comme jamais.

Ma mère s'est approchée alors que j'étais encore en train de sourire comme un gros niais. Elle m'a annoncé qu'elle partait dormir chez ma grand-mère, que les filles devaient dormir au premier et les garçons au second…

– Hé maman on n'est plus des gamins, c'est bon…

– Et tu n'oublies pas de vérifier que les chiens sont bien à l'intérieur avant de fermer et tu…

– Hé maman…

– Tu permets que je m'inquiète, vous buvez tous comme des trous et toi, tu as l'air complètement saoul…

– On ne dit pas saoul dans ce cas-là maman, on dit "parti". Tu vois, je suis parti…

Elle s'est éloignée en haussant les épaules.

– Mets au moins quelque chose sur ton dos, tu vas attraper la mort.

J'ai fumé trois cigarettes de plus pour me laisser le temps de réfléchir et je suis allé voir Marc.

– Hé…

– Quoi?

– Marie…

– Quoi?

– Tu me la laisses.

– Non.

– Je vais te casser la gueule.

– Non.

– Pourquoi?

– Parce que ce soir, tu as trop bu et que j'ai besoin d'avoir ma petite gueule d'ange lundi pour le boulot.

– Pourquoi?

– Parce que je présente un exposé sur l'incidence des fluides dans un périmètre acquis.

– Ah?

– Ouais.

– Désolé.

– Y a pas de quoi.

– Et pour Marie?

– Marie? Elle est pour moi.

– Pas sûr.

– Qu'est-ce que t'en sais?

– Ah! ça… C'est le sixième sens du soldat qui sert l'artillerie.

– Mon cul oui.

– Ecoute, je suis coincé là, je peux rien essayer. Comme ça, je suis con, je sais. Alors on trouve une solution au moins pour ce soir OK?

– Je réfléchis…

– Dépêche-toi, après je serai trop fait.

– Au baby…

– Quoi?

– On la joue au baby.

– C'est pas très galant.

– Ca restera entre nous, monsieur le gentleman de mes fesses qui essaye de piquer les nanas des autres.

– D'accord. Mais quand?

– Maintenant. Au sous-sol.

– Maintenant??!

– Yes sir.

– J'arrive, je vais me faire un bol de café.

– Tu m'en fais un aussi s'te plaît…

– Pas de problème. Je vais même pisser dedans.

– Crétin de militaire.

– Va t'échauffer. Va lui dire adieu.

– Crève.

– C'est pas grave, va, je la consolerai.

– Compte là-dessus.

On a bu nos cafés brûlants au-dessus de l'évier. Marc est descendu le premier. Pendant ce temps-là, j'ai plongé mes deux mains dans le paquet de farine. Je pensais à ma mère quand elle nous faisait des escalopes panées!

Maintenant j'avais envie de pisser, c'est malin. Se la tenir avec deux escalopes cordon-bleu, c'est pas ce qu'y a de plus pratique…